Littérature de terroir
Le roman de terroir, ou la mauvaise réputation
Le retour à la terre ou l’attrait d’une littérature de terroir // Vendredi 29 novembre / 18h / Bibliothèque Lyon Part-Dieu
Publié le 23/11/2024 à 16:53 - 24 min - Modifié le 29/12/2024 par B. Yon
Le roman de terroir, cet objet littéraire dédaigné par certains et plébiscité par d’autres, recèle davantage de complexités qu’on ne l’imagine. Son succès populaire reste une énigme pour l’intelligentsia française. Serait-il un signal supplémentaire de la scission entre monde rural et monde urbain ? Est-il un objet plus politique qu’il n’en a l’air, ou simplement une nostalgie bienveillante d’un passé regretté et idéalisé ? Nous allons tenter de dépoussiérer le roman de terroir et vous démontrer qu'il est moins manichéen qu'il n'y paraît
Le terroir : des cultures liées à un milieu naturel
Roman champêtre, roman rustique, roman rural, roman paysan, roman de terroir, roman régionaliste. Toutes ces appellations désignent un seul et même style : la littérature du terroir.
Une brève définition est donnée par Wikipédia :
On désigne par l’expression littérature de terroir une forme de littérature ancrée dans des traditions régionales. On parle aussi quelquefois de régionalisme (mais ce terme désigne aussi des courants régionaux dans les domaines politiques et linguistiques).
Mais alors, les grandes villes de nos régions ne recèlent-elles pas de traditions qui sont régionales ? Prenons comme exemple une tradition que nous connaissons bien à Lyon : Le mâchon lyonnais. Ce repas pris au petit matin par les ouvriers de la soie après leur longue nuit de labeur. Ce casse-croûte matinal servi dans les restaurants traditionnels. Il se compose de cochonnaille, de fromages, et de pots de beaujolais ou mâconnais. N’est-ce pas une tradition régionale ?
Il est intéressant d’apporter en complément une définition de ce qu’est le « terroir » pour y voir plus clair. D’après le site du Museum d’Histoire Naturelle, nous pouvons lire :
Le terroir est un « concept typiquement français (à tel point que le mot est rarement traduit dans les autres langues). [Il] est, d’après la définition officielle de l’UNESCO, « un espace géographique délimité défini à partir d’une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques, fondés sur un système d’interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains ».
D’après cette définition, on peut statuer que le roman de terroir se place dans la ruralité de nos régions. Non dans les grands centres urbains. Il est proche d’un milieu naturel spécifique dont découlent des savoir-faire uniques.
Cela nous permet de délimiter un espace dans lequel cette littérature se situe.
Littérature de terroir : un même terme pour des styles différents
Apparu au début du 20e siècle, ce courant littéraire est l’héritier des grandes fresques romanesques du 19ème siècle. Il a eu ses auteurs et autrices illustres. Georges Sand est l’autrice qui représente le mieux ce style. Avec La mare au diable, roman dit champêtre publié en 1846. Ici, Georges Sand place son intrigue amoureuse au cœur du monde paysan berrichon. Le monde rural y est certes idéalisé, pour répondre aux exigences du récit romanesque. Mais certaines descriptions comme le mariage paysan sont fidèles à la réalité de l’environnement.
Au début du 20ème siècle, des auteurs nés avec cette littérature s’en emparent pour en faire un objet plus authentique. Basé sur des réalités de territoires. Réalités de l’ordre des traditions, comme les modes de vie, le travail, les savoir-faire, et réalités d’ordre folklorique, comme les croyances locales, les mythes et les légendes.
Dominique Viard, dans Le roman français au XXe siècle, dans un chapitre intitulé « La veine rustique », nous parle de ce tournant :
À côté de ces grandes figures d’un roman de la terre [Jean Giono, Charles-Ferdinand Ramuz], d’autres écrivains entretiennent la veine « rustique » dont Georges Sand avait esquissé le modèle : Alphonse de Châteaubriand qui dessine dans La Brière (1923) une figure d’homme des marais aussi étrange que singulière, Maurice Genevoix qui reçut, grâce à Raboliot, évocation d’un braconnier de Sologne, le prix Goncourt de 1925, Henri Pourrat, célèbre auteur de Gaspard des montagnes, saga d’un brigand au grand cœur. Mais ces derniers ne sont pas vraiment des inventeurs de langue ni d’univers : ils puisent aux légendes du terroir, ils transposent le langage du cru et sont les vrais écrivains régionalistes. Alors que Ramuz et Giono retiennent du canton de Vaud et de la Provence une puissance évocatrice qui excède la réalité des lieux et favorise l’ampleur épique.
Dans l’ouvrage Paysans publié en 1977, Yvon Keranguéven décrit le rapport des français à cette littérature et à ce qu’elle représente :
Qu’est-ce que cette littérature rurale et provinciale ? Sans négliger la multiplicité de poètes locaux et régionaux, français ou patoisants, et de talents divers, on peut la considérer comme une littérature essentiellement vouée à la prose : elle a produit des contes, des nouvelles, des pièces de théâtre, mais son genre de prédilection reste le roman qu’on appellera indifféremment (sans nier les nuances que recouvrent ces différents termes) : roman-paysan, roman rustique, roman du terroir, roman provincial, roman régional ou régionaliste, roman de pays, etc. Cette littérature se trouve généralement classée dans ce qu’il est convenu d’appeler (par quelque jargon critique qui n’est pas lui-même de premier ordre!) littérature « de deuxième ordre » ou « de seconde zone ». Ce ne serait en fait que par son thème, son sujet ou, pour mieux dire, sa matière, que cette littérature ne pourrait se prévaloir d’être un genre « noble ». Le roman, qu’il soit populaire ou non, quant à lui n’a que peu d’accointances avec le folklore et la culture populaire rurale ou provinciale à leurs origines et jusqu’au XIX siècle : en tout cas, en tant que forme ou genre littéraire spécifique, qui d’une certaine façon fonde la littérature comme culture, il ne semble rien devoir à ce folklore et à cette culture populaire et rurale. Force est de constater toutefois qu’il s’est fort bien accommodé de cette matière : à bien des égards, le roman rustique et provincial apparaît en effet comme un substitut de la sociabilité rurale que les « ethnologues de l’intérieur » redécouvrent aujourd’hui et dont le support essentiel était la férialité folklorique. Entre le roman du terroir et le terroir du roman — est-ce hasard, est-ce raison? — une symbiose a pu se réaliser comme si le roman était à l’échelle du terroir et la sociabilité du terroir à la mesure du roman. Cela est si vrai, qu’entre 1900 et 1950, le monde rural dans sa quasi-totalité, par une curieuse métamorphose de l’alchimie sociale, devient littérature. 1900, 1914, 1920, 1930, 1940… : plus le nombre des ruraux diminue, plus l’inflation littéraire rustique croît. En 1945, comme la quasi-totalité du monde rural est (qu’on nous pardonne l’expression) « passée en littérature », la production littéraire rustique chute et stagne, pour ne connaître que des regains limités. Entre cette littérature et la société, le rapport est inversement proportionnel : le paysan accède à l’existence littéraire à mesure que les campagnes se dépeuplent. De plus — c’est un trait qu’on ne note pas suffisamment — la littérature rurale est une littérature sur le monde rural : ce n’est pas une littérature qui utiliserait les ressources de la culture paysanne et populaire. Il existe un mode culturel paysan, le folklore, avec ses rythmes, ses chants, ses contes qui s’apparente à une littérature : il reste ignoré de cette littérature sur le monde rural, ou n’y intervient que de façon… folklorique. Pour cette raison aussi, c’est par rapport à la société du terroir, et sa sociabilité propre que la littérature rurale prend son sens (et non dans son rapport à sa culture).
Pourquoi cette mauvaise réputation ?
Depuis ses débuts, la littérature dite “de terroir” à mauvaise presse. Sous couvert de piètres qualités littéraires, on lui reproche surtout ses sujets trop passéistes, sa nostalgie d’un monde disparu, son refus du progrès, son manque de modernisme. Pourtant, de grands auteurs s’adonnent à ce style littéraire, et les succès commerciaux ne sont plus à démontrer ! Pagnol, Signol, Michelet, Anglade, Bourdin, et bien d’autres encore sont plébiscités, avec de surcroît un lectorat fidélisé dès les premières parutions.
La fracture française opposant monde rural et monde urbain se ressent fortement dans le monde littéraire, comme dans d’autres domaines. Une forme de défiance réciproque s’exprime.
À nouveau dans Paysans, d’Yvon Keranguéven :
C’est par ses prises de position contre le progrès, contre le développement industriel et urbain que ce bucolisme avoue ses préoccupations sociales, et aussi, pour une bonne part, ses origines sociologiques. La littérature ici se fait réquisitoire, les romanciers se font alors les porte-parole avant la lettre de thèmes « écologistes », et sont l’écho de revendications informulées qui ne passaient pas encore par les instances politiques.
Une critique des villes dans une analyse où le cadre urbain serait fustigé en tant que tel peut paraître infiniment suspecte. Elle conduirait à dresser l’un contre l’autre le monde rural et le monde urbain comme s’il y avait entre eux quelque antagonisme. Il reste que dans les mentalités, dans l’idéologie des contemporains, la ville a soulevé non sans raisons des résistances, et quelle qu’ait été leur ampleur ou leur diffusion générale, force est de constater qu’elles s’expriment en particulier dans les romans rustiques.
Les griefs contre la ville peuvent être le fait du paysan. Il est surtout sensible à la différence idéologique qui le sépare du citadin : le vêtement, la façon de s’exprimer, les habitudes, l’allure générale, l’aspect physique. Le Père Bertin, à la ville, se sent regardé par « les demoiselles de magasin, les employés de bureau », avec leurs « regards curieux, nuancés d’ironie » (Guillaumin).
Pascalou Mérigal, arrivé à Tulle a acheté des habits de citadins et d’ouvrier « pour dissimuler sous l’uniforme du métier sa démarche bouvière et ses lentes allures paysannes » (Jean Nesmy). Baptiste, employé dans un café, mais jeune homme de la campagne confesse « qu’il ne peut pas parler avec les [citadins] parce qu'[ils] sont trop savants. « Il faut que je cherche mes mots », ajoute-t-il, « et encore, je dis des sottises, j’ai l’air d’un âne » (Guillaumin). Tous ces bloquages, toutes ces inhibitions de la part du paysan ne font que creuser le fossé entre lui et les citadins. Le paysan est en ville un refoulé social.
Dans les années 70, Claude Michelet sort une trilogie : Les gens de Saint-Libéral. Vanessa Postec, critique littéraire, décrira cette littérature par un méprisant “vie de nos campagnes et confit de canard”. Cette remarque va pousser Claude Michelet, Michel Peyramaure, Yves Portier-Réthoré ou encore Christian Signol, à fonder l’École de Brive. Ce mouvement littéraire revendique et assume un style de roman ancré dans la réalité du monde rural. Pour autant, ils refusent les limites dans lesquelles les critiques “parisiens” veulent les circonscrire.
Dans Livres Hebdo (16/01/2009), les anciens de l’École de Brive dénoncent justement ce carcan dans lequel on veut les figer :
Devrions nous avoir honte ? Est-ce que l’on reproche à Makine d’écrire sur sa Russie, à Colum sur son Irlande ? À l’instar d’Yves Viollier, les écrivains de l’École de Brive en ont gros sur la patate qu’on les y associe ad vitam aeternam sous prétexte qu’ils ont publié il y a 20 ou 30 ans chez Robert Laffont, sous la houlette de l’éditeur Jacques Peuchemaurd, un “pays”, des livres situés en Corrèze. Pas facile, en effet, une fois que l’on vous a accolé l’étiquette de romancier du terroir de faire son métier d’écrivain sans attirer une certaine condescendance. En guise de pied de nez, quatre d’entre eux, Claude Michelet, Gilbert Bordes, Jean-Guy Soumy, et Yves Viollier, ont formé une nouvelle École de Brive, qui dispose d’un site internet (quidneb.com). Ils entendent continuer à proposer à leurs fidèles lecteurs des œuvres populaires abordant tous les sujets. “Ce n’est pas une école littéraire”, explique Claude Michelet “pas plus que ne l’était l’école de Brive. C’est Jacques Duquesne qui nous avait baptisé ainsi. Mais on n’a jamais été une école au sens littéraire du terme. J’ai aussi connu l’époque où l’on disait que j’écrivais des romans paysans. Pour schématiser, c’est aussi grotesque que de dire que Céline écrivait des romans médecins.” Ironie du sort, les quatre membres de cette école de potaches figurent parmi les critiques les plus farouches d’un genre qu’ils jugent être un pur produit marketing. “je suis gêné par cette qualification prise par des commerciaux pour désigner des romans qui n’ont rien à voir, s’insurge Jean-Guy Soumy. Cela correspond à un type de roman fabriqué, dans l’objectif de mettre en scène un terroir avec une nostalgie que je récuse totalement, qui n’a jamais existé. Mes personnages quittent, arrivent ou passent par le département où j’habite, mais mon objectif reste d’évoquer l’humanité”. “J’ai quand même fait une trilogie qui se passait en Amérique du Sud, ça ne me paraît pas être un terroir proche de Brive-la-Gaillarde, poursuit Claude Michelet. Parmi un certain nombre de mes lecteurs, j’en ai qui me disent “on préférait quand vous écriviez Des grives et des loups”. Ben oui, mais ce n’est pas parce que certains lecteurs préfèrent lire ce genre de littérature qu’un auteur doit écrire pour leur plaisir.
Le roman de terroir aujourd’hui
Le roman de terroir s’inscrit-il vraiment dans un schéma préconçut pour répondre à des exigences commerciales ? Est-il totalement enfermé dans les clichés que le monde urbain veut bien lui prêter ?
Morgan Le Ho, auteur d’un mémoire de master sciences humaines et sociales, mention métiers du livre, parcours édition, “La littérature de territoire, écrire la province dans les romans contemporains français”, et aujourd’hui responsable des collections Romans de Terroir chez Pocket, nous en dit plus lors d’un entretien téléphonique. Pour lui, le roman de terroir s’inscrit assez majoritairement dans un schéma strict et systématique. Une période allant de 1912 à 1950, donc d’avant Première Guerre Mondiale à l’après Seconde Guerre Mondiale. On trouve des personnages récurrents. L’enfant du village qui revient au pays après une longue absence, ou un étranger arrive au village, et le fil de l’histoire dévoile qu’il est en réalité l’enfant du pays. Une histoire d’amour est la plupart du temps présente. Le roman de terroir est plutôt manichéen, notamment dans son approche des personnages, qui recèlent souvent des caractères bienveillants.
S’extirper des clichés
Toutefois, Morgan Le Ho nous dit aussi que l’on sent une évolution dans les sujets abordés par les auteurs. Une adaptation aux problématiques sociétales actuelles s’opère, progressivement, même si elle est encore timide. Mais le lectorat étant en majorité féminin et plutôt âgé, les éditeurs cherchent aussi à rajeunir ce public. On voit donc apparaître des thématiques comme le féminisme ou l’écologie.
Le succès populaire de cette littérature tient sans doute à cette douce nostalgie que l’on y trouve. Le monde rural avec ses traditions, ses savoir-faire, son mode de vie, comme une forme de valeur refuge, rassurante. Mais elle le doit aussi à la capacité des auteurs a créer une forme de roman qui s’apparente aux séries. On y retrouve souvent les mêmes personnages, à des périodes différentes de leur vie. On peut ainsi imaginer une forme de proximité entre les lecteurs et les protagonistes du récit. De cette façon, le lectorat devient fidèle à un auteur et le suit tout au long de sa carrière.
Le roman de terroir est-il “réac” ?
La délicate question de l’aspect “réactionnaire” que certains reprochent à ce type de roman est intéressante. Pendant la seconde guerre mondiale, le régime de Vichy a utilisé le monde rural, ses traditions et son folklore à des fins de propagande. Après-guerre, le terroir est devenu symbole d’une idéologie fasciste, nationaliste, et a suscité un rejet de la part des jeunes générations. Et ce aujourd’hui encore. Après-guerre, on change d’ailleurs le nom de roman “rural” pour lui préférer roman “paysan”, censément moins connoté.
Malgré tout, les romans de terroir trainent toujours derrière eux cette suspicion de positionnement politique. Il n’en est rien la plupart du temps. Le fait d’inscrire un récit dans le monde rural d’antan est surtout une façon de garder traces du passé et de raconter une histoire. Presque dans un souci de conservation patrimoniale. C’est aussi manière de redonner la parole à une population qui a dû, du fait de la centralisation, abandonner ses spécificités (les langues régionales, les musiques, les chants, etc.).
Le marché du roman de terroir ?
D’après Morgan Le Ho, les ventes de romans de terroir chez les éditeurs parisiens subissent une légère baisse.
Qu’en est-il dans notre région ?
À la bibliothèque municipale de Lyon, site Part-Dieu, les romans de terroir rhônalpins sont mis à l’honneur. Les éditeurs locaux, qui connaissent bien leur lectorat, proposent une offre abondante et renouvelée. Les ventes semblent en bonne santé. Peu de chiffres consultables en attestent, en revanche, les éditeurs et les distributeurs eux-mêmes en témoignent. Cette différence avec les éditeurs parisiens vient sûrement du fait de la proximité des maisons d’édition locales avec leurs lecteurs, et leur très bonne connaissance du terrain. Ils savent rechercher des auteurs qui viennent donner un souffle nouveau au style et s’adapter à la demande. Les éditeurs locaux peuvent également compter sur un fort relais par la presse locale.
En parcourant quelques-uns de ces romans, on se rend compte que le schéma décrit par beaucoup ne colle plus vraiment à la réalité.
Aux éditions du Poutan, basées à Villefranche-sur-Saône, des auteurs comme Jean-Louis Bellaton ou Daniel Chérasse balayent ces clichés.
Chez Jean-Louis Bellaton, le monde rural n’est pas systématiquement idéalisé. Il peut être dur, surtout dans les rapports humains et sociaux. Dans La gloire du capitaine, les conditions de travail des enfants et la maltraitance sont dénoncées. La lutte des classes y prend une part importante. La question de la condition de vie des femmes dans les campagnes dans les périodes de guerre est également abordée. Elles qui devaient prendre en charge les exploitations quand les hommes étaient partis sur le Front, souvent sans en revenir.
Chez Daniel Chérasse, ces questions sont également présentes, notamment la condition des femmes. Ce qui est une façon d’approcher la question féministe, et de la domination masculine. Dans des milieux ruraux très hiérarchisés, où les maîtres, les riches propriétaires terriens usent et abusent de leur pouvoir pour soumettre les femmes. Dans La Caverne de l’enfance, il est intéressant de voir également qu’il aborde, à la manière d’une conversation entre un prêtre et un instituteur, la question du rapport à la religion, des croyances et du rationalisme.
Les points communs de ces récits avec le schéma du roman de terroir décrit plus haut résident dans la période traitée, durant une des deux Guerres mondiales et, bien sûr, dans les histoires d’amour qui jalonnent ces romans. Mais comme dans beaucoup d’autres styles littéraires, l’amour est un sujet récurrent.
Dans son premier roman, Comme son père, Daniel Chérasse nous parle d’une autre guerre, encore peu abordée, la guerre d’Algérie. D’une manière très sensible, il raconte l’incompréhension d’une jeunesse rurale partie combattre sur cette terre lointaine une autre population rurale. Ces deux mondes se reconnaissent, dans le respect apporté aux traditions locales, le travail laborieux, les paysages rugueux. Ils doivent pourtant se combattre :
“Il est chez lui pensa Michel. Dans son village depuis toujours, comme son père et le père de son père. De quel droit on vient l’emmerder ici, aujourd’hui. Un ancien de l’armée d’Afrique ! Blessé pour la France. Décoré. On fait n’importe quoi ! Et aujourd’hui, je viens dans son douar. J’oblige les femmes a sortir dans la rue sous la menace de mon arme. Quelle honte ! Est-ce que nos politiciens savent en France ce que nous faisons ici en Algérie ? Et nos familles, nos amis, le savent-ils ? […] On devrait s’excuser devant cet homme, ou alors partir d’ici. Et pourtant personne ne bronche. On exécute les ordres. Sinon ? Sinon que serait l’armée sans sa discipline ?”
On voit ici que l’on est loin des clichés véhiculés sur le roman de terroir.
Aux éditions De Borée, maison basée dans le Puy-de-Dôme, un auteur sort aussi des sentiers battus. Dans son roman Les loups du Pilat, Michel Verrier traite du conflit existant entre les éleveurs et le retour du loup en France. Mais contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il aborde le sujet avec un positionnement “pro-loup”, ou du moins “faire avec le loup”. Il rend compte ici d’une problématique actuelle à laquelle est confronté le monde rural, avec un parti davantage écologiste que réactionnaire !
Les éditeurs spécialisés dans la littérature de terroir en Auvergne-Rhône-Alpes
En Auvergne-Rhône-Alpes, plusieurs éditeurs de littérature de terroir, dont vous pouvez empruntez les ouvrages à la bibliothèque, sont remarquables. Nous vous en dressons une liste non exhaustive qui vous permettra de les découvrir.
Les éditions Héraclite, depuis 2016, ont pour vocation de mettre en avant les auteurs de talents de notre région. Elles publient des romans, témoignages, ou beaux livres qui disent nos belles Terres, et les auteurs de talent qui y résident. Découvrez sans attendre nos collections Terres de Beaujeu (Beaujolais), Terres Bressanes, Terres de la Dombes, Terres du Brionnais, Terres de Cluny, Terres de Bourgogne, ainsi que notre collection Terres Lyonnaises et bien d’autres livres encore. Romancier et biographe depuis plusieurs années, Damien Corban est à l’initiative de la création de cette entité. Irrémédiablement poussé par l’amour qu’il porte à la littérature, à l’histoire et à la philosophie, ainsi qu’à ses terres qu’il chérit tant, il a franchi le pas et s’est lancé dans l’aventure de créer son propre “chez-lui littéraire”. Un chez-lui qui pourrait vous surprendre.
Basées à Villefranche-sur-Saône, les éditions du Poutan proposent des ouvrages à la fois documentaires et de fiction, toujours avec une approche régionale. De nombreux auteurs de qualité sont édités, comme Jean-Louis Bellaton et Daniel Chérasse dont nous avons parlé plus haut.
l y a un peu plus de trente ans, naissaient au cœur de la Chaîne des Puys, les éditions De Borée, du nom de ce vent du nord qui souffle sur la montagne et favorise la pollinisation. Entre les premiers livres et ceux d’aujourd’hui demeure une filiation forte. Un lien s’est tissé autour de la littérature et des sujets grands publics, accueillant de nouveaux auteurs, de nouvelles collections, toujours dans l’ADN de notre héritage éditorial : celui du régionalisme dans sa plus grande diversité. Au fil du temps, De Borée a affirmé sa personnalité autant que sa réputation grâce à des œuvres marquantes. À rebours de tout esprit d’élitisme mais avec une exigence constante de qualité, l’ambition des éditions De Borée a été d’inscrire à son catalogue des textes destinés au plus grand nombre dans les domaines les plus variés. Promouvoir le patrimoine de nos régions, cultiver la mémoire collective à travers une image contemporaine, prompte à refléter l’esprit qui anime notre ligne éditoriale, tel est notre objectif. Fiction, documents, beaux livres, autant d’espaces pour donner libre cours aux auteurs et interroger le monde dans toutes ses dimensions et problématiques.
Collection Le Coquelicot – Romans de terroir
Des romans qui chantent une région, ses paysages, ses traditions, des intrigues paysannes riches de sentiments vrais, de sensibilités et de tendresse, des histoires simples mais fortes aux côtés de personnages attachants, telle est la collection Le Coquelicot, celle des romans au cœur de nos régions…
Basée à Joyeuse, en Ardèche, La Calade est une maison d’édition indépendante et régionaliste, loin de la Capitale et des parutions surmédiatisées de l’Édition, la Calade s’évertue à faire connaître des auteurs du cru, les auteurs dont le cœur est attaché à l’Ardèche. Se revendiquant volontiers « régionalistes », les publications sont un fervent appel à l’amour de l’Ardèche et à ses différentes cultures ou traditions. D’ailleurs, La Calade se fait fort d’imprimer ses ouvrages chez un imprimeur ardéchois.
Une maison d’édition au cœur de Rhône-Alpes. Basée à Lyon, cette maison d’édition propose de la fiction, polars et romans se déroulant dans la région, des témoignages, de l’histoire des communes.
La nouvelle vie de l’éditeur du territoire savoyard et dauphinois. La Fontaine de Siloé se veut le promoteur du territoire Savoie – Haute Savoie – Isère dans toutes ses merveilles. De l’architecture à la nature, de la gastronomie à la littérature, défendons ce que nos Alpes ont de meilleur !
Enfin, sans pouvoir se revendiquer du roman de terroir, on peut tout de même relever une offre intéressante pour les enfants avec les éditions La vache qui lit :
Créées en 2008, les éditions jeunesse la vache qui lit proposent de raconter à nos enfants les histoires qui ont marqué le territoire du Massif central. De manière ludique et originale, ces livres jeunesse nourrissent les plus jeunes de l’audace de leurs ancêtres et de tous ceux qui ont façonné notre territoire. Le but des publications est d’amener les parents, grands-parents, petits enfants à partager un moment à la découverte de lieux et/ou d’histoires du Massif central. Ce territoire, situé au cœur de la France demeure un monde rural riche d’un patrimoine exceptionnel. Vous pourrez y découvrir de nombreux parcs régionaux : Auvergne, Cévennes, Aubrac qui témoignent de la richesse de la faune, flore et de la présence de paysages exceptionnels, préservés, mais également de nombreux ouvrages d’art qui disent toute la complexité d’aménager un territoire au relief si marqué… La lecture de nos ouvrages permet aux adultes de redécouvrir des lieux, de donner envie aux plus jeunes de mieux les connaître. C’est l’occasion de partager en famille sa connaissance et son attachement à ce territoire d’exception. La ligne éditoriale de nos publications : permettre aux plus jeunes de découvrir et mieux connaître le territoire, l’histoire et les richesses du Massif central en général et de l’Auvergne en particulier.
Les succès du roman de terroir amènent les auteurs a explorer de plus en plus de styles littéraires en les adaptant aux codes de celui-ci. Ainsi, on voit depuis une dizaine d’années fleurir sur les présentoirs des libraires les polars de terroir, qui obtiennent également un fort succès populaire.
BIBLIOGRAPHIE
- Le roman français au XXe siècle [Livre] / Dominique Viart
- PAYSANS [Livre]
- La Mare au diable [Livre] / George Sand ; préface, commentaires et notes de Marielle Caors
- Raboliot [Livre] / Maurice Genevoix ; commentaires de Francine Danin
- Gaspard des montagnes [Livre] : roman / Henri Pourrat
- L’Année vigneronne / [Livre] / C. F. Ramuz ; notes de Jean-Louis Pierre
- Provence / [Livre] / Jean Giono ; textes réunis et présentés par Henri Godard
- La promesse des sources [Livre] / Christian Signol
- Les Promesses du ciel et de la terre / [Livre] / Claude Michelet
- La gloire du capitaine [Livre] / Jean-Louis Bellaton
- Comme son père [Livre] / Daniel Chérasse
- Les loups du Pilat [Livre] / Michel Verrier
- La meule éclatée [Livre] / Paule Valette
- Louise, loin du pays [Livre] / Isabelle Jailler
- L’Instant [Livre] / Claudine Deniau
- Les Bouviers d’Aigueperse [Livre] : roman / Jean-Louis Bellaton
- La caverne de l’enfance [Livre] / Daniel Chérasse
- La pierre qui danse [Livre] : roman / Daniel Chérasse
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