Prendre le temps ?

L’Horloge de Tassin-la-Demi-Lune : une heure très politique

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 19/12/2024 par dcizeron

L'horloge monumentale de Tassin-la-Demi-Lune, construite au début du XXe siècle, est devenue emblématique de la commune. Le maire à l'origine de sa construction, Etienne Marin, voulait la voir trôner au milieu de la place Vauboin, au carrefour des grandes avenues, pour que la République soit maîtresse des horloges.

Sylviane Blanchoz-Rhône, BML, P0733 001 00087,
Sylviane Blanchoz-Rhône, BML, P0733 001 00087, Horloge de Tassin-la-Demi-Lune.

Une horloge à Tassin

Dès 1904, Étienne Marin, premier magistrat (1903-1908) de la commune de Tassin-la-Demi-Lune lance le projet de construction d’une horloge monumentale à quatre faces, au point de jonction des routes de Lyon à Paris et à Bordeaux. Il demande à deux jeunes architectes, Adrien Robert et Auguste Chollat de réfléchir à un avant-projet. Cet avant-projet est admis à figurer à l’exposition du Salon lyonnais début 1905.

Il est ensuite approuvé lors d’un conseil municipal à la fin de l’année 1906. La construction sur des fonds communaux auxquels s’ajoute une souscription publique pour un montant total de 16 000 francs est validée. (La Construction lyonnaise, 1 décembre 1906).

La pose de la première pierre par Charles Lutaud, préfet du Rhône, a lieu le 23 juin 1907 en présence d’Edouard Herriot, maire de Lyon, Edouard Millaud, sénateur, et Paul Cazeneuve, député.

En novembre de la même année, on inaugure la pose de l’horloge. Cette succession de célébrations officielles témoigne bien de l’importance du monument.

Quelle horloge !

La Construction lyonnaise du 1 mars 1905, dressant un compte-rendu des œuvres et objets présentés à l’exposition du Salon lyonnais, évoque à la vue de l’aquarelle représentant l’horloge monumentale de Robert et Chollat, une « génèse brillante ». L’architecture de l’horloge est en effet audacieuse. Elle s’élève au sommet d’une colonne octogonale en pierre de taille de Saint-Martin-Belle-Roche, reposant sur une assise de béton qui servait autrefois de banc aux piétons. A l’intérieur du fût, une échelle permettait d’accéder au mécanisme.

Le monument, de style Louis XVI fortement modernisé, est d’une hauteur totale de 13m50.

La Construction Lyonnaise, 1 octobre 1907, BML, 950029.

Les sculptures de l’horloge sont l’œuvre du statuaire Pierre Devaux, enfant de la Demi-Lune. La partie supérieure est décorée d’éléments en fonte. Sous chacun des quatre cadrans se trouve un masque d’Apollon prolongé par des nuées rayonnantes. Chaque cadran est surmonté d’un hibou aux ailes déployées, symbolisant la nuit et le repos. Aux quatre angles sont sculptés des faisceaux bagués en forme de carquois, contenant les flèches du temps. De grands motifs floraux forment des pendentifs. Le monument est recouvert d’un campanile ajouré, couvert d’un dôme.

Les cadrans et le mécanisme sortent de la Maison Charvet à Lyon, bien connue des Lyonnais pour son « horloge aux Guignols » installée depuis janvier 2021 sur la façade de l’Hôtel de Gadagne.

Bertrand Riotord, Lyon Figaro, BML, sc.

L’inauguration

L’horloge est inaugurée le 5 avril 1908, le même jour que le nouveau groupe scolaire appelé aujourd’hui groupe Marin. L’inauguration se déroule dans une atmosphère de fête populaire avec cliques et lampions. Au pied de l’horloge la foule entoure les officiels. Le Cercle choral de la Demi-Lune sous la direction de Claudius Forestier propose une cantate sur des paroles d’Édouard Belz, premier adjoint.

Tassin-la-Demi-Lune : fête pour l’inauguration de l’horloge, en avril 1908, Jules Sylvestre, BML, P0546 SA 19-12

Puis, en début d’après-midi, après trois kilomètres de défilés entre la mairie, l’école et l’horloge, un copieux banquet de trois cents couverts est servi à l’hôtel du Levant.

Le soir, la foule assiste aux illuminations électriques et à un feu d’artifice.

Un temps laïc et républicain

Selon la tradition locale, le maire aurait souhaité imposer à ses administrés une heure républicaine face à l’horloge de l’église Saint-Joseph qui se situait à trois cents mètres. L’horloge de Tassin-la-Demi-Lune se veut “laïque, républicaine et allégorique”. Son dôme avec cloche qui égrène les heures semble une concurrence directe aux cloches de l’église.

La construction de l’horloge de Tassin s’inscrit dans la continuité de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Etienne Marin, quincailler à la Demi-Lune, et maire depuis 1903 a tout du bouffeur de curé. Il est un fervent défenseur de l’école républicaine et le partisan d’un laïcisme intégral. Outre la construction d’une école laïque, il a œuvré à la suppression des processions religieuse de la Fête-Dieu, à la fermeture de l’école Saint-Charles, et à imposer l’habit civil pour les sœurs de l’école Saint-Joseph. Il se montrait en même temps beaucoup plus favorable aux processions des libres penseurs réunis au café du Vallon à Alaï.

Tassin-la-Demi-Lune : horloge et tramway, place Pierre-Vauboin, au début du XXe siècle, Jules Sylvestre, BML, P0546 SA 18-05

Cependant, ces velléités républicaines et laïques sont-elles la seule raison de l’emplacement de l’horloge. Ce n’est pas certain. Par deux fois, la Construction Lyonnaise suggère d’autres raisons :

  • La construction de l’horloge s’inscrit plus globalement dans un plan de réfection de la place de la Demi-Lune et de l’avenue de la République.
  • Le bâtiment de la mairie n’est pas assez central pour que l’adjonction d’une horloge rende quelques services aux habitants. (La Construction lyonnaise, 1 mars 1905).

L’horloge de Tassin est désormais inscrite aux Monuments historiques depuis le 2 août 2007.

Bibliographie

La Gazette de l’horloge, Groupe de recherches historiques de Tassin-la-Demi-Lune, 36, janvier 2010

Tassin-la-Demi-Lune, 1900-1940, Groupe de recherches historiques de Tassin-la-Demi-Lune, Tassin-la-Demi-lune, 1994.

Remy Méjat, Tassin-la-Demi-Lune, son histoire, son terroir, ses habitants, Ed. Horvath, Le Coteau, 1984.

« L’horloge de la place Vauboin : symbole de Tassin depuis 1908 », Le Progrès, 19 août 2016.

Vous êtes intéressés par l’usage des horloges comme instruments politiques. La bibliothèque municipale de Lyon, dans le cadre de l’événement « Prendre le temps ? » organise le 1 juin 2023 une rencontre avec Philippe Carry : « Horloges et pouvoir : une histoire du temps à Lyon ».

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