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Chronobiologie : des rythmes du vivant à la chronothérapie

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - par Dpt Sciences

L’attribution en 2017 du prix Nobel de médecine aux 3 scientifiques Jeff Hall, Michael Rosbach et Michael young pour leurs recherches sur l’horloge interne et les rythmes circadiens a jeté un véritable coup de projecteur sur le champ de la chronobiologie. En effet, selon le comité Nobel, « leurs découvertes expliquent comment les plantes, les animaux et les êtres humains adaptent leur rythme biologique pour qu'il se synchronise avec les révolutions de la Terre autour du soleil ». Mais qu’est-ce que la chronobiologie ? Qu’est-ce que le rythme circadien qui régit l’horloge biologique des hommes et quels effets ses dérèglements peuvent avoir ? En quoi consiste la chronothérapie ? Petit focus sur un domaine de recherche qui a connu un véritable boom au cours de ces dernières années.

Horloge astronomique de Prague (G.Hobster-Pixabay)
Horloge astronomique de Prague (G.Hobster-Pixabay)

Les rythmes du vivant

« La vie est rythmes »

La chronobiologie correspond à l’étude des rythmes biologiques (variation périodique d’une fonction physiologique) dans l’organisme.

Comme le souligne le professeur Albert Goldbeter (professeur émérite à la faculté des Sciences de l’Université libre de Bruxelles) : « Respiration, battements du cœur, cycle du sommeil, ovulation : la vie est rythmes. Des oscillations sont observées à tous les niveaux de l’organisation biologique, avec des périodes couvrant plus de dix ordres de grandeur, de la fraction de seconde à la dizaine d’années. »

Les rythmes biologiques jouent donc un rôle majeur dans le fonctionnement des organismes vivants. Ils permettent à l’organisme d’anticiper un évènement prévisible et régulier, lui donnant la capacité de s‘adapter au changement constant de son biotope.

Caractéristiques des rythmes biologiques

Un rythme biologique se caractérise par sa période et par son origine :

La période :

Selon la période prépondérante, la chronobiologie distingue trois grands domaines de rythmes :

  • les rythmes circadiens, d’une période équivalant théoriquement à un jour (24 heures), mais qui varie en réalité de 20 à 28 heures ;
  • les rythmes ultradiens, c’est-à-dire d’une fréquence plus rapide qu’un rythme circadien, donc d’une durée théoriquement inférieure à 24 heures (oscillations intracellulaires…) ;
  • les rythmes infradiens, c’est-à-dire d’une fréquence plus lente qu’un rythme circadien, donc d’une période supérieure à 24 heures (rythmes saisonniers : floraison des plantes, reproduction des animaux…).

L’origine :

Il existe 2 origines distinctes aux rythmes biologiques, qui peuvent parfois se compléter :

  • l’origine endogène, c’est-à-dire essentiellement génétique ;
  • l’origine exogène, c’est-à-dire qui vient de l’environnement externe (cycle jour/nuit, facteur social…).

Le rythme circadien et ses dérèglements

Le rythme circadien représente le rythme biologique par excellence. C’est le rythme le plus répandu chez les êtres vivants, depuis les plantes et les insectes jusqu’aux mammifères, y compris l’homme.

Ce rythme, d’une durée de 24h environ et caractérisé par un rythme veille/sommeil, est endogène. Presque toutes les fonctions biologiques y sont soumises.

Une horloge centrale et des horloges périphériques

Notre rythme circadien est régulé par une horloge principale qui contrôle de nombreuses horloges secondaires nichées dans le cortex et les organes périphériques (foie, coeur…).

L’horloge interne centrale, qui impose le rythme circadien, est nichée au cœur du cerveau. 

« Chez l’homme, cette horloge se trouve dans l’hypothalamus. Elle est composée de deux noyaux suprachiasmatiques contenant chacun environ 10 000 neurones qui présentent une activité électrique oscillant sur environ 24 heures. Cette activité électrique est contrôlée par l’expression cyclique d’une quinzaine de gènes « horloge ». Les noyaux suprachiasmatiques régulent ensuite différentes fonctions de l’organisme grâce à des messages directs ou indirects. Ils innervent directement et indirectement des régions cérébrales spécialisées dans différentes fonctions comme l’appétit, le sommeil ou la température corporelle. Ils entraînent en outre la production cyclique d’hormones agissant à distance, sur d’autres fonctions.»

Chronobiologie ⋅ Inserm, La science pour la santé

Les horloges périphériques sont présentes dans tous les organes et tissus aux fonctions essentielles : cœur, poumon, foie, muscles, reins, rétine, différentes aires du cerveau (cervelet, lobe frontal…).

Un rythme régulé par des mécanismes internes et externes

Les dernières recherches nous ont montrés que le rythme circadien est contrôlé à la fois par des mécanismes cérébraux situés dans l’hypothalamus et par les stimuli de l’environnement.

L’horloge principale règle donc en interne les cadences périphériques par des influx nerveux, des productions d’hormones…, mais elle est aussi sensible à des signaux extérieurs qui viennent la resynchroniser en permanence sur un cycle de 24h. Le principal agent extérieur est la lumière ambiante (naturelle ou artificielle).

C’est la mélanopsine, une protéine sensible aux photons que l’on retrouve dans les cellules ganglionnaires de la rétine, qui capte la lumière pour transmettre ensuite le signal aux noyaux suprachiasmatiques et à l’horloge interne principale.

(Tookapic – Pixabay)

Les repas participent aussi à réguler nos horloges biologiques et notamment nos horloges secondaires.

Les dérèglements du rythme circadien

En perturbant notre rythme veille/sommeil nos modes de vies participent à désynchroniser nos horloges circadiennes.

Différents facteurs externes sont à l’origine de ces troubles, entrainant des effets plus ou moins néfastes sur notre santé :

  • La lumière

La lumière est le plus puissant désynchronisateur. Une exposition tardive à la lumière va retarder l’horloge interne (en inhibant la sécrétion de mélatonine, l’hormone du sommeil), l’endormissement puis le réveil.  L’exposition à la lumière bleue des écrans  (d’une intensité plus forte que la lumière blanche) ainsi qu’à celui de l’éclairage urbain seraient à l’origine de nombreux troubles, notamment des troubles du sommeil et de l’humeur. Elle participerait aussi à augmenter le risque de troubles métaboliques (surpoids, obésité, diabète).

Lumière et Rythmes – POM Bio à croquer – Inserm
  • Les repas 

Différentes expériences menées auprès de rongeurs ont démontrées que le rythme des prises alimentaires pouvait perturber les horloges biologiques et affecter le fonctionnement de l’organisme. S’alimenter en horaires décalés (et notamment sur la période de repos) peut entrainer diverses pathologies.

  • Le travail de nuit 

Selon l’Inserm : « Le travail de nuit induit une désynchronisation de l’horloge biologique en raison des changements d’exposition à la lumière et d’une dette de sommeil. Une récente expertise collective de l’Anses (2016) confirme l’augmentation du risque du cancer du sein chez les femmes exposées et va plus loin encore en concluant que le travail de nuit est un facteur de risque probable de cancer en général. »


La Chronothérapie

Médecine traditionnelle chinoise et chronobiologie

Alors que la prise en compte de la chronobiologie dans la médecine occidentale est assez récente, les orientaux et notamment la médecine traditionnelle chinoise ont intégrés ces notions de rythmes très tôt dans leurs pratiques.

En effet, la médecine traditionnelle chinoise est organisée autour de la notion d’énergie vitale (le Qi), qui circulerait dans nos corps en empruntant des canaux appelés méridiens, selon un cycle de 24h. En circulant dans notre organisme, le Qi viendrait « nourrir » les organes. Par ailleurs, ces cycles peuvent évoluer au cours de l’année et sont soumis aux changements saisonniers. La médecine traditionnelle chinoise propose donc une lecture originale des relations entre les différents rythmes naturels qui est intégrée dans ses protocoles de soin.

Chronothérapie

Suite à la mise en lumière de l’importance de nos rythmes chronobiologiques et de leurs impacts sur notre santé, la médecine évolue et une nouvelle approche plus personnalisée se profile.

La chronothérapie se retrouve de plus en plus utilisée pour ajuster les thérapies mais aussi pour proposer de nouveaux traitements tels que la photothérapie.

  • La chronopharmacologie

L’approche chronopharmacologique en oncologie (dont le précurseur est le Dr Francis Lévi, ancien directeur de l’unité Rythmes biologiques et cancers à l’hôpital Brousse de Villejuif, et actuellement directeur du groupe Chronotherapy à la Faculté de Médecine de Warwick (Royaume-Uni)) a permis d’identifier des schémas horaires d’administration optimale des chimiothérapies afin d’accroître leur efficacité et de réduire leur toxicité.

Plus récemment, la découverte que l’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge interne pourrait amener à améliorer l’efficacité des traitements antalgiques selon le même procédé.

  • La photothérapie

La photothérapie (anciennement luminothérapie) consiste à exposer l’individu à une lumière d’une intensité donnée sur une durée précise.  Elle est devenue le traitement de référence pour certains troubles du rythme circadien, notamment les troubles du sommeil mais aussi les troubles de l’humeur ainsi que de l’anxiété et des dépressions.


Bibliographie

Au cœur des rythmes du vivant : la vie oscillatoire / Albert Goldbeter

Remettez vos pendules à l’heure ! : mieux vivre grâce à la chronobiologie / Dr Patrick Lemoine

Ma bible de la chronobiologie / Dr Yann Rougier, Marie Borrel

Etienne Challet, C’est notre corps qui donne le tempo, La Recherche, n°566, Juillet-septembre 2021, pp 42-46.

Prix Nobel de médecine 2017 : le rythme, c’est la vie

Chronothérapie : une médecine en temps et en heure

Rythmes du vivant : des horloges pour tous les temps

L’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge interne

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