Caroline Corbasson, l’art fécondé par la poussière stellaire
Artiste sous influx-ences #2
Publié le 22/11/2024 à 13:13 - 12 min - Modifié le 12/12/2024 par AGdG
A l'occasion de la venue de l'artiste contemporaine Caroline Corbasson le 28 novembre à 18h30 à la bibliothèque de la Part-Dieu, portrait de cette artiste en 5 œuvres qui l'influencent, qu'elle porte dans son cœur.
“Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot.
Mais il le prononce à voix si basse
que nul ne l’entend jamais”
Paroles en archipel, René Char
Atacama (2017) et Isaac (2023) : Lorsque l’art rencontre la science
Dans le cadre du mois du Film Doc à la Bibliothèque municipale de Lyon, l’artiste contemporaine Caroline Corbasson viendra nous présenter ses films Atacama et Isaac.
Entre film d’artistes et documentaires, ces films s’articulent autour de deux observatoires astronomiques.
L’un au Chili, dans le désert d’Atacama où évoluent des nuages en bandes organisées, où règne une pureté céleste rêvée pour voir les amants étoiles et une aridité qui fige les corps pour l’éternité.
L’autre en France, dans le Pyrénées, au Pic du Midi où les roches se gravissent à mains nues, où le soleil transforme en étoile.
Attisements :
Outre ses films, ses dessins grands formats de poussière stellaire au charbon, ses sérigraphies sur miroirs astronomiques, sa réappropriation d’images scientifiques, ses photographies infrarouges de pollen sondent la place de l’Homme dans l’Univers, les connaissance sur les origines du vivant, la question de la finitude humaine, le lien entre la Terre et le Cosmos ou encore les différentes échelles du regard, entre l’infiniment grand et l’infiniment petit…
… à l’instar d’une constellation d’artistes ici et là pour qui l’espace est source de création.
De l’influence : les univers de Caroline Corbasson
Pour initier une rencontre avec l’œuvre et la sensibilité de Caroline Corbasson, voici une sélection de ses références, lectures et univers…
…puisque…
“Nulle ne se promène impunément sous les palmes (…) J’ai lu tel livre ; et après l’avoir lu je l’ai fermé ; je l’ai remis sur ce rayon de ma bibliothèque, – mais dans ce livre il y avait telle parole que je ne peux pas oublier. Elle est descendue en moi si avant, que je ne la distingue plus de moi-même. Désormais, je ne suis plus comme si je ne l’avais pas connue.”
De l’influence en littérature, André Gide. Allia, 2010.
La Terre vaine de T.S Eliot
“Je te montrerai la peur dans une poignée de poussière”
T.S Eliot, La Terre vaine, 1921-22 1. l’enterrement des morts
Ce vers ouvre le film Atacama.
L’auteur de ce poème est T.S Eliot, grand poète américain, ami d’Ezra Pound, à qui il fit relire le manuscrit de ce recueil sur le bord du Lac Léman. Il y est question de temps, de devenir cosmique et biologique de l’être humain. Et d’amour dont on ne doit jamais mésuser.
” Toi les bras pleins et les cheveux mouillés, je n’ai pu
Parler, et mes yeux dévissèrent, je n’étais ni
Vivant ni mort, et je ne savais rien“
Dès le début d’Atacama, la poussière occupe donc une place plastique et narrative centrale. Celle-ci se confirmera jusqu’à la scène finale.
“Ce poème est mon texte fétiche, celui que j’ai le plus lu dans ma vie. Tout comme mon film, il traite d’un traumatisme et d’une forme de libération qui s’opère alors par la poussière. Cette phrase m’évoquait bien le paysage mental qui caractérise mon film. “
Caroline Corbasson
La poussière et la poésie cheminent dans tout l’œuvre de Caroline Corbasson.
“Cet imaginaire de la poussière stellaire en fait une matière à la fois poétique et sale, indésirable. Elle fait référence aux étoiles comme aux cendres, elle a cette double résonance.
Je crois que c’est pour ça qu’elle a fasciné tant d’artistes, elle peut être tout et son contraire, et porter ainsi le symbole de beaucoup de choses.”
Caroline Corbasson
La nostalgie de la lumière réalisé par Patricio Guzman
Ce documentaire bijou du grand réalisateur Patricio Guzman permet de comprendre un peu la génèse du film Atacama.
Le désert d’Atacama y est présenté comme une terre de contraste, à la fois lieu de mort puisque furent découverts des corps humains disparus sous le régime de Pinochet mais aussi lieu de recherche sur l’origine de la vie via les télescopes.
“Ce désert est le désert le plus aride et le plus hostile du monde et au milieu de ce désert sont implantés les plus hauts télescopes possibles, c’est ce contraste et cette ambivalence qui m’ont beaucoup inspiré. “
Caroline Corbasson
Le lien entre la terre comme matière et le cosmos traverse l’œuvre de Caroline Corbasson et se retrouve dans la série “Dust to Dust“. Ces dessins ont été réalisés à partir de poussières collectées dans des déserts puis placés sur une feuille, recouverte de graphite.
Icones, Gus Van Sant, catalogue de l’exposition à la Cinémathèque Française
Dans ce catalogue, au travers d’entretiens, Gus Van Sant livre sa conception de son œuvre audacieuse, irrévérencieuse et expérimentale.
Formellement, dans ses films, Gus Van Sant utilise le plan-séquence . Celui-ci sert à désamorcer la narration vers un temps de la possible rêverie, de la contemplation, ou de l’errance comme dans Gerry.
Le cinéaste a toujours revendiqué l’influence de Bela Tarr.
Les films de Caroline Corbasson sont également traversés par des trouées oniriques, une esthétique de la contemplation, comme dans Isaac.
Pluridisciplinaire, Gus Van Sant nous amène aussi à réfléchir à ce qu’est un créateur, un auteur de cinéma, un plasticien. Caroline Corbasson s’inscrit dans cette diversité de mediums utilisés. Elle a une affection particulière pour les miroirs et les objets d’observation scientifiques qu’elle utilise.
Pierre de Christian Bobin
Pierre, c’est Pierre Soulages. Avec ce titre, Christian Bobin est au plus de la matière, de l’oeuvre, de l’homme, du noir. Ou plutôt de l’outrenoir, ce noir que Pierre Soulages définit comme :
“un autre pays que celui, émotionnel, du noir simple“
Pierre Soulages, France Info, 26.10.2022
Chez Caroline Corbasson, la matière est fondamentale, notamment dans sa pratique du dessin. Après la poussière, un autre élément primitif parcourt l’œuvre de l’artiste, le charbon.
Elle l’utilise pour dessiner notamment les objets célestes en réserve.
“Le charbon, le graphite, le fer ou le cuivre sont des matières minérales existant depuis des millions d’années, des milliards, même. J’aime travailler avec ces minéraux primitifs car ils ont une véritable aura. Même si j’emploie très souvent des outils numériques pour initier un travail, la phase d’exécution passe par un contact direct avec la matière, un retour au concret.“
Caroline Corbasson
Le charbon se retrouve aussi en photographie dans son projet avec le photographe Andrea Montano.
Leur série Tracks explore les liens de filiation entre la botanique et l’astronomie. Des tirages au chardon révèlent le pollen sur des pétales de lys, comme autant de constellations stellaires possibles.
L’été d’Albert Camus
Dans ce recueil d’essais d’Albert Camus c’est le paysage qui prend tout.
Le corps, l’esprit.
Voici des portrait de villes en Méditerranée, coulantes de soleil.
Dans les films de Caroline Corbasson, le paysage est un personnage à lui tout seul. Dans Isaac, le corps se hisse sur les roches. Dans Atacama, une main dessine sur le sol avec une pierre.
Le rapport est physique entre le corps et le paysage.
Dans l’Eté, il y a une attention récurrente à la roche.
“On ne peut pas savoir ce qu’est la pierre sans venir à Oran. Dans cette ville poussiéreuse entre toutes, le caillou est roi.”
Le Minotaure, L’Eté
Le minéral est très présent dans l’oeuvre de Caroline Corbasson.
“Oui, parce qu’il y a une réflexion sur le temps aussi. Pour moi, le minéral, ça représente le passage du temps, quelque chose qui va durer.”
Caroline Corbasson
A l’image de ce fragment de lune, un météorite rare passée au microscope électronique à balayage. De ce petit morceau lunaire grossi nait un paysage fictionnel très proche plastiquement des paysages lunaires.
“Le fragment ressemble au tout”
Caroline Corbasson
Dans l’Eté, il y a aussi cette phrase sublime :
“Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été“
Apprendre à reconnaitre, rechercher au milieu de ce qui semble noir une dimension plus profonde. Un été qui demeure en nous. Regarder au-delà, apprendre, sentir comme ce que semble nous chanter les œuvres de Caroline Corbasson.
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