Lug, pionnier lyonnais des super-héros

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 04/03/2025 par lqueret

Plongeons ensemble dans les collections de la bibliothèque de Lyon pour découvrir l’histoire fascinante de Lug, l’éditeur lyonnais qui a su populariser les super-héros Marvel en France.

Lug
Lug

Publication aujourd’hui dominée par de grands éditeurs comme Urban (Dargaud) ou Panini Comics, la bande dessinée de super-héros en France a d’abord été une aventure éditoriale ancrée dans l’histoire lyonnaise. La maison d’édition Lug a joué un rôle essentiel dans la popularisation des héros hauts en couleur de l’américain Marvel comics. Et les collections de la bibliothèque municipale de Lyon sont le testament de cette histoire locale mettant en valeur le neuvième art. En effet, le dépôt légal imprimeur permet la constitution de collections patrimoniales de documents imprimés dans la région. Sans le dépôt par les imprimeurs, certains documents ne figureraient probablement pas au sein des collections de la bibliothèque municipale de Lyon. C’est par exemple le cas de la production foisonnante de bande dessinée populaire du XXe siècle. Cet article, sans prétendre retracer l’intégralité de l’histoire de l’éditeur s’efforcera d’explorer son développement à travers les collections de la bibliothèque.

Lyon d’Après-Guerre : terreau fertile de l’édition

À la suite de la création du régime de Vichy, bon nombre d’éditeurs de la capitale ont décidé de relocaliser leurs opérations en zone libre. Lyon bénéficie alors d’un afflux non négligeable de ces éditeurs qui intègrent différents mouvements de résistance. C’est dans ce milieu résistant que les créateurs de Lug commencent à se faire un nom. En effet, Auguste Vistel, qui débute son combat contre l’occupant par la fabrication de faux papiers, évolue dans les rangs pour devenir en 1944, le chef militaire des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la région Lyonnaise. Il prend par la même occasion le pseudonyme de “Colonel Alban”.

Pour ce qui est de Marcel Navarro, autre fondateur de Lug, il s’engage en tant que journaliste dans des publications clandestines comme « La Marseillaise », journal piloté par Vistel.

Au sortir de la guerre, de nombreux éditeurs exilés à Lyon retournent s’installer dans la capitale, mais beaucoup décident de continuer leur aventure rhodanienne, c’est le cas de Navarro, qui développe ses qualités de scénariste en écrivant pour divers éditeurs, notamment des scénarios de bande dessinée. Il s’associe très vite avec Pierre Mouchot pour donner naissance à un héros français « Fantax » dont la censure arrête très vite la publication, mais prouve à ses auteurs qu’un créneau est à prendre dans la publication de bande dessinée populaire.

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Mouchot Pierre, Bordelet Remi, Fantax n°1, éditions Pierre Mouchot, Lyon, 25 février 1959

Naissance de Lug

L’aventure Lug commence lorsque Auguste Vistel et Marcel Navarro se retrouvent dans les bureaux des éditions des Remparts et collaborent sur différents projets éditoriaux, tout d’abord les « Quatre points cardinaux » puis « Aventure et Voyages ». Lorsque Bernadette Ratier, associée de Vistel et Navarro, décide en 1950 de quitter Lyon pour Paris, ces derniers décident de fonder une nouvelle maison spécialisée dans la bande-dessinée et de rester à Lyon. L’attachement à la ville s’inscrit profondément dans le nom qu’ils choisissent, car Lug est dérivé du nom latin de Lyon : Lugdunum. D’abord installé dans les mêmes locaux que les Quatre points cardinaux et Aventures et voyages, au 10 rue Bellecordière, Lug emménage au 6 rue Émile Zola en 1956, qui reste la résidence de l’éditeur jusqu’à son rachat.

Lug se spécialise dans la production de petits formats, c’est-à-dire de la bande dessinée destinée à la vente en kiosque à journaux d’une dimension de 18 par 13 centimètres. La production de Lug commence par l’édition de fumetto (Bandes dessinées italiennes) notamment avec des westerns comme « Tex » ou « Rodéo » dont la bibliothèque conserve de nombreux volumes. Plus tard, Lug développe son offre en proposant le genre qui va faire sa renommée, la publication de comics de super-héros.

Rodéo n°267, Éditions Lug, Lyon, 5 novembre 1973

Une arrivée tardive à la publication de bande dessinée de super-héros

Bien qu’avec le temps, Lug ait popularisé les super-héros Marvel en France, on ne peut pas attribuer les premières publications de comic books dans l’Hexagone aux Lyonnais. En effet, même dans le catalogue d’exposition LUG les Archives Michel Montheillet écrit :

“ Les éditions Lug n’ont pas été les premières à publier des fumetti italiens en France. Les éditions Lug n’ont pas été les premiers lyonnais à publier des super-héros, pas plus qu’elles n’ont été les premières à créer des super-héros français.”

Montheillet Michel, Lug les Archives, Black and White, 2024

Le génie de Vistel et Navarro a été de connaître leur medium et leur marché pour proposer à leurs lecteurs tout le rêve et l’émerveillement que le 9e art avait la possibilité d’offrir. Marcel Navarro étant proche des démêlés de Pierre Mouchot avec le comité de censure en raison de la violence de son super-héros, Fantax, Lug décide dans un premier temps de fuir le genre super-héroïque pour ne pas s’attirer les foudres de la justice. Cette avancée dans le monde du super-héros est due à la troisième tête pensante de Lug, Claude Vistel, fille du fondateur qui a su dynamiser l’offre de bande dessinée de l’entreprise. Le début de ce renouveau se fait  en février 1969, lorsque Claude Vistel  et son père signent un contrat de publication des personnages de Marvel comics, un des deux géants américains des comics de super-héros.

Lug, spécialiste de la retouche

Comme pour les fumetti italiens, Lug ne créait pas des histoires originales mais traduisait les récits produits par la maison des idées (Marvel) et pratiquait des retouches graphiques, notamment des censures sur la violence ou la nudité. Mais les productions de Lug n’étaient pas dépourvues de toute créativité, en effet, les couvertures étaient réalisées par des artistes employés rue Émile Zola. De multiples artistes comme Ciro Tota, Jean-Yves Mitton, Jean Frisano et beaucoup d’autres ont donné vie aux héros Marvel grâce à des jaquettes chatoyantes qui attiraient l’œil des lecteurs.

Lug développe plusieurs revues abritant des super-héros, la première, « Fantask » en clin d’œil au héros de Mouchot est éphémère, car seuls sept numéros sont édités au cours de l’année 1969. Deux autres titres viennent la remplacer : les deux publications qui ont inscrit Lug dans le cœur de ses lecteurs, « Marvel » et surtout « Strange ».

Strange n°1, Éditions Lug, Lyon, 5 janvier 1970

Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence

Un aspect important des témoignages des anciens employés de Lug, mais aussi des producteurs de BD en général est l’omniprésence de la censure dans les esprits. En effet, la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence créée en 1949 jugeait les productions américaines trop violentes et les couleurs trop vives pour la jeunesse française. Cette censure qui a condamné Pierre Mouchot à la prison et fait interdire Fantax s’abat également sur Lug quelques années plus tard en faisant interdire le magazine Marvel. L’interdiction est le point de départ de la légende de « Marvel n°14 » qui a été annoncé, mais jamais distribué. Cette histoire donne même naissance au reportage « Marvel 14 les super-héros contre la censure » de Philippe Roure et Jean Depelley qui tentent d’élucider le mystère du numéro fantôme de chez Lug.

Roure Philippe, Depelley Jean, Marvel 14 les super-héros contre la censure,Metaluna Productions, 2012

Une publication subsiste alors pour les héros de chez Lug après la disparition de Marvel : « Strange ». Entre 1970 et 1989, l’éditeur produit deux cent vingt-huit numéros des aventures de différents héros dans le page de sa revue. En janvier 1989, après la retraite de Marcel Navarro, la maison lyonnaise est rachetée par SEMIC qui continue la publication du magazine jusqu’en 1998, en conservant les équipes du 6 rue Émile Zola qui deviennent donc SEMIC France.

Postérité de l’œuvre de l’éditeur lyonnais

Bien que les éditions Lug aient cessé d’exister à la fin des années 80, ces dernières ont laissé une empreinte tenace sur les fans de BD et ont profondément marqué l’univers de la bande dessinée française. Cet engouement pour le petit éditeur se traduit par une volonté de garder en mémoire les « années Lug » par divers moyens. Le journalisme et la recherche sont notamment deux voix qui ont permis de garder en vie le souvenir de Fantask, Marvel et Strange. Des sites spécialisés comme Comic box, ont publié de nombreux articles sur Lug et ses collaborateurs ( – Fournier Xavier, Cinquantième anniversaire de Strange #1, 5 janvier 2020. / – Fournier Xavier, Exposition Jean Frisano à Angoulême, 4 février 2020 ).

Concernant la recherche, la reconnaissance croissante de la bande dessinée comme forme d’art a permis de faire émerger des chercheurs qui se sont intéressés à l’histoire éditoriale des comics en France comme Pierre-Alexis Delhaye qui nous offre un dossier de 135 pages sur le développement de Lug dans Comics Signature n°3  supervisé par Sonia Dollinger, au éditions Neofelis en mars 2018 (6900 X4 LUG).

Dolinger Sonia, Delhaye Pierre-Alexis Comics Signatures n°3, Spécial Lug : l’édition des comics Marvel en France, Néofelis, Marseille, 2018

Trouver Lug à la bibliothèque

La bibliothèque de Lyon est garante de la préservation de ce patrimoine et le dépôt légal a permis d’obtenir un nombre non négligeable de ces magazines qui sont aujourd’hui conservés pour les générations futures. Outre la conservation et la mise à disposition de ces bandes dessinées, la bibliothèque fait vivre ces collections par des expositions comme  VLAN!  77 ans de bandes dessinées à Lyon et en région » ou dans des collaborations comme l’article « Une particularité des collections de la BM de Lyon : le Dépôt Légal de la bande dessinée petit format » de Henry Champanhet dans l’ouvrage Traits résistants: La résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours (6900 Z8.2 TRA).

Doré-Rivé Isabelle, Krivopissko Guy, Traits résistants : la résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours : Exposition, Lyon, Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation, 31 mars-18 septembre 2011

Renaissance de Strange

Enfin, il est important de montrer que même si Lug n’est plus, Strange, est bien vivant. Grâce a Organic Comix, qui reprend le flambeau de 2007 à 2011, puis Spécial Strange publié par Original Watts qui paraît encore aujourd’hui. Ces publications ne se contentent pas de reprendre le nom de la revue, mais aussi les thèmes et même les héros créés par des lyonnais. Un exemple de ces super-héros développés chez Lug est Mikros de Jean-Yves Mitton (DLB 19307), qui poursuit ses aventures chez différents éditeurs. Ainsi, l’impact de cet éditeur lyonnais issu d’une période trouble du XXe siècle est indéniable, Lug a su esquiver la censure pour offrir au plus grand nombre de lecteurs l’émerveillement qui accompagne les aventures de Spider-Man ou du Surfeur d’Argent. La sagacité éditoriale dont a fait preuve la famille Vistel et Marcel Navarro a permis la création d’un souvenir indélébile chez les fans.

Mitton Jean-Yves, Une aventure de Mikros. 1 : Titan microscopique, Original Watts, Lyon, 2020

Bibliographie

 

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