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Bernard Fort : 12 haïku (1992)

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 27/01/2024 par GLITCH

Le 30 novembre 2022 se tiendra à la bibliothèque de la Part-Dieu une rencontre intitulée "Présence des oiseaux dans nos musiques". Animée par Bernard Fort, elle sera l'occasion de se pencher sur la "nature" comme source musicale, irriguant de nombreux répertoires et expressions sonores. L'occasion aussi de s'arrêter sur l'oeuvre de Bernard Fort, à la croisée des espaces naturels et de l'art du studio.

La musique de Bernard Fort est un peu à l’image de son créateur : elle joue des frontières et des continuités entre les mondes et les sources sonores.
Il est musicien (né à Lyon en 1954), ancien enseignant à l’ENM de Villeurbanne. Il est aussi chercheur et concepteur de dispositifs acoustiques (avec le GRM, ou le GMVL qu’il a cofondé à Lyon en 1976). Mais il est peut-être d’abord ornithologue et audionaturaliste. L’enregistrement et la restitution de sons d’oiseaux, de paysages sonores constituent une partie éminente de sa discographie.
Il est enfin un maître-artisan de la musique acousmatique.

Acousmatique ?

La musique acousmatique considère tous les sons comme un matériau potentiel pour la composition. Instruments acoustiques et synthétiseurs, bruits ou musiques, machines ou rossignols.. Sorte de rencontre entre la musique concrète et la musique électronique, elle ne connaît pas de sons impurs.  Elle est comme une oreille habile, qui accueille toutes les sources voulues pour les travailler ensuite en studio, et fixer le résultat sur bande, disque ou fichier.

Cet art sonore agit comme le creuset d’hybridations ou de voisinages inouïs. Car dans le geste du musicien sont rassemblés des sons, rien que des sons. Leur origine matérielle est invisible, la source qui les a produits peut être reconnaissable, ou totalement effacée.

Pour l’auditeur, privé de toute référence visuelle, c’est l’écoute seule qui caractérise les sons qui viennent. Comme un Cinéma pour l’oreille, où les sons s’offrent à l’imaginaire.

  • Une playlist d’incontournables et un court documentaire sur la musique acousmatique

Le concert des oiseaux

Nombre des pièces de Fort travaillent des sons concrets avec l’outil électronique. Les oiseaux y occupent très souvent une place de choix (Compositions ornithologiques, Le miroir des oiseaux…).


Ces compositions peuvent s’entendre comme un ouvroir d’écoute ornithologique. Elle fonctionnent comme des éclairages sonores, des jeux analytiques sur les propriétés des chants et bruits d’oiseaux.
La loupe du sonoriste attire l’oreille sur des éléments de timbre, de rythme ou de hauteur. Par modulation, tuilage, accélération, projection sur un fond sonore.. becs et gosiers font miroiter leur plastique musicale. 

L’oeuvre acousmatique de Fort semble s’attacher à faire jouer sur un même plan d’écoute, sans les confondre, les sources concrètes (chants d’oiseaux, bruits de nature..) et les artifices du studio. 
Par des procédés de détourage, de filtrage, de rapprochement des timbres, de contrepoint sonore, de zoom et dézoom, d’accélération et de ralentissement.. les pièces de Fort semblent proposer comme un plan d’écoute unifié, un troisième ordre sonore, par-delà nature et artifice.

Des tableaux pan-sonores

Les 12 haïku sont des tableaux aux contours sonores fins et précis. Des pointes sèches dont le détail ne fait qu’exhausser la beauté impressionniste. Il semble bien (« it sounds») que les bruits d’insectes ou d’oiseaux, les voix et les objets, les cloches et les crapauds sont distincts, que les sons concrets sont reconnaissables. Mais comment être sûr de la frontière entre ces sons et le travail du studio ?

Elle a l’air démunie / quand elle nage / la grenouille

Car le traitement attentif du compositeur crée, à partir des différents matériaux de départ une matière sonore renouvelée, à la signature délicieusement trouble. C’est un continuum d’une merveilleuse plasticité, où la précision du trait est au service de la suggestion poétique. Rien ne se perd, mais tout s’ajoute et se répond.

Un petit coucou s’approche d’un hortensia“, haïga de Buson Yoga (1716-1783) – by Wikimedia Commons


« Frottés » ensemble de la sorte, appariés par le traitement du musicien, les sons perdent de leur facture d’origine, ou l’enrichissent d’une autre. Dans ces résonances façonnées par le studio, ils s’associent en objet complexe, paysage et instant. Comme un haïkaï associe une image et un son, un état des choses et un sentiment. La « dialectique » sonore des sources utilisées est d’une belle finesse, et l’oreille se délecte à s’y mouvoir. Les sons connus se parent d’étrange, les effets de studio épousent des formes familières..

Lenteur du jour / un faisan / s’installe sur le pont



Une poésie d’oreille, une calligraphie de traits sonores ciselés. Et un jeu d’effacement (ou de miroir) entre nature et culture qui pourrait s’apparenter aux chemins de pensée de Bruno Latour ou Philippe Descola.

Compléments

➤Le site de Bernard Fort

➤La liste de ses enregistrements ou collaborations disponibles à la BML. La plupart de ses disques sont introuvables, en CD ou en ligne.

Musiques et sons de la Métropole, 2 articles qui abordent le paysage sonore en Région Auvergne Rhône-Alpes.

➤Présentation de la rencontre Présence des oiseaux dans nos musiques, le 30 novembre à la bibliothèque de la Part-Dieu.

➤… et une promenade sonore nocturne dans la réserve ornithologique du Mont-Saint-Hilaire..

→ Retrouver 12 haïkus dans nos collections.

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