SECOND SOUFFLE .2

L’accordéon contemporain

2. L'accordéon

- temps de lecture approximatif de 8 minutes 8 min - Modifié le 26/04/2023 par GLITCH

"Un gentleman sait jouer de l'accordéon (et s'en abstient)" ... Cette petite vacherie, pastichée d’une citation aux origines troubles s'applique aussi bien à l'accordéon qu'à la cornemuse. Deux instruments populaires à fort tempérament, au timbre, disons… clivant ! Flonflons populaciers et guinches d’ancêtres pour le piano à bretelles, sirène nasillarde et bourdon sciant pour l’outre diabolique.. On est pas loin de l’attentat auriculaire…

H. Daumier, 1865
H. Daumier, 1865 "-On n’a pas encore le droit de tuer les gens qui jouent de cet instrument, mais espérons que cela viendra."


… et des clichés musicologiques !

Car quelques défricheurs se sont emparés de ces objets pour en revisiter la soufflerie et le répertoire. Pas question ici de détailler l’emploi de ces instruments dans le jazz, la pop… ou l’électro (si, ça existe, mais on a dit pas question).
Jetons plutôt une oreille sur d’autres façons de les travailler, qui exploitent leur timbre particulier et renouvellent leur palette sonore..

Après la cornemuse, l’accordéon.

Accordéon augmenté

Oui, le purgatoire de l’accordéon aura duré longtemps. Des débuts de sa diffusion mondiale, vers la fin du XIXè, jusqu’au milieu du XXè siècle, son emploi s’est cantonné au répertoire manouche, musette ou traditionnel. Ce n’est que dans les années 1970 que l’instrument commencera d’être enseigné dans les conservatoires, et seulement depuis 2002 au Conservatoire National de Paris (CNSMDP).

Pourtant, la base Ricordoalfuturo recense plus de 10 000 oeuvres pour ou avec accordéon, composées depuis 1922..
Oui, le répertoire contemporain pour accordéon est aussi considérable que méconnu. A l’appui de sa patiente sortie du placard musical, d’importantes innovations ont élargi et modifié sa palette sonore.

➢L’accordéon contemporain dans les collections de la BmL



Bien sûr, le traitement électronique du son a démultiplié les remarquables possibilités de timbre de l’instrument… et son répertoire.

Plus récemment (2015), l’accordéon microtonal (en 1/4 de tons) a fait son apparition. Cet instrument dispose de 24 notes à l’octave (au lieu des 12 de la gamme habituelle). Formé autour de cette innovation instrumentale majeure, le Duo XAMP est à lui seul un laboratoire de l’accordéon contemporain.


Car comme bien souvent, ce sont d’abord les interprètes qui portent les innovations d’un répertoire instrumental ou font naître un désir d’écrire chez les compositeurs. En témoignent ces 3 accordéonistes phares, parmi d’autres, qui furent ou sont des éclaireurs pour nouveaux territoires de l’accordéon..

Teodoro Anzellotti

Né en 1959, Anzellotti a créé plus de 300 oeuvres pour accordéon. Luciano Berio lui a dédié en 1995 la Sequenza XII de son cycle capital pour instruments solistes. Sous-titrée Canzone, la pièce sonne comme une chanson douce et et miroitante, où passent les échos de refrains prolétaires, de boîtes de nuit, de tango et de jazz.


Anzellotti a également enregistré une des toutes première version pour accordéon du célèbre De profundis (1971) de Sofia Gubaidulina. Devenue un classique du répertoire, cette magnifique pièce pour bayan (accordéon russe) regarde l’instrument comme un “monstre qui respire” selon les mots de la compositrice. L’oeuvre captive par

sa puissante charge émotive, son énergie tellurique, ses silences sépulcraux, ses textures riches, ses chants d’oiseaux, sa lenteur de progression

Vincent Gailly, accordéoniste

Parmi les nombreuses réalisations au disque d’Anzellotti, citons le beau programme de Push-Pull. Place à la mécanique respirante du Vagabonde Blu (1998), de Salvatore Sciarrino, aux longues tenues et superpositions harmoniques de Melodia (1977), de Toshio Hosokawa. Pièces fragiles et méditatives pour sons purs ou impurs..

De cet immense défricheur, signalons encore ce programme en duo avec l’altiste Christophe Desjardins, sur l’album Of waters making moan. La pièce Peigner le vif (2007) de Gérard Pesson est un ébouriffant dialogue de timbres entre les 2 musiciens. Un jeu d’échos et de réponses, de poursuite et saccades, où les instruments se cherchent et s’étreignent, s’ébrouent en salves piquées. Quant à la pièce-titre (de Rebecca Saunders, 2013) , pour accordéon seul, c’est une pluie rêveuse de bourrasques, scintillements, et vagues métalliques. 

Pauline Oliveiros

Compositrice, pédagogue, musicienne expérimentale et chantre du deep listening, l’américaine Pauline Oliveros (1932-2016) fut une remarquable passeuse d’accordéon. Elle a su donner à l’instrument sa place dans le répertoire du drone et des musiques minimalistes.

Oeuvre-manifeste de cette approche de l’écoute développée par Oliveros, Deep listening (1989) est devenu un classique du drone-ambient, suave et lysergique. Enregistré au fond d’une citerne, avec digeridoo, trombone et quelques accessoires, voici l’accordéon fondu dans une chimère électro-acoustique. Un moment de vibration pure, de chatoiement harmonique et de transe immobile.

Avec ou sans électronique, le son de Pauline Oliveros semble souvent détimbrer l’instrument, l’amener vers l’onde pure de la sinusoïde. De longues nappes tenues, des sons ultra réverbérés, des compositions minimalistes/ambient, entre Eliane Radigue et La Monte Young..

Mais Oliveros sait aussi tramer des échos plus traditionnels de l’accordéon dans ses méditations résonantes. Accordion & voice (1982) commence comme un dialogue de timbres entre la voix et les harmoniques de l’instrument. Puis sur cette vague, une improvisation mélodique s’élève, douce et rapide. L’oeuvre devient rituel sans fin, un air dont les notes papillonnent et reviennent se poser sur le bourdon.

Pascal Contet

En France, c’est le nom de Pascal Contet qui a émergé parmi les premiers aventuriers de l’accordéon contemporain. Lui aussi affiche un nombre remarquable de créations et de pièces dédiées.

Le programme du disque Iceberg (2009) est un dialogue entre l’accordéon et le cheng, sorte d’accordéon à bouche chinois. Ici encore, la palette sonore des instruments épouse de près les sons des musiques électroniques. Psychédélisme lent (Wedellsee), boucles ambient entre Jacno et BO de Carpenter (Pinnacled), spirales proliférantes à la Terry Riley (Blocky)… Un disque addictif.

Avec Premier regard (2001), de Marc Monnet (pour accordéon et électronique), Contet déploie un large spectre d’atmosphères et d’effets. La plasticité de l’instrument l’amène des sons les plus métalliques aux timbres les plus boisés. De l’harmonica à la clarinette basse, de la percussion au soupir, Contet promène en 10 tableaux son accordéon à 360°.

Contet est toujours disposé à faire sonner l’accordéon hors des sentiers battus et du répertoire “savant”. Il a collaboré par exemple avec le DJ RO3 pour Transit Express (2013), du vidéaste Jean-Paul Devin-Roux.
Longues vagues, mugissements de trompe et quelques battements d’ailes pour cette fresque entre deux eaux.

” Transit express ” Jean-Paul Devin-Roux 2013 from Jean-Paul DEVIN-ROUX on Vimeo.

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