Migrations et bandes dessinées
Publié le 07/06/2023 à 12:00 - 7 min - Modifié le 18/08/2024 par T.O.
Le thème de la migration, largement d’actualité, a régulièrement été investi par les auteurs de bandes dessinées afin de donner à voir la situation de vie d’hommes et de femmes toujours plus nombreux. Voici quelques-unes d’entre elles, qui vous permettront d’appréhender le parcours et la traversée de personnages imaginaires ou bien réels, mis en textes et en images.
Témoigner
Incarner la situation migratoire à travers l’histoire personnelle constitue l’un des enjeux de la bande dessinée L’Odysée d’Hakim de Fabien Toulmé. De sa rencontre avec Hakim naît un récit qui se déroule sur trois tomes et qui nous fait partager le parcours du jeune homme depuis son départ de Syrie, jusqu’à la Turquie où il fondera un foyer. L’ouvrage constitue un récit éclairant sur la diversité des parcours de vies derrière le terme générique de « migrant-es », et sur les défis dignes des chants d’Homère que ces dernier-es doivent relever. Evoquant son absence d’expertise en géopolitique, l’auteur transforme Hakim en personnage principal et héro de son ouvrage, et affirme qu’il n’y a pas d’objectivité possible dans la création.
Durant la traversée migratoire, les récits de naufrages, souvent issus d’histoires réelles, se placent en contrepoint de l’imaginaire communément lié aux voyages et à l’évasion.
Comme pour l’Odyssée d’Hakim, la guerre de Syrie est l’élément déclencheur du départ d’Amina dans la bande dessinée Zénobia. Son auteur, Morten Dürr nous fait partager le parcours de cette petite fille de 10 ans au destin tragique, fuyant la guerre dans une embarcation précaire. Durant sa traversée, Amina rêve de Zénobie, reine de Palmyre au IIIe siècle de notre ère qui conquit l’Egypte et les provinces romaines. Tout en évoquant cette conquérante puissante et majestueuse, ce sont aussi des souvenirs d’une vie paisible, celle d’avant la guerre, que nous invite à partager l’auteur de cet ouvrage.
Charles Masson signe quant à lui avec Droit du sol une bande dessinée profonde qui retrace le péril de migrants et de migrantes embarqués sur les kwassas, barques fabriquées de façon rudimentaire et utilisées pour partir à la recherche d’un sol hospitalier. L’une d’elles en provenance des Comores, chargée de clandestins, fait naufrage au large de Mayotte. Sur 33 voyageur-ses, 14 périssent et 7 sont porté-es disparu-es… Ce drame est le point de départ du récit, qui présente une galerie de personnages de toutes les communautés et nous permet d’approcher l’arrière du décor de cette île devenue depuis le 101ème département français.
Venir en aide
De nombreux auteurs ont également pu mettre en avant l’entraide et la solidarité portées à l’attention des personnes en exil. Durant l’été 2017, le duo d’auteurs Edmond Baudoin et Troubs a parcouru la vallée de la Roya, fleuve qui prend sa source en France au col de Tende, et se jette dans la Méditerranée à Vintimille, en Italie. Dans Humains : la Roya est un fleuve, les dessinateurs ont rempli leurs carnets de portraits en allant à la rencontre de celles et ceux qui viennent en aide aux personnes qui tentent de passer la frontière. Porté par cette question qui ne quitte pas les dessinateurs : « pourquoi pour moi c’est possible et pas pour un Afghan, un Soudanais, un Érythréen… ? », ce reportage graphique se double d’un hommage d’une grande humanité pour ces nombreuses personnes qui aident, nourrissent et rassurent leurs prochains.
La même année, le courage des sauveteurs de l’ONG SOS Méditerranée est relevé avec A bord de l’Aquarius. Le scénariste Marco Rizzo et la dessinatrice Lelio Bonaccorso, tous deux auteurs de l’ouvrage, ont embarqué sur l’Aquarius, bateau dont la mission est de sauver les migrant-es en mer. La bande dessinée rend compte d’un quotidien risqué et donne la voie à un ensemble de témoignages divers et bouleversants, passant des voyageurs en exil jusqu’au personnel de bord.
Avec Les nouvelles de la jungle, la dessinatrice Lisa et la sociologue Yasmine ont quant à elles répondu à un appel lancé par un ensemble d’artistes, en se rendant dans la Jungle de Calais. Fruit d’un travail réalisé sur une année, les auteures témoignent de la détresse des hommes, des femmes et des enfants qui souvent ont fui la guerre et cohabitent dans le camp. Elles mettent également en lumière le travail quotidien des associations pour soulager la détresse de ces milliers de personnes.
S’intégrer
Ces témoignages graphiques permettent aussi bien souvent de prendre la mesure de conditions de vie et d’intégration difficiles. C’est par exemple le cas de la bande dessinée Les mains invisibles de l’auteur finlandais Ville Tietäväinen. Même si son personnage Rachid ne rêvait pas d’Eldorado et voulait juste envoyer de l’argent à sa famille restée au Maroc, rien ne l’avait préparé à aux conditions de travail d’exploitations agricoles si grandes qu’elles en deviennent visibles par satellite. Cette bande dessinée constitue un documentaire sombre qui rend compte du delta vécu par certains et certaines, entre le fantasme du pays d’accueil hospitalier et la réalité.
La dimension administrative est également mise en avant dans le parcours des personnes exilées. Dans le Petit manuel du parfait réfugié politique, le dessinateur de presse Mana Neyestani détaille la procédure que son épouse et lui ont entamé dès leur arrivée en France. Il leur faudra un an et demi de tracas pour obtenir leur statut de réfugié politique. Un témoignage à la première personne réalisé par un iranien, qui après avoir affronté la dictature découvre le système administratif français.
La bande dessinée Immigrants ne compte pas moins de 13 dessinateurs (Étienne Davodeau, Christian Durieux, Benjamin Flao, Manuele Fior, Christophe Gaultier, Simon Hureau, Étienne Le Roux, Kkrist Mirror, Jeff Pourquié, Diego Doña Solar, Troub’s, Sébastien Vassant), couchant sur le papier les témoignages recueillis par le scénariste Christophe Dabitch. Les parcours individuels d’intégration de migrants et de migrantes ayant trouvé asile en France sont éclairés par 6 historiens spécalisés dans les questions migratoires.
Cette proposition de lecture, loin d’être exhaustive, montre à quel point les enjeux mais également les investissements artistiques se veulent forts sur le thème de la migration. Les angles de vue singuliers portés sur cette thématique unique apportent un éclairage sur les quotidiens difficiles et des équilibres fragiles de personnes, souvent présentées ici comme des héros, en quête d’une terre d’accueil.
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