Girls wanna have sound
À la rencontre de Clémentine Develay-Thieux
Fondatrice, programmatrice, et responsable du développement de l'association Sounds Like Hell
Publié le 18/10/2021 à 09:00 - 5 min - Modifié le 20/10/2021 par Juliette A
Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.
Après des études de commerce, Clémentine Develay-Thieux se lance dans la programmation musicale avec Magali Besson, rencontrée durant ses années d’études. Elles créent le festival H’elles On Stage, dédié aux groupes de metal dont le chant est assuré par une femme. C’est avec leur association Sounds Like Hell, créée en 2008, qu’elles se professionnalisent : elles promeuvent des artistes de la scène metal, en mettant en avant les artistes locaux, mais aussi désormais les groupes nationaux et internationaux, avec le souhait de donner une image positive du milieu metal, en montrant toute sa diversité grâce à une programmation variée.
Quel est votre parcours ? Comment vous a-t-il menée à la création de Sounds Like Hell productions en 2008, association dont vous êtes l’une des responsables ?
Hello ! Après mon lycée je me suis orientée vers des études longues et généralistes afin d’avoir un diplôme dont la valeur ne se déprécierait pas dans le temps. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de faire une école de commerce. Mais ma passion profonde ça a toujours été la musique ! Je suis moi-même musicienne et pendant des années où j’ai cherché à monter mon groupe sur Lyon, je me suis dit que tant que je n’en avais pas, je pouvais aider les groupes des autres, aider la scène metal où j’ai complètement trouvé refuge à mon adolescence. Et c’est ainsi que fin 2007, avec plusieurs copines qui avaient envie de faire la même chose, on a lancé notre association pour organiser des concerts undergrounds.
Pouvez-vous décrire votre rôle au sein de Sounds like hell, et le but de cette association ?
Le but de notre association est de faire vivre le metal sous toutes ses formes sur l’agglomération lyonnaise. Pour ce faire on organise des concerts dans toutes les salles, dans tous les styles de metal. Je suis la programmatrice et la responsable du développement de la structure.
Vous êtes deux femmes à l’origine de Sounds like hell (Magali Besson et vous) : quand vous avez débuté dans ce milieu, est-ce que le fait d’être des femmes, jeunes de surcroît, a pu être un obstacle pour faire votre place ?
On ne nous a pas toujours prises au sérieux oui, il a fallu être très carrées, très réglo, montrer qu’on maîtrisait ce que l’on faisait. Certains agents avaient une attitude pédante, méprisante à notre égard, en utilisant des codes qu’ils n’auraient pas pu utiliser si nous avions été des hommes. Mais au-delà de ça, ça nous a servi auprès des artistes qui ont beaucoup apprécié notre sens de l’hospitalité et du détail.
Une étude du CNM sur la visibilité des femmes dans les festivals de musique vient de paraître : le constat global est net, les femmes sont bien moins programmées que les hommes, qu’elles soient artiste solo ou musiciennes dans des groupes (seulement 14% des artistes programmés en 2019). Ce n’est pas la première étude sur le sujet, et on peut dire que c’est un des enjeux dont les salles de concerts et festivals devront s’emparer, ou se sont déjà emparés. Est-ce que c’est un enjeu que vous prenez en compte dans votre programmation, ou que vous souhaiteriez soutenir dans le futur ? Grâce à votre expérience dans le milieu musical quels freins avez-vous pu identifier dans la carrière des artistes femmes ?
Dans le milieu du metal il y a très peu d’artistes femmes aussi bien qu’il y a peu d’amatrices femmes de ce genre de musique tout simplement parce que c’est brutal et sombre ! Donc qu’il y ait moins de femmes qui jouent dans cette scène, cela ne nous choque pas. Pendant longtemps il n’y avait pas d’artistes féminines du tout dans cette scène. Puis certains groupes ont commencé à ajouter des voix féminines. Les femmes dans le metal officient davantage au chant et certains groupes profitent amplement du fait que la personne au chant soit une femme, ça a été l’élément différenciateur qui leur a amené le succès. Ce succès a légitimé la place de la femme dans cette scène et aujourd’hui elles peuvent occuper tous les postes. Certains groupes sont également 100% féminins. Par contre, on ne peut pas inventer des groupes s’ils n’existent pas et on ne peut pas programmer des groupes juste parce qu’il y a des femmes dedans, sans que le contenu artistique soit de valeur. Pour moi cela reste une forme de discrimination qui ne sert pas forcément la musique.
Le milieu metal n’est pas épargné par le manque de visibilité des femmes sur scène (3% de femmes programmées au Hellfest par exemple, même si en valeur absolue il est dans le top 20 des festivals qui programme le plus de femmes !) : y a-t-il des spécificités dans la scène metal, ou est-ce que ce sont les mêmes problématiques que dans les autres milieux musicaux ?
Mon groupe de metal symphonique (un des styles les plus accessibles et où il y a le plus de fans femmes) est suivi à 80% par des hommes. Il y a des styles où il n’y a pratiquement pas de femmes dans l’audience. Donc il ne peut pas y avoir beaucoup de femmes qui vont chercher à faire cette musique-là.
Après oui, comme partout, on ne permet peut-être pas aussi facilement à une femme de faire carrière dans la musique qu’à un homme, on ne donne peut-être pas aussi facilement accès aux femmes aux scènes musicales dominées par les hommes… Peut-être qu’elles se mettent elles-mêmes des barrières en pensant qu’elles ne seront pas acceptées, pas appréciées. Il y a des multiples raisons pour lesquelles il y a moins de femmes musiciennes voire artistes tout simplement.
Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. On espère qu’après l’écoute viendront des évolutions pérennes, et on voit déjà des prises de positions et des actions pour répondre à ces faits. Quel est votre regard sur cette actualité ? Peut-on être optimiste pour le futur ?
Il y a des abus dans tous les milieux et c’est une très bonne chose que la parole se libère, que justice soit rendue et que ces comportements ne soient plus banalisés. Mais je trouve qu’il y a une dérive dangereuse qui consiste à vouloir boycotter des écosystèmes complets dès qu’un seul individu a été dénoncé, comme si toutes les personnes qui ont connu cette personne étaient complices. Cela va trop loin. Les procès sur les réseaux sociaux sans s’en tenir aux faits, peuvent avoir de graves retombées sur des personnes qui n’ont rien à voir avec le problème de base. Il faut savoir faire la part des choses…
Tant qu’il y aura des hommes et des femmes évoluant dans des sphères proches, il y aura ce genre de comportements car ils font partie de la nature humaine. Qu’on puisse par contre plus facilement porter plainte et que ces plaintes aboutissent à de vraies sanctions, là est l’enjeu pour que la souffrance engendrée soit prise au sérieux et que certains réfléchissent à deux fois avant de succomber à leurs pulsions…
Sounds Like Hell est aujourd’hui un acteur majeur de la scène metal et votre travail est pleinement reconnu : quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui aimerait se lancer dans ce type d’expérience professionnelle ?
De ne pas s’arrêter au fait qu’elle soit une femme, qu’elle est complètement capable d’évoluer dans ce milieu si elle apprend son métier, qu’elle montre ses compétences et qu’elle garde confiance en elle. Il faut surtout être passionnées car c’est un milieu assez ingrat et difficile. Sans passion, ça ne vaut pas le coût en temps, énergie et les salaires sont bas.
⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici
Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.
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