La new romance, renouvellement et explosion du genre sentimental

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 04/02/2025 par AdM

Le succès de la New Romance bouleverse le monde de l’édition. Ce genre qui renouvelle le roman à l’eau de rose de nos grand-mères connaît un succès fou autant dans le numérique que dans les librairies. De quelle manière et pourquoi ce style littéraire connaît un si grand engouement alors que son ancêtre était tombé en désuétude, étiqueté comme inférieur ?

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Un phénomène d’édition

Une explosion des ventes

Venue des Etats-Unis, la New Romance dépoussière l’image péjorative de la romance. En 2023, la New Romance représente 7% du marché, sans compter les ventes numériques (chiffres de GfK Nielseniq). En 2023, 6.5 millions de titres ont été vendus soit deux fois plus qu’en 2022. Le Pass Culture, qui permet aux adolescents de moins de 18 ans d’avoir des crédits pour acheter des biens culturels, favorise aussi l’augmentation des chiffres de ventes. Effectivement, le lectorat cible originel des 18-35 ans s’est déplacé vers les 13-35 ans.

Un paysage éditorial restreint en mutation

Leader du marché en raflant 60% selon son directeur général, Arthur de Saint Vincent, Hugo Publishing se lance le premier en France. Encouragé par le succès mondial de Cinquante nuances de Grey de L.E. James, Hugues de Saint Vincent dépose la marque « New Romance » et édite en 2013 Beautiful Bastard de Christina Laurent, qui connait un certain succès. Mais le pari est gagnant avec After d’Ann Todd, qui se vend à 5 millions d’exemplaires en France en 2015. Autre autrice phare du groupe, Morgane Moncomble totalise à elle seule 10 à 15% du chiffre d’affaires d’Hugo Publishing. Chiffre d’affaires qui devrait avoisiner les 80 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 95% selon la maison d’édition.

Face à ce phénomène, de nouveaux éditeurs se lancent dans la course. Quatre éditeurs font leur entrée sur le marché en septembre 2024 : Fayard (Hachette Livre), Le Seuil (Media Participations), Le groupe Madrigal (Gallimard Flammarion) et le groupe Editis. Isabella Saporta, PDG de Fayard, se dit enthousiaste mais réaliste : « On ne réussira jamais à concurrencer les pionniers mais il faut qu’on se lance en gardant l’ADN de la maison ». Leur trame directrice sera donc la new romance féministe avec « des héroïnes fortes, combatives et non soumises ».

La romantasy, nouveau filon

Avec l’arrivée de ces acteurs, les autrices développent de nouveaux genres pour toucher des publics divers. C’est notamment vers la « romantasy » que les éditeurs se tournent. Ces romances se déroulent au sein de mondes fantastiques avec leurs lots d’aventures et d’intrigues politiques. Hugo Publishing compte d’ailleurs investir dans ce nouveau genre, dont il vient de déposer le terme à l’Inpi. La sortie de Fourth Wing de Rebecca Yarros tiré à 200 000 exemplaires démontre cette nouvelle ambition.

Renouvellement du genre sentimental ?

Les intrigues et les personnages de New romance restent similaires au roman sentimental incarné par la maison Harlequin. Toutefois, certaines variations, qui rapprochent davantage les héroïnes des problématiques de leur lectorat, expliquent ce nouvel essor.

Une romance plus en accord avec l’époque

Les personnages principaux sont plus complexes avec un passé trouble et les personnages secondaires sont plus consistants. De plus, l’intrigue est plus élaborée et met en avant certaines problématiques sociétales (le harcèlement scolaire, la santé mentale, les troubles alimentaires…) tout en incorporant des scènes plus érotiques.

Selon Alice Béja, « Le fait que les héroïnes des romances érotiques contemporaines soient plus indépendantes, moins confinées à la sphère domestique que leurs aînées, peut être lu comme un épiphénomène plutôt qu’une transformation radicale du genre. Cela est en partie lié à l’évolution de la place des femmes dans les sociétés occidentales, nécessitant une adaptation de la littérature qui leur est destinée afin de faciliter l’identification avec les protagonistes et d’assurer ainsi le succès des ventes.[…] Il y a donc une dimension générationnelle à ces transformations : les lectrices sont demandeuses de personnages féminins forts qui ne se soumettent pas aveuglément aux désirs de l’homme, vivent leur propre vie, voyagent, travaillent et revendiquent une certaine indépendance. »

Une dimension sexuelle assumée

De même, la relative démocratisation de la dimension sensuelle ou érotique reflète l’attente des lectrices. Magali Bigey, maîtresse de conférence en science de l’information et de la communication à l’université de Franche-Comté et spécialiste de la romance depuis vingt ans, explique cette espérance. Les lectrices chercheraient à lier « une littérature jeunesse asexuée et les contenus pornographiques auxquels elles ont pu être confrontées ». Toutefois, ces scènes de sexe pimentent l’histoire d’amour, sans forcément la faire avancer. Pour Magali Bigey, « à cet âge-là, on se construit intellectuellement, psychiquement et sexuellement aussi. On trouve dans ces romans un mélange d’amour vrai et de sexe. C’est explicite mais il n’y a pas de scènes de sexe prétextes ».

En majorité, les relations sexuelles sont très codifiées et peu ou prou les mêmes d’un roman à l’autre. La New romance met en scène des fantasmes assez convenus dont le schéma est presque immuable. Il s’agit majoritairement de relations hétérosexuelles, souvent entre personnes non racisées, où l’homme reste plus âgé et expérimenté que sa compagne. Les romances MxM tendent à se développer, notamment avec la fanfiction, mais restent minoritaires en France. Ainsi, bien que pas forcément problématiques en termes de sexe explicite, ces scènes restent représentatives de certains préjugés et d’une domination présente dans la société.

Une littérature addictive

Au-delà de l’intrigue, ce qui fait le succès du genre est le style d’écriture. Les autrices privilégient les phrases courtes, beaucoup de dialogues et une écriture à la première personne. Les points de vue internes des deux protagonistes principaux se succèdent de plus en plus. Afin de renforcer le sentiment d’identification, les personnages sont également proches de l’âge des lecteurs . Et les nombreux bouleversements font de ces fictions de véritables page-turner.

« Il y a un vrai ressort narratif qui consiste à faire subtilement monter la tension pour qu’elle arrive à son paroxysme en fin de chapitre. Du coup, pas le choix, il faut aller au chapitre suivant et ainsi de suite. C’est presque de l’ordre de l’addiction. Celles qui sont tombées dans la New Romance dévorent ces sagas et peuvent lire 2 500 pages en quelques semaines à peine. »

Magali Bigey

On retrouve aussi dans ce genre des tropismes identifiés en ce qui concerne les dynamiques du couple (enemies-to-lover, slow burn, amour interdit, coup de foudre, premier amour, triangle amoureux…). Le milieu dans lequel évolue la relation fait également partie des codes du genre : romance universitaire, romance au bureau, romance de vacances, romantasy… Facile d’accès, cette littérature permet de goûter plus facilement au plaisir de la lecture pour les non-initiés. Preuve en est, une lectrice sur trois le devient en découvrant la romance selon une étude Babelio. Les lectrices adoptent des modes de lecture différentes, jugent la qualité des intrigues et peuvent produire un discours réflexif sur leurs lectures.

Histogramme donnant la part approximative des romances dans les lectures des lecteurs de romance

Toutefois, ce succès est aussi dû à une nouvelle manière de valoriser les romans auprès du public.

Réseaux sociaux et proximité du lectorat

Une promotion 2.0

La grande nouveauté avec la New Romance est le marketing et la publicité faits autour des titres. Comme au XIXe siècle avec la presse du cœur, les maisons d’édition utilisent les nouveaux médias pour faire connaître ou même repérer les prochains auteurs à succès. La plateforme TikTok est devenue le premier moyen de communication pour la New Romance.

Selon Livre Hebdo, Hugo Publishing n’utilise plus de services de presse mais promeut ses titres directement par le biais de tiktokeuses, véritables prescriptrices auprès de leurs communautés. «On a rapidement compris qu’on s’adressait à des communautés, avec des codes calqués sur ceux des réseaux», déclare Arthur de Saint-Vincent. La maison s’est dotée au fil des ans d’une équipe d’une quinzaine de communicants chargés d’animer les réseaux, des rencontres physiques très prisées des lectrices, des serveurs vocaux Discord autour des séries et une plateforme dédiée à l’écriture de romances. La maison d’édition va même lancer une nouvelle revue, le «New Romance Magazine».

La création d’une communauté

Les lectrices entre elles, avec les tiktokeuses ou les autrices, créent un effet de communauté. L’anonymat des autrices qui écrivaient à la chaîne, pratique qui n’a pas pour autant disparu, a laissé la place à une célébrité revendiquée, orchestrée par les maisons d’édition et les autrices elles-mêmes.

« Le monde de la romance adopte ainsi les codes de la célébrité dictés à la fois par les réseaux sociaux et par le monde de l’audiovisuel – les romans se déclinent en « saisons » et l’écriture est parfois proche du scénario, l’objectif des plus grands succès étant l’adaptation au cinéma. »

Alice Béja

Un Festival New Romance existe d’ailleurs depuis quelques années et accueille de plus en plus de de monde. Morgan Moncomble en décrit l’ambiance : « C’était incroyable ! Des milliers de gens tous très passionnés, très fans, très impliqués. C’est une communauté comme je n’en connais pas ailleurs dans le monde de l’édition. On y trouve majoritairement des filles, mais il y a de plus en plus de garçons, y compris chez les auteurs, tel Kentin Jarno, un de mes meilleurs amis. Les lecteurs et les lectrices se confient beaucoup. On nous écrit des lettres, on nous tricote des choses, on nous donne des cadeaux – j’en reçois même pour mon chien ! Le Festival New Romance est un câlin collectif, une bulle qui permet de s’échapper de la vie quotidienne. Tabous et jugements restent à la porte. C’est cosy, cool, on s’aime tous, c’est très Bisounours. »

Porosité du genre

De lectrice à autrice

Outre les réseaux sociaux comme TikTok ou YouTube, la New Romance a fait son apparition à travers des plateformes d’écriture ou d’autoédition en ligne. Ces plateformes collaboratives, comme Wattpad ou Fyctia, permettent de publier chapitre par chapitre son histoire. « Le moyen idéal pour une fille timide comme moi de savoir ce que valait mon écriture » confie Morgane Mocomble. Cet échange direct avec le lectorat renforce le sentiment d’appartenance du lecteur tout en permettant à l’autrice de faire évoluer son histoire en fonction des retours, si elle le souhaite. Cette sorte de phase de test profite aux éditeurs qui peuvent estimer à l’avance si un titre a des chances de fonctionner. « Dès qu’un texte frémit sur Wattpad, tout le monde se jette dessus » décrit Marie Legrand Cochin, directrice du label BMR d’Hachette.

Cette porosité entre lectrices et autrices se retrouve aussi de par leurs intérêts communs, ces dernières se montrant souvent avides lectrices de littérature sentimentale. Certaines sont même d’anciennes lectrices de Wattpad qui décident de se lancer. Il est donc malaisé de faire la part entre contraintes externes imposées par les éditeurs et intériorisation des normes par les autrices de New Romance.

Intégration de stéréotypes intériorisés

D’un titre à l’autre, on retrouve le même type d’intrigue, de personnages, de modes d’écriture. Les protagonistes sont une jeune femme et un jeune homme – la plupart du temps plus âgé que l’héroïne – tous deux marqués par une blessure. Dans After, le protagoniste masculin, Harding, a un père violent et alcoolique qui abandonne sa mère dans la pauvreté avant de refaire sa vie avec une autre. «La blessure secrète de l’homme doit […] être plus profonde que celle de la femme ». Les personnages masculins ont souvent quelque chose du bad boy, qu’ils soient homme-à-tout faire, PDG ou étudiant.

Quant aux jeunes femmes, elles ont souvent un caractère affirmé : elles répondent, s’énervent, se moquent. Toutefois, et bien qu’elles s’en défendent parfois, elles restent en quête du grand amour. Selon Nelly Sanchez, spécialiste de la littérature érotique, « c’est la femme qui décide, mais la féminité est toujours la même. Barbie a le permis de conduire». La nantaise Joyce Kitten, autrice des darkromances, Borderline et Toxic, est consciente de l’influence que les schémas dominants intégrés peuvent avoir sur son écriture.

« Je pense qu’il faut laisser les femmes lire et écrire ce qu’elles veulent. On reprend rarement les hommes sur leurs fantasmes ou leur consommation de pornographie, ou on occulte le fait que l’imaginaire féminin est parcouru par la domination masculine… ne nous étonnons pas que cela ressorte dans notre littérature. »

Joyce Kitten

Un lectorat lucide

Cette critique d’une littérature trop stéréotypée qui montre une vision archaïque du couple, et qui parfois se justifie malgré l’ambition de certaines autrices de sortir du carcan, continue donc de coller à la peau de la New Romance bien qu’elle diminue. Toutefois, la problématique est que cette critique des œuvres glisse parfois sur les lectrices.

Comme l’explique la bibliothécaire Hélène Certain, qui a installé une « étagère à romances » à la bibliothèque Louise Michel, dans le XXe arrondissement de Paris, « cette question des stéréotypes n’est pas forcément posée pour les autres littératures de genre qui en véhiculent tant et plus. Comme si c’était plus dangereux pour ces ouvrages-là car le lectorat est massivement féminin (et donc incapable de faire la part des choses ?)». Il est important de faire la distinction entre la pratique de lecture et le texte lu, c’est notamment le cas avec le nouveau genre de la darkromance qui demande une certaine vigilance.

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