Prendre le temps ?
Penser notre rapport au temps pour le retrouver 2/2
Ralentissement : le temps que l'on prend
Publié le 04/05/2020 à 12:03 - 8 min - Modifié le 21/03/2023 par Olivia Alloyan
Pour ce second volet de notre article Penser notre rapport au temps, nous vous proposons un petit tour d'horizon des différentes propositions d'émancipation et d'alternatives pour se réapproprier le temps et en faire "notre temps". Voici une sélection de sources et de ressources pour expérimenter autant de façons de retrouver le temps. Un temps libéré pour soi, pour les autres ou pour s'impliquer autrement dans la société et la vie de la Cité. A découvrir dans les bibliothèques de Lyon ou en ligne.
Comme nous l’avons vu dans le volet 1 de cet article, nous sommes entrainés dans un courant d’accélération qui nous pousse parfois à réinterroger le cours de nos vies. La vaste question existentielle de notre rapport au temps pose d’emblée la question de ses limites. En effet, la durée de la vie étant limitée dans le temps, le temps nous est compté donc précieux. Il nous appartient de courir constamment après lui, de l’exploiter, de le remplir au mieux ou… de le perdre selon nos contraintes, nos envies et nos choix individuels. Quoi qu’il en soit, l’imbrication entre les dimensions individuelles et collectives de nos vies conditionnent voir déterminent notre rapport au temps.
Quelle est vraiment notre marge de manœuvre par rapport au temps ? Comment libérer le temps des contraintes qui pèsent sur nos vies ? Que faire du temps libéré ? Poser la question de notre rapport au temps c’est poser la question du sens qu’on veut / peut lui donner. Le temps étant constitutif de notre être-au-monde, les enjeux individuels et sociaux de la maîtrise du temps sont éminemment stratégiques dans nos vies.
La qualité de notre relation au monde
Après avoir identifié l’accélération comme cause de l’aliénation dans nos sociétés modernes, le sociologue allemand Hartmut Rosa a publié Résonance, une sociologie de la relation au monde pour nous inviter à nous émanciper d’un rapport instrumental au monde. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la solution de Rosa à la relation déréglée, pathologique au monde n’est pas la décélération mais la résonance. Pour lui, la qualité d’une vie humaine dépend de sa capacité à résonner avec le monde. La résonance accroît notre puissance d’agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser prendre, toucher et transformer par le monde. Soit l’exact inverse d’une relation instrumentale, réifiante et muette, à quoi nous soumet la société moderne. Et il poursuit : Tout dans la vie dépend de la qualité de notre relation au monde c’est à dire de la qualité de notre appropriation du monde.
Dans son compte rendu de lecture sur le livre de Rosa (PDF de 5 pages sur OpenEdition), Marc-Antoine Pencolé montre comment, pour Rosa, la résonance est un rapport cognitif, affectif et corporel au monde dans lequel le sujet, d’une part, est touché […] par un fragment de monde, et où, d’autre part, il répond au monde en agissant concrètement sur lui, éprouvant ainsi son efficacité (p. 187). Ces quelques pages nous permettent de découvrir le stimulant concept de résonance.
L’économie du temps dans le temps de l’économie
Dans La véritable richesse : une économie du temps retrouvé, la sociologue et économiste américaine Juliet B. Schor affirme que Protéger coûte moins cher que dégrader. En partant du constat de l’augmentation de la consommation des Américains, elle explique que l’équilibre écologique et économique ainsi que l’amélioration de la qualité de la vie peuvent être trouvés dans le développement des véritables richesses que sont les liens sociaux et les stratégies collectives. C’est par la réduction du temps de travail et une utilisation du temps libéré plus orientée vers le collectif (jardins partagés, bricolage, partage des savoirs-faire, covoiturage, etc.), que cette économie productive de vraies richesses peut améliorer les relations humaines et mieux respecter les ressources naturelles.
Le temps de travail
L’ouvrage collectif Temps de travail et travail du temps, sous la direction de Sylvie Monchatre et Bernard Woehl explore l’aspect qualitatif de l’influence du travail dans nos existences. Ces contributions questionnent l’évolution du partage entre temps travaillé et temps libre mais aussi les conflits entre les temporalités sociales plurielles à l’œuvre dans cette articulation.
Parmi les nombreux ouvrages qui militent pour le partage par la réduction du temps de travail, l’économiste Pierre Larrouturou et la sociologue Dominique Méda prônent la semaine de 4 jours dans Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail (2016).
En se fondant sur une proposition d’Einstein après la crise de 1929, ils montrent comment ce choc de solidarité serait capable de créer massivement des emplois sans coût supplémentaire pour les entreprises qui s’engageraient dans cette voie.
Pour explorer les enjeux et les mutations du travail au XXIe siècle, de nombreuses approches vous sont proposées en rayon Economie (Département Société).
Le temps cosmique
Dans L’ordre du temps (2018), le physicien Carlo Rovelli déploie une théorie sur la variation de l’écoulement du temps et de sa perception à partir des réflexions des philosophes, des scientifiques ou encore de la vision des poètes. Un rappel de la relativité du temps.
Retrouvez un extrait du livre du physicien Carlo Rovelli sur The Conversation où l’on apprend que : le temps s’écoule plus vite à la montagne, et plus lentement en plaine.
Carlo Rovelli écrit : Où que nous allions, le temps a un rythme, une allure distincte. C’est selon des rythmes différents que dansent entrelacées les choses du monde.
Le temps des femmes
Dans Le temps des femmes : pour un nouveau partage des rôles, la philosophe et sociologue engagée Dominique Méda constate le décalage entre la hausse du temps de travail des françaises et les institutions, les mentalités – qui ne se sont pas encore adaptées à cette nouvelle réalité sociale. Elle milite donc pour une évolution en faveur d’une meilleure répartition des rôles dans la société et une meilleure égalité des chances entre les femmes et les hommes pour le plus grand bien de tous. Elle en appelle à une véritable révolution mentale. (La base Persée propose la critique de cet ouvrage par Elizabeth Brown).
Retrouvez Dominique Méda dans un entretien vidéo (20 mn) du CESE (Conseil économique social et environnemental) sur Les temps de vie des femmes.
La gestion du temps
La gestion du temps est un enjeu crucial dans le monde du travail. Le gain de temps au travail peut être un moyen d’améliorer la productivité mais aussi de mieux travailler, de permettre une meilleure articulation entre les différentes temporalités de la vie.
De nombreux guides pratiques peuvent nous aider à mieux gérer les contraintes et les sollicitations qui se télescopent à l’heure numérique notamment en prévention des risques psychosociaux ou des burn-out.
Vous pourrez les retrouver dans le rayon Gestion de la Bm de Lyon.
Parmi eux, les guides orientés vers plus d’efficacité et d’épanouissement professionnels comme, La boîte à outils de la gestion du temps de Pascale Bélorgey, ouvrage dans lequel l’auteur résume la gestion du temps en deux principes : la gestion de son énergie et celle de ses priorités.
Ou encore des ouvrages plus orientés vers le développement personnel Et si je prenais mon temps ! : gestion des priorités : mode d’emploi de Catherine Berliet, sous la direction de Stéphanie Brouard et Fabrice Daverio.
Le temps du développement personnel, le temps du slow
A l’époque du développement du stress, de la multiplication des sollicitations pour notre temps de cerveau disponible et de l’augmentation de la charge mentale, les appels au bien-être, à la pleine conscience et au développement personnel se retrouvent dans de nombreux ouvrages, tutoriels et vidéos. Le nombre de guides pratiques, de techniques et de spécialistes sur ces questions en dit long sur nos besoins d’équilibre et de réajustements par rapport au trop-plein qui menace de saturer nos têtes et nos corps.
Pourquoi dégager / se ménager du temps libre ? S’interroger nous permet de prioriser nos tâches, de mieux nous organiser.
Le temps libéré peut, par exemple, nous permettre de mieux nous nourrir – corps et esprit -, de nous reconnecter à la nature, de nous instruire – par exemple en allant dans une bibliothèque (!) – de pratiquer des activités sportives, artistiques et créatives, de mieux nous informer à l’heure de l’infobésité, de prendre soin de nous et des autres, d’être plus disponible pour s’engager dans le monde associatif ou la citoyenneté, de participer à l’économie sociale et solidaire ou le développement durable. A peu près tout ce qui peut donner du sens à une existence au XXIe siècle.
Pour cela, le temps long – ou la slow attitude – est redevenu une tendance, un luxe recherché depuis la fin du siècle dernier. L’engouement pour le slow s’est développé dans de nombreux domaines, que ce soit dans le monde des médias avec le slow journalisme, du tourisme avec le slow tourisme, du business ou de la parentalité comme on peut le découvrir dans cette sélection d’ouvrages sur le slow de la Bibliothèque municipale de Lyon.
Voici quelques références sur ces appels à la lenteur :
Eloge de la lenteur : et si vous ralentissiez ? du journaliste canadien Carl Honoré (avec une conférence TED de 19 mn sur son éloge de la lenteur) qui a popularisé le mouvement slow en 2004.
Slow food, manifeste pour le goût et la biodiversité du journaliste, sociologue et critique gastronomique Carlo Petrini (2005) qui a lancé le mouvement des Slow Food dès 1989 et a inspiré le nouveau modèle d’urbanisme des Cittaslow en Italie (et en France). Un Réseau international des villes du bien vivre qui rassemble une communauté de villes qui s’engagent à ralentir le rythme de vie de leurs citoyens.
Du bon usage de la lenteur de Pierre Sansot (Payot et rivages, 1998)
Une sélection d’ouvrages de la Bm de Lyon sur le sujet du slow.
Pour conclure en musique, voici la fameuse chanson Le temps de vivre composée par Georges Moustaki pour la bande originale du film Le temps de vivre du réalisateur Bernard Paul en 1969 (archives de l’INA).
Tout un programme !
Cet article fait partie du dossier Prendre le temps ?.
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