La "Tech" au féminin 2/2
Pour plus de mixité dans la Tech
Publié le 19/07/2021 à 09:00 - 8 min - Modifié le 26/08/2021 par S&T
En dépit du rôle important joué par les femmes dans le développement de l'informatique, celles-ci sont aujourd'hui en minorité dans ce domaine et plus globalement dans le domaine du numérique et de la "Tech". Cette situation est susceptible de provoquer des disparités dans un futur proche. Malgré tout de nombreuses initiatives émergent afin d'inverser cette tendance.
Depuis 2020, l’effectif en informatique n’a fait que diminuer d’année en année alors que le domaine est en plein essor. Anne-Marie Kermarec souligne dans “Numérique, compter avec les femmes” (Odile Jacob, 2021) que “le nombre de femmes chercheuses, étudiantes ou enseignantes-chercheuses dans le domaine du numérique est fortement en baisse. Plus les grades augmentent et plus les femmes se font rares.” Selon une étude parue en 2018 sur le site Urban Linker, les femmes ne représentent que 28% des salariés dans le numérique et 16 % dans la Tech.
D’après le constat d’Isabelle Collet, “l’informatique est le seul domaine où, après avoir été proportionnellement bien représentée, la part des femmes est en nette régression, alors que, dans toutes les filières scientifiques et techniques, elle augmente de 5% en 1972 à 26% en 2010”.
Voici une infographie résumant parfaitement la situation actuelle :
Pourquoi faut-il plus de mixité dans la Tech ?
Blockchain, big data, intelligence artificielle, cloud, cybersécurité… Le numérique est désormais partout et est devenu un moteur de développement économique. Selon les spécialistes du domaine, il est essentiel que le monde de la Tech et du numérique ne soit pas un univers uniquement masculin.
Pourquoi, me direz-vous?
Tout d’abord, les femmes doivent intégrer le numérique afin d’éviter une précarisation excessive dans un futur plus ou moins proche. En effet, d’après l’OCDE, plus de 32 % des emplois actuels vont disparaître ou être profondément transformés par l’informatique et par la présence prégnante de l’intelligence artificielle. Comme le souligne Emmanuelle Laroque (Directrice Fondatrice de Social Builder) dans cet extrait issu de la revue Les Chuchoteuses, “le digital va transformer de plus en plus de métiers, en premier lieu ceux qui sont très féminisés. [Ainsi,] il y a un énorme enjeu de reconversion des femmes.”
Selon les statistiques, il y a de forte chances que les métiers aujourd’hui majoritairement féminins soient supprimés par la révolution numérique. Cela aura pour conséquence d’augmenter le risque de marginalisation des femmes avec un réel retour en arrière sociétal. De plus, l’absence des femmes dans ces domaines provoque des conséquences fâcheuses pour elles. Delphine Virte (ingénieure d’essai sur chantiers de maintenance) explique que le manque de femmes dans un domaine a toujours eu un impact. Par exemple, dans le domaine du secteur automobile qui était au départ essentiellement masculin : “la conception des habitacles a été longtemps pensée par les hommes et pour des hommes en fonction de l’anatomie d’un Européen moyen de 75 kg. Résultat: pédales, volant et ceinture de sécurité n’ont pas été dimensionnés pour des individus de petite taille”. Ainsi, si la situation ne s’améliore pas dans l’informatique et la Tech, les services et les produits proposés seront difficilement adaptés aux femmes.
Cette situation est d’autant plus importante dans des domaines en plein essor comme celui de l’intelligence artificielle.
L’exemple de l’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle est désormais partout. Elle fait partie intégrante de notre quotidien : elle nous guide dans nos recherches, nous recommande des films et nous assiste au volant… L’IA est en train de modifier profondément nos modes de production et de consommation. Hélas, l’intelligence artificielle est aujourd’hui incapable de corriger les maux et les biais de notre société. Comme le souligne Aurélie Jean, scientifique numéricienne et entrepreneuse “Les intelligences artificielles (IA) possèdent des biais algorithmiques (menant à ce qu’on appelle de la discrimination technologique) à cause de nos propres biais cognitifs.” C’est pourquoi elle véhicule des stéréotypes pouvant être néfastes pour certaines communautés comme par exemple les femmes. En effet, les données utilisées pour l’apprentissage des IA contiennent une représentation plus significative d’hommes que de femmes comme c’est le cas pour les algorithmes de reconnaissance faciale.
C’est ainsi que Joy Buolamwini, doctorante du MediaLab au MIT, a constaté lors de ses recherches que les algorithmes de reconnaissance faciale fonctionnaient très bien sur des hommes blancs mais très peu sur les femmes. Le documentaire “Coded Bias” réalisé en 2020, disponible sur la plateforme Netflix, présente cette découverte et lève le voile sur les biais sexistes et racistes des algorithmes.
Cette situation mène à une discrimination technologique envers des types d’individus ou des groupes. En 2013, l’ONU avait utilisé les suggestions proposées par le moteur de recherche Google afin de dénoncer le sexisme envers les femmes présent sur Internet. Cette campagne a mis en exergue les préjugés sexistes circulant sur la toile et véhiculés par les algorithmes de Google.
Le problème majeur réside dans le fait que la correction de ces biais est complexe. En effet, les benchmarks réalisés pour vérifier la performance des algorithmes sont réalisés par des hommes sur eux-mêmes. Détecter les biais demeure difficile car ils sont ancrés dans notre quotidien, il s’agit d’un des grands défis du Machine Learning et un réel challenge du Deep learning. Yann le Cun, chercheur en intelligence artificielle, souligne qu’“il faut éviter que les biais de la société se reflètent dans les décisions prises par les machines”. Lors d’une interview auprès du site Les numériques, Aurélie Jean précise qu‘”il faut ouvrir les discussions techniques aux personnes du métier dans lequel l’algorithme s’applique, il faut faire travailler ensemble des gens différents, et que cette diversité d’expériences, de points de vue et d’individus deviennent un catalyseur pour le développement d’outils inclusifs. Comme je le dis souvent, il faut construire des IA pour tous et par tous.”
L’éthique de l’Intelligence artificielle est devenue un véritable enjeu. Ainsi, à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, le 8 mars 2021, l’Unesco en collaboration avec le Forum économique mondial, a organisé une table-ronde rassemblant un éventail de femmes dans le domaine de la technologie sur le thème suivant: “Problème de fille: briser les préjugés dans l’IA.” Cet événement avait pour objectif de lutter contre les déséquilibres entre les sexes qui faussent le développement de l’intelligence artificielle.
Un domaine encore difficile pour les femmes.
Comme nous l’avons souligné plus haut les domaines de l’informatique et de la Tech manque cruellement de femmes.
Au delà des chiffres, de nombreuses femmes évoquent également l’ambiance qui règne dans le secteur de l’informatique, qui demeure assez hostile à la gente féminine et entraîne par conséquent des difficultés pour celles-ci à atteindre des postes élevés. De plus, un grand nombre d’entre elles finissent pas quitter le domaine par manque de reconnaissance et de réelle évolution. “56 % des femmes impliquées dans des postes techniques quittent leur emploi. Un chiffre deux fois plus élevé que les hommes. Moins formées, moins payées, moins promues, les femmes ne sont pas les bienvenues.”
De nombreuses études et enquêtes ont révélé l’ambiance sexiste existant dans les écoles d’informatique. En novembre 2017, la revue L’Usine Nouvelle avait ainsi constaté cette situation à l’Ecole 42, fondée par Xavier Niel. Néanmoins, cette observation n’était pas un cas isolé. Selon les spécialistes, elle est symptomatique des institutions où la mixité est faible voire inexistante. A partir du moment où les femmes sont minoritaires dans un secteur, des comportements machistes peuvent apparaître. C’est pourquoi de nombreuses femmes s’excluent du monde de l’informatique car elles ne se trouvent pas légitimes ou s’imaginent qu’elles n’y ont pas leur place.
Dans L’intelligence artificielle, pas sans elles ! (Belin, 2019), on découvre que “les femmes sont [également] victimes de mansplaining (situation où les hommes se croient en devoir d’expliquer à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, généralement de façon paternaliste ou condescendante). Par ailleurs, les femmes passent plus de temps à démontrer leurs compétences”
De nombreuses initiatives pour favoriser la mixité
Depuis des années, les écoles d’informatique prennent néanmoins des mesures pour lutter contre cette disparité entre les hommes et les femmes. Lors d’une interview donnée au journal Le Monde, Joël Courtois, directeur d’Epita (l’École Pour l’Informatique et les Techniques Avancées), exprime toutefois son impuissance : “On se bat depuis des années pour attirer plus de filles dans nos filières. Journées portes ouvertes, salons, campagne de communication ciblée : ça ne déclenche aucune évolution. Nous avons eu un pic inexpliqué en 2015, avec 12 % de filles dans la promotion contre 5 % en 2014, mais l’année suivante nous étions retombés à 8,4 % ! C’est désespérant”.
Pour tenter d’enrayer la tendance et susciter des vocations, de nombreuses associations se sont créées ces dernières années : Elles Bougent, #JamaiSansElles, Girl in Tech, Femmes et Sciences, L Digital...
Le collectif Femmes et Numérique souligne ainsi que “cette mixité est indispensable à un développement réussi de l’usage des technologies et à leur appropriation par tous.”
C’est pourquoi, ces associations proposent de nombreuses actions à destination des femmes :
- des formations pour apprendre le code (recherche d’emploi ou reconversion)
- des interventions au sein des écoles pour présenter les métiers
- un soutien à la création d’une entreprise dans le domaine
- des formations de sensibilisation pour les plus jeunes
Même si les femmes sont encore minoritaires dans le monde du numérique, de nombreuses chercheuses travaillent aujourd’hui dans le but de façonner le monde de demain à l’aide de l’informatique. Ainsi, pour mettre en lumière ces talents, l’association Femmes du Digital Ouest met en ligne chaque mois un podcast #WeCanBeHer ! présentant une femme du numérique au parcours inspirant. StarHer réalise également chaque année une liste des femmes inspirantes dans le domaine afin de les mettre en avant.
Comme l’explique Sophie Viger, directrice de l’école 42, dans une interview donnée au média Chut! : “[il est] important qu’il y ait des représentations féminines pour nos petites filles afin que, quand elles les regardent, elles puissent se dire « génial je veux faire comme elle, je peux le faire, c’est possible ». D’où l’importance d’avoir des role models.”
Outre l’enjeu des rôles modèles, elle ajoute également qu’il est important d’inclure les hommes. En effet, “seule l’implication réelle et collective de l’ensemble de la société, des hommes, des femmes, des politiques et des entreprises pourra permettre un changement de paradigme. Nous sommes au commencement d’un nouveau modèle : plus mixte, plus inclusif et plus diversifié. Ce changement sera au bénéfice de la société dans son ensemble et pas seulement au profit uniquement des femmes.”
Pour vous inspirer :
- Femmes : pourquoi s’orienter vers la tech ? (adatechschool.fr)
- Une conférence de Zennya Del Villar sur “Les femmes et le numérique : reformatons la société” (TEDxRennes en juillet 2017).
- Les femmes et le numérique : un réel désamour ? La “Tech” au féminin 1/2
*Quartiers urbains prioritaires (ZUS, ZFU, ZRU)
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