Billebauder ou l’art de bien chasser ?
Publié le 26/04/2022 à 10:16 - 5 min - Modifié le 27/04/2022 par J.E.
En 1991 sortait le sketch des Inconnus « Les chasseurs ». Depuis, une question est sur toutes les lèvres… Qu’est-ce qui différencie le bon du mauvais chasseur ? Charles Stépanoff dans son ouvrage "L’animal et la mort" nous donne peut-être enfin un début de réponse…
Billebauder, qu’est-ce que c’est ?
Dans le dictionnaire, à l’entrée billebauder on trouve comme définition « Chasser au hasard, généralement mal, se dit des chiens ».
Pourtant, d’après l’enquête ethnographique menée entre 2018 et 2020 par l’anthropologue Charles Stépanoff, retranscrite dans son ouvrage L’animal et la mort, « cette mauvaise chasse » est la technique typique des paysans chasseurs du Perche.
La chasse à la billebaude, dite aussi « au petit bonheur la chance », conviviale et tisseuse de liens entre familles et amis est celle qui valorise la chance et la rencontre avec l’imprévisible.
En 1978, dans son roman “La billebaude”, l’auteur ruraliste Henri Vincenot, raconte avec exaltation son enfance chez ses grands-parents en Bourgogne et ses parties de chasse à la billebaude qui l’ont profondément lié à la faune et à la flore de ce territoire.
Pourtant, dès le XIXe siècle les théoriciens de la chasse déprécient cette pratique paysanne “hors contrôle” et l’opposent à la discipline des chasses bourgeoises.
Après la Seconde guerre mondiale, on l’oppose aux méthodes scientifiques et gestionnaires de la chasse moderne, dominante aujourd’hui. Cette dernière, sportive et disciplinée est régie par des quotas, permis, élevages de gibiers, engrillagements forestiers…
L’idéologie de la billebaude est tout autre… c’est la liberté de mouvement tant pour les humains que pour les animaux, ce qui la différencie des battues où l’animal est rabattu vers des tireurs postés. La billebaude laisse place à la ruse et l’insoumission de l’animal. Mais surtout, elle est l’aboutissement d’une relation tissée toute l’année par le chasseur avec la terre et sa faune. Cela demande une connaissance du milieu qui ne peut être acquise que par une observation régulière et attentive de son environnement. Ainsi en témoigne un éleveur du Perche dans l’ouvrage « L’animal et la mort » :
Quand je suis dans la plaine, je regarde les mauvaises herbes qui poussent dans le champ de blé, je tombe sur une patte d’un animal, ça peut-être cerf, biche, sanglier, tout ça c’est plein d’informations. Quand on connaît un territoire, toutes ces informations on les regroupe et on sait que les animaux ils vont passer plutôt à tel ou tel endroit. C’est du repérage quoi. C’est la billebaude sans le faire spécialement. (…) S’occuper d’un territoire c’est le faire toute l’année. La chasse commerciale, c’est que du tir, le territoire ils en ont rien à faire. Ils viennent, ils débarquent : « je veux tirer tant de cartouches. » A la fin de la saison de chasse ils disent : « j’ai fait tant de cartouches et d’animaux » »
Billebauder : un art du pistage
Les propos de cet éleveur renvoient à la pratique du pistage tant louée par le philosophe Baptiste Morizot dans son ouvrage « Sur la piste animale ».
Une pratique qui demande de porter attention au monde vivant qui nous entoure, pour mieux le comprendre et surtout, en ces temps de crise écologique, pour mieux cohabiter avec lui.
Ainsi toute l’année le chasseur paysan observe le cycle de vie des animaux. Il les admire au même titre qu’un naturaliste ou qu’un promeneur lambda mais son positionnement va au-delà.
Billebauder : un art d’habiter son territoire…
Il est actif au sein de ce cycle de vie : comptage, nourrissage, alimentation en eau en période de canicule…
D’après Charles Stépanoff une relation « socio-écologique » avec les espèces qui se sont adaptées aux « biotopes agraires » s’est mise en place. Les animaux se nourrissent des cultures humaines et en retour les humains s’en nourrissent. Car manger ce que l’on tue est un principe éthique du paysan chasseur. Par opposition aux « huppés » (ainsi que les appelle une femme de chasseur interviewée par Charles Stépanoff à la p.96 de son ouvrage) qui chassent par loisir et ne mangent pas forcément ce qu’ils ont tué.
La chasse rurale s’intègre dans un ensemble de production vivrière, et plus qu’un loisir, elle est un mode de vie. La chasse comme la culture potagère sont des activités fondamentales dans la manière de vivre, d’habiter la terre et de s’en nourrir.
… et de se relier à lui
Billebauder, plus qu’un art de la chasse, serait donc un art d’habiter le monde et d’être en lien avec lui ?
Ce n’est sans doute pas un hasard si la très belle revue écologiste la Billebaude s’intitule ainsi. Créée en 2012 par la fondation François Sommer, qui gère le Musée de la chasse et de la nature, et les éditions Glénat, Billebaude est une revue d’exploration et de réflexion sur les représentations de la nature.
« Elle tisse des liens entre le monde de la recherche, de l’art et celui de la gestion de l’environnement autour des enjeux de conservation de la nature. Consciente que la crise écologique et économique invite à recomposer un nouveau savoir où la science dialogue avec la culture et la gestion avec les pratiques et savoirs traditionnels, la revue fonctionne comme un laboratoire d’idées et d’échanges. »
Au même titre que le chasseur qui billebaude, cette revue, par le biais de la réflexion et des liens tissés entre disciplines nous incite à habiter le monde différemment. Pour au final être plus ancrés dans nos territoires et ainsi mieux affronter la crise écologique.
En guise de conclusion
Comment ne pas se replonger à la source de notre questionnement ? Oui souvenez vous :
Alors, le bon chasseur est-il celui qui billebaude ?
Ici, nous ne sommes sûrs de rien et surtout nous ne sommes pas légitimes pour trancher une telle question… Nous nous contenterons donc de citer cette très belle réflexion de Charles Stépanoff, qui ne manquera pas d’élargir un peu plus le débat :
« Pour qu’il y ait chasse, il faut au moins en apparence, que l’animal-gibier ne soit pas sous contrôle de l’homme, qu’il y ait une part d’imprévisible et d’insoumis dans son attitude ; bref il faut que la chasse puisse échouer, infligeant à l’homme l’expérience – aujourd’hui rare- des limites de sa domination. Conceptuellement, la chasse implique nécessairement une altérité qui résiste. Dans un monde totalement domestiqué et artificialisé, il n’y a plus de place pour la chasse ».
Pour aller plus loin
Manières d’être vivants : enquêtes sur la vie à travers nous, Baptiste Morizot, Actes Sud, 2020
Cause animale, cause paysanne : défaire les idées reçues, propositions et paroles paysannes, rédigé par la Confédération paysanne, éditions Utopia 2020
La wilderness, l’Eden africain et les mythes de l’environnementalisme, L’influx, juillet 2021
Amphibiose, L’influx, avril 2022
Venaison : la cuisine du relais de chasse : 40 recettes : cerf, biche, chevreuil, daim, José L. Souto, éditions du Gerfaut 2020
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