Lyon, métropole fabricante de demain ?

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 30/01/2025 par dcizeron

Rachel Linossier, maître de conférences en aménagement et en urbanisme à l'Université Lumière Lyon 2, et membre du Laboratoire TRIANGLE, nous parle du développement économique et industriel de la Métropole de Lyon. Elle évoque avec nous les conditions du maintien et du développement des activités productives au sein de la métropole lyonnaise, dans le contexte des transitions écologique, énergétique et numérique en cours.

Michel, Laferrère, Lyon, ville industrielle  : essai d
Michel, Laferrère, Lyon, ville industrielle : essai d'une géographie urbaine des techniques et des entreprises, PUF, Paris, 1960
Pourquoi avoir choisi l’expression « métropole fabricante » plutôt qu’industrielle ou productive qui semblent pourtant plus usuelles ?

Rachel Linossier : Ce vocable a été utilisé par la Métropole de Lyon dans son programme de développement économique de 2016. Ce choix est très politique. La précédente mandature à la tête de la Métropole de Lyon a voulu axer le développement économique de la Métropole, redévelopper la fabrication, l’industrie autour de cet objectif : la « métropole fabricante ». Dans le cadre de nos recherches, avec ma collègue [ndrl. Patricia Lejoux], nous avons fait le choix de conserver cet intitulé et de l’interroger, de voir, justement, ce qu’il change.

Depuis, l’exécutif a changé, et le nouvel exécutif qui, dans un premier temps, avait conservé cet intitulé, est, depuis un an ou deux, revenu à « industriel » ou « productif ». Nous avons rencontré la vice-présidente déléguée à l’économie et à l’emploi, Émeline Baume. Elle nous a expliqué qu’officiellement, il est désormais question de stratégie métropolitaine pour l’industrie et que, dans ses échanges et dans ses présentations, dans ses responsabilités de vice-présidente, elle parle plutôt d’activité productive.

Pour revenir à l’expression « métropole fabricante », est-ce qu’il peut y avoir un lien avec la Fabrique ? La Fabrique, rappelons-le, est ce dispositif bien connu de production de la soie au 19e siècle, un système productif qui a profondément marqué Lyon.

On n’a pas cherché à retrouver qui était à l’origine de cette expression, quel était le communicant ou le stratège, ni s’il y avait une référence au modèle de la fabrique de la soie. Mais bien sûr, nous aussi, on l’a vu tout de suite. Il y a sans doute cette référence directe au modèle dit proto-industriel, qu’on nomme la Fabrique de la soie car c’est un modèle qui est clairement ancré dans le territoire. La Fabrique est une caractéristique économique de Lyon ; elle est aussi à l’origine de la plupart des grandes filières industrielles que connaîtra Lyon.

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Temps 2 – 2022 : [Point de vue 52, OPP vallée de la chimie], Florent Perroud, CAUE Rhône Métropole, BML, P0999 003 00023.

Vous présentez l’industrie comme un concept qui recouvre des activités beaucoup plus complexes que l’usine et beaucoup plus diverses que ce que l’on peut imaginer couramment.

Rachel Linossier : Oui, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous nous sommes volontiers approprié ce terme « fabricant », parce qu’il permet de recouvrir toutes les formes de fabrication, de production. Il est plus englobant finalement que le simple terme d’industrie. Il est peut-être aussi moins connoté. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles il a été remis en avant d’un point de vue plus politique. Il permet d’englober l’artisanat qui fait aussi partie des activités de fabrication, et toutes ces activités qui émergent fortement autour du réemploi, du recyclage, du reconditionnement. Finalement, c’est un terme qui recouvre de façon beaucoup plus large l’ensemble des activités de fabrication.

Pour fabriquer, il faut des installations, des équipements, des machines parfois… Toutes les activités de fabrication s’implantent dans l’espace. C’est du concret.

Rachel Linossier : Oui, c’est une des particularités de l’industrie, de la fabrication et de l’artisanat productif et c’est aussi pour cela que l’industrie et les activités fabricantes sont des sujets importants pour la géographie, pour l’aménagement, pour l’urbanisme en particulier. Parce que ce sont des activités économiques qui, contrairement à d’autres, et j’évoquais le tertiaire, ou même la plupart des formes de commerce aujourd’hui, ont besoin de lieux pour atterrir, avec certaines contraintes. Et ça, c’est un vrai défi, quand même, pour l’urbanisme.

Comment se répartit cette industrie aujourd’hui ?

Rachel Linossier : Les industries restent où elles étaient dans les années 1980 quand elles n’ont pas disparu, c’est-à-dire dans les grandes zones d’activité comme la vallée de la chimie. Finalement, la géographie de l’industrie a peu évolué depuis quarante ans. Mais les industries en place, en particulier en milieu urbain, ne peuvent aujourd’hui se maintenir que si leur foncier est protégé par le droit de l’urbanisme. Un sol classé industriel se vend beaucoup moins cher et est moins intéressant pour des promoteurs ; ils ne peuvent pas construire du logement ou des bureaux. Et il est encore plus compliqué de développer ou d’implanter des nouvelles activités.

[Zone industrielle de Bron (Rhône)], Pierre Clavel, BML, P0707 CRDP R00162.

La Métropole de Lyon mène pourtant une politique très volontariste. Elle a sanctifié un peu plus de 1700 hectares à l’échelle de la métropole de Lyon. Les activités économiques de production, notamment quand elles relèvent de l’artisanat ou de petites unités de production, arrivent parfois à trouver des locaux grâce à l’effort d’accompagnement, de soutien et d’investissement qui est fait par les pouvoirs publics pour produire de nouvelles surfaces. Mais ces réalisations restent très anecdotiques par rapport à l’ampleur du besoin. La crise du logement pour les habitants se double d’une crise du logement pour les entreprises et particulièrement pour les entreprises industrielles.

On parle beaucoup de relocalisation. Qu’est-ce que cela signifie ?

Rachel Linossier : Il y a une véritable problématique : on souhaite faire revenir les activités de production et de fabrication, faire en sorte qu’elles ne partent plus des villes, mais le premier besoin est de pouvoir leur réserver des espaces. Contrairement à d’autres activités qui peuvent être pratiquées chez soi, à distance ou de façon dématérialisée, par définition, pour la fabrication, la production, ce n’est pas possible ; on met en œuvre de la matière première, de la force de travail voire des machines. Même quand on produit avec des imprimantes 3D, car la numérisation a permis certains progrès et c’est un des facteurs de meilleure compatibilité, aujourd’hui, entre les activités industrielles et la ville, même quand on fait de l’impression 3D, et surtout si on veut imprimer de grosses machines, il faut des grosses imprimantes et donc il faut pouvoir les placer quelque part.

Si les entreprises s’installent où elles peuvent, la collectivité tente par tous les moyens d’accompagner et de produire des surfaces pour les accueillir. Je vais vous donner quelques exemples d’outils qui peuvent être mobilisés par la puissance publique même si, rappelons-le, elle ne maîtrise pas les opérations puisque c’est l’économie de marché qui prime, y compris en matière d’urbanisme et d’aménagement.

[Quartier de l’Industrie], Dominique Barrier, BML, Fonds Lyon Figaro, P0921 FIGRP12239 006.
Comment la puissance publique peut-elle favoriser la réindustrialisation ?

D’abord, il y a le PUP ou projet urbain partenarial. Ce procédé permet d’accueillir des activités artisanales ou des TPE-PME. Aujourd’hui il y a des promoteurs immobiliers qui développent des programmes immobiliers. Or, le projet urbain partenarial est un outil de négociation. Au départ, il sert surtout à savoir comment l’investisseur privé et la puissance publique vont s’arranger pour payer les équipements nécessaires, la voirie, voire un groupe scolaire quand c’est à l’échelle d’un programme plus important. Mais accessoirement, le PUP est un levier pour pouvoir dire : « d’accord, je valide votre projet mais à condition que vous prévoyiez qu’il y ait des rez-de-chaussée actifs, avec des hauteurs de 4 mètres sous plafond, avec des dalles qui peuvent supporter des grosses machines, avec une desserte poids lourd qui permette, même si on est en plein centre-ville, de pouvoir gérer les approvisionnements, les flux ». Tout ça est négocié.

Autre exemple, un cas concret : le projet Usine Lyon-Paris à Vénissieux, sur un ancien site Bosch. Bosch a restructuré ses activités, et s’est replié sur une partie de sa grande parcelle. Après des tractations avec la Métropole, Bosch a finalement vendu le foncier restant, soit près de 11 hectares, à la Métropole. Cette dernière a confié à la société d’équipement de la région lyonnaise, la SERL, le réaménagement de ce site pour accueillir différentes activités de fabrication et de production. On est là sur de la moyenne industrie.

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ZAC du Bon Lait, Sébastien Dervieux, BML, P1215 001 00133.

Avez-vous d’autres exemples ?

Oui, la ZAC. Pour faire simple, une ZAC est un projet urbain permettant de construire un nouveau quartier avec des logements et différentes fonctions. Prenons le cas de la ZAC Grand Clément. Ce projet intègre un îlot dédié aux activités artisanales avec tout un système d’entreposage mutualisé. Ces nouveaux lieux sont des moyens de faire atterrir toutes les nouvelles activités fabricantes.

Et l’urbanisme transitoire ?

C’est le dernier exemple. Ça reste un truc un peu branchouille. Il est utilisé pour gérer les temps d’attente sur des friches où l’on sait qu’il va y avoir de l’aménagement, et de nouveaux projets de construction mais cela prend du temps. La métropole de Lyon mise beaucoup, aujourd’hui, sur ce type de possibilités d’atterrissage temporaire. Certes, si une activité arrive à se développer, il n’est pas garanti qu’elle puisse rester pour se développer mais, dans l’attente, d’anciennes usines lui sont mises à disposition.

C’est le cas à Villeurbanne, à l’étape 22D où il n’y a d’ailleurs pas que des activités productives mais où il y a tout de même plusieurs activités de production et de transformation, de réparation de vélo. Idem aux Ateliers Briand à Saint-Priest. Les grandes usines désaffectées sont réutilisées pour accueillir temporairement des nouvelles activités fabricantes autour du recyclage, du réemploi et de la réparation. Ce sont des activités « propres » qui ont besoin de la ville à proximité. Il est évident qu’on ne va pas y installer des usines chimiques ou des implantations classiques qui vont plutôt privilégier des sites en dehors des tissus urbains.

Friche Nexans, Christian Valentin, BML, P1234 001 00006.

Bibliographie :

Lejoux Patricia et Linossier Rachel, « Lyon, aménager la métropole industrielle », Revue d’économie industrielle, 2023, vol. 2023/1-2, nᵒ 181, p. 133-160.

Lejoux Patricia, Linossier Rachel, Abihssira Ori, Bouyssière Arnaud, Nugue Thibault et Richa Grégory, Lyon, métropole fabricante de demain ? , ENTPE, Métropole de Lyon, 2023, 96 p.

Linossier Rachel, « De la ville industrielle à la métropole fabricante : l’aménagement urbain des activités productives », in A. Mercier et R. Verhage (dir.), Lyon, métropole en mouvement, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2023, p. 45-72.

Michel, Laferrère, Lyon, ville industrielle : essai d’une géographie urbaine des techniques et des entreprises, PUF, Paris, 1960.

Pour aller plus loin sur l’Influx, voir les articles concernant l’exposition Une Fabrique de l’innovation.

Extrait de l’entretien réalisé le 7 février 2024 lors de la rencontre « Lyon, métropole fabricante de demain ? » à la Bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu.

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