Le roman sentimental, une littérature populaire
Publié le 08/01/2025 à 11:38 - 7 min - Modifié le 14/01/2025 par AdM
La rentrée littéraire 2024 a vu exploser le genre de la New Romance, véritable phénomène éditorial. Il semble donc intéressant de se pencher sur la genèse des romans sentimentaux, de revenir sur la raison du succès des romans Harlequin avant leur déchéance pour comprendre ce nouvel engouement de la romance, notamment chez les jeunes.
Historique du roman sentimental
La presse et les technologies de la communication se développent au XIXe siècle, ce qui accélère la production des médias culturels et l’apparition d’un nouveau lectorat. Précurseure, l’Angleterre est la première à faire du livre un objet pour le grand public. Jane Austen est d’ailleurs considérée comme une pionnière du genre.
En 1740, Pamela ou la vertu récompensée de Samuel Richardson, un roman d’amour, devient un des premiers best-sellers.
Les romans feuilletons, qui apparaissent en France en 1840, permettent au roman populaire de voir le jour. Ainsi, le développement de la presse du cœur, qui édite des romances, popularise le genre. Dans le dernier quart du XIXe siècle, par peur de dérives morales, l’Eglise encadre la production du roman sentimental pour que les intrigues éduquent les jeunes filles au mariage.
Suite à la Première Guerre mondiale, le roman sentimental continue son ascension. Joseph Ferenczi, Jules Tallandier et Jules Rouff deviennent les principaux éditeurs. Ils produisent de multiples collections de petits romans, dont le format, la pagination et le coût modique les rendent accessibles à tous et toutes. Les intrigues sont codifiées et proposent des romances féériques éloignées de la vie quotidienne.
Les romans feuilletons, puis les romans-photos de la presse du cœur, participent à ce développement.
Le format sériel et les rebondissements font la force de ces feuilletons en maintenant l’intérêt du lecteur.
Dans les années 1970, l’éditeur canadien Harlequin bouleverse le paysage éditorial européen. Son nouveau directeur, W. Lawrence Heisey, s’inspire des ventes de produits de consommation et met en place un nouveau système marketing. Il réalise des études de marché sur les publics, développe l’effet de marque des collections, améliore la gestion des stocks, met l’accent sur la publicité et crée un système d’abonnement.
Les romans Harlequin s’arrachent dans le monde entier, toutefois la trame morale des romans ne suit pas l’évolution de la société et l’émancipation des femmes. En 1972, le roman moderne voit le jour, notamment avec Kathleen Woodiwiss qui propose des récits plus érotiques. Le genre se renouvèle et s’ouvre de plus en plus aux auteurs américains tels que Nora Roberts.
Les codes du genre
Dès le début du genre, le roman sentimental suit un schéma cadré. Les autrices développent la relation amoureuse d’un couple des premiers émois à la fin heureuse. Contrairement aux romans d’amour, le roman sentimental doit toujours finir par une fin heureuse. Les personnages secondaires, alliés ou ennemis, entourent le couple principal. Le récit s’articule autour des multiples épreuves- psychologiques, sociales, dramatiques ou encore policières – que le couple va devoir affronter sur le chemin de leur amour. L’intrigue fonctionne en trois temps. Le premier est celui de la rencontre, qui est souvent un coup de foudre ou une forte attraction. Puis suivent les différents obstacles dont la résolution aboutit aux temps du bonheur, souvent conjugal.
Barbara Cartland, reine du roman sentimental, suit depuis son premier livre en 1923 la même recette : une jeune fille vierge et naïve, d’origine simple, méritante, au prénom suranné (Vernita, Serena, Camera), finit, après de nombreux quiproquos et aventures, par épouser un aristocrate, plus âgé (trentenaire), beau, fortuné, homme d’expérience parfois blasé, toujours sensible. Elle dira : « Il y a une convention dans mes livres. L’héroïne ne doit pas aller au lit avant de porter l’anneau au doigt. »
Cette forte codification du genre s’accompagne d’une segmentation afin de correspondre à différents lectorats. Le lecteur doit être certain d’arriver au bonheur attendu tout en gardant une certaine nouveauté. Il existe ainsi de multiples sous-genres du roman sentimental :
- La romance contemporaine propose des romans d’auteurs en grand format. Il s’agit par exemple des romans de Marc Lévy ou Guillaume Musso.
- La romance historique ancre ces personnages dans une ère fantasmée. C’est le cas pour Les chroniques des Bridgerton de Julia Quinn.
- La romance à suspense suit une trame policière. Souvent l’héroïne, victime ou témoin, aide l’inspecteur à résoudre l’affaire.
- La romance surnaturelle intègre des éléments surnaturels, fantastiques ou de bit-lit tels que les loups garous ou les vampires. Le phénomène Twilight de Stéphanie Meyer en est un bon exemple.
- La romance érotique, que la série Cinquante nuances de Grey d’E.L. James a remis au goût du jour, place le sexe au centre de l’intrigue.
D’autres sous-genres existent encore tels que la romance universitaire, médiévale…
Un genre ayant une mauvaise réputation
Selon Paméla Régis, dans A Natural History of the Romance Novel (University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 2003), « la romance est le genre sentimental qui rencontre le plus de succès et le moins de respect ». Depuis ses débuts, le roman sentimental est un genre populaire déclassé. Le fait qu’il s’agisse d’une littérature ayant des sujets dits féminins, écrite majoritairement pour des femmes par des femmes, a pour conséquence une certaine stigmatisation. Pour certains ce n’est que de la littérature « pour bonnes femmes ».
Etonnamment, les progressistes et les conservateurs s’accordent sur une critique idéologique de ce genre. Ce genre aurait des effets néfastes sur l’imaginaire, notamment des femmes. Pour les uns, ces romances enfermeraient les femmes dans une logique de servilité économique et sociale, loin des combats de l’émancipation féminine. Pour les autres, ce genre entraînerait une dépendance et une obsession d’un lectorat fragile et malléable. Les romans comme la presse du cœur sont victimes de ce débat entre la culture de masse et celle des lettrés. À cela, une critique artistique s’ajoute car ce genre, du fait de la standardisation, serait dénué de tout processus créatif.
Toutefois, ces critiques sont à temporiser. Tout d’abord, une étude de l’Office de justification des tirages en 1955 dévoile que la presse du cœur, principalement composée de romances, est lue par 41% d’hommes et 59% de femmes. Il s’agit avant tout d’une lecture familiale, avec une proportion importante de personnes de 25 à 34 ans. Ensuite, le lectorat de l’époque, composé principalement d’une population active avec un niveau scolaire bas, souhaitait une lecture de distraction et de délassement. Ce genre ne s’est donc pas constitué en ayant pour objectif de grandes ambitions littéraires. Cependant, il a décliné peu à peu avant de retrouver un renouveau avec la New Romance.
Ainsi, le roman sentimental connaît un fort succès dans les années 1950 et 1980 grâce à l’expansion de la presse et à la diminution du coût des livres. La population active de l’époque souhaite une littérature plus proche, qui les distrait après une rude journée de travail. Certains titres deviennent des best-sellers ; cependant l’opinion générale déclasse cette littérature qui finit par être délaissée car ne s’adaptant plus aux envies du public. Les autrices de New Romance, souvent passionnées, avec un cursus universitaire, s’intéressent davantage aux questions de société et offrent un regain au roman sentimental. L’engouement de la New Romance, notamment chez les jeunes, semble avoir changé la vision du roman sentimental, qui n’a plus à se cacher sous la table. Mais pourquoi ce revirement ? Quel renouveau propose la New Romance par rapports à ces ancêtres Harlequin ?
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