Grave !
La Forme du Disque (2)
Publié le 11/10/2024 à 10:00 - 10 min - Modifié le 10/10/2024 par pj
En 1934, Theodor W. Adorno publie La Forme du Disque (Die Form der Schallplatte), un texte dans lequel le philosophe désigne succinctement et sentencieusement ce qui caractérise le Disque.
Le Disque est un objet génialement simple et pourtant riche de sens et de possibilités hétérogènes. Pour autant il ne sera pas explicitement question de musique dans cet article, mais plutôt de surface et de contour.
Discoïde
Par l’enregistrement, au sens littéral d’inscrire pour conserver, le disque contient l’empreinte de la gravure. Le son devient une trace réelle, à la fois visible et audible. Le disque matérialise la possibilité du son en la rendant visible et c’est la lecture physique du disque qui transforme ce visible en audible. L’enregistrement et la gravure du son par des procédés techniques et mécaniques, comme la photographie, est une manière de fixer une réalité ou d’en construire une, de la restituer, de la reproduire et de la diffuser.
Lorsque Emile Berliner considère le premier que c’est bien le disque qui convient le mieux à la chaine de manipulation, de la gravure à la lecture, la morphologie de l’objet est déterminante.
Pour cet objet, le mot allemand schallplatte est emprunté au lexique photographique et désigne l’empreinte du son dans la plaque, tandis que le terme anglais record désigne davantage l’action nécessaire à l’existence du son gravé – c’est-à-dire l’enregistrement Enfin le mot disque ne révèle pas l’usage de l’objet en ne désignant que sa forme.
Fragile et sans réelle protection dans un premier temps, il est simplement inséré dans une enveloppe de papier sans indications. Mais rapidement la pochette illustrée et le rond central seront rapidement les supports précieux permettant d’inscrire les références indispensables aux mélomanes.
Pressage
Le test pressing ou pressage test est un échantillon. Il s’agit de la première étape de duplication d’après matrice. Il est principalement destiné à l’artiste.
Pressé en quelques exemplaires seulement avant de lancer le processus de production en série, le test pressing s’avère être une étape importante voire primordiale dans le processus de réalisation des disques vinyles.
Une écoute optimale et rigoureuse avec un matériel fiable est à ce stade indispensable. Cette écoute constitue en effet l’ultime phase avant le lancement en série de la fabrication du disque dans sa version définitive.
Outre la qualité de la gravure et du son, le test pressing peut permettre de repérer des erreurs ou d’opérer des modifications avant validation.
Il ne comporte généralement aucune indication définitive, ni visuel, ni couleurs. L’étiquette centrale et la pochette générique blanches servant à noter uniquement les informations indispensables : nom de l’artiste, titres, transitions des pistes, numéros des faces, ordre des morceaux.
La deuxième vie du test pressing commence ensuite, comme objet de collection.
Puisqu’il représente le premier exemplaire pressé, il peut désormais être convoité pour son caractère unique et sa rareté.
Véritable fétiche, il peut d’ailleurs comporter des différences notables avec les versions commercialisées et notamment des titres qui ne figurent pas sur la version définitive et sa valeur s’en trouve alors décuplée.
Disques tests
A ne pas confondre avec les test pressing, les disques tests, parfois appelés disques de démonstration, de calibration, de réglages ou de rodage, sont une forme inhabituelle de disques microsillons. Réalisés à partir de la fin des années 50, ils sont la partie visible de l’audible hifi.
Sur la surface noire habituelle d’un 30 cm sont gravées des pistes techniques contenant toutes sortes d’informations sonores : fréquences hautes, medium, basses, signal sonore stéréophonique droite, gauche, centre, etc.
Bref un très joli échantillonnage de spectres destinés à déceler les distorsions et améliorer les réglages d’une installation haute fidélité digne de ce nom – amplificateur, tourne-disque, enceintes acoustiques…
L’usage domestique de disque test relève autant du perfectionnisme audiophile que du fétichisme technique. Élaborés par des ingénieurs du son, ces disques de mesure sont conçus pour l’optimisation d’un système hifi et pour différents réglages, particulièrement ceux d’une platine vinyle.
Ces disques peuvent aussi parfois contenir des extraits musicaux sélectionnés pour leur relief sonore particulièrement remarquable.
Sur la version que présente EMI en 1958, on trouve aussi bien des bruits et effets sonores stéréophoniques (trains, alarme, etc) que des extraits d’opéra ou du banjo.
La plupart des fabricants de matériel audiophile proposent aujourd’hui encore ces disques de tests qui ont également un usage professionnel.
Vinyl data
Au cours des années 80, quelques vinyles contiennent aussi du code informatique.
Des données destinées aux premiers home-computers et notamment à l’ordinateur brièvement précurseur, le Sinclair ZX Spectrum apparu au printemps 1982.
En 1982, le groupe post-punk Sudden Sway est sans doute l’un des premiers à « augmenter » son 45 tours The Traffic Tax Scheme d’une piste programme pour l’ordinateur domestique Sinclair ZX Spectrum.
Sorti en 1983, XL1 de Pete Shelley est très certainement le premier album comportant une piste encodée pour ZX Spectrum.
La dernière piste de la face b, ZX Spectrum Code, comporte en effet un sillon codé permettant d’accéder à une série de visuels minimalistes et caractéristiques de cette ère informatique. Une notice explique comment synchroniser la lecture de l’album et le programme chargé sur ordinateur.
Le groupe Thompson Twins (et quelques autres) font aussi cette incursion difficile à imaginer de nos jours : encoder un jeu video via une gravure sur vinyle ou flexi disc.
Le jeu Adventure Game For The Spectrum est en effet offert avec le n° 36 du magazine britannique Computer & Video Games en octobre 1984.
Timecode
En 2001 le premier système de vinyle numérique DVS est présenté : Final Scratch est mis au point par des informaticiens avec l’aide des musiciens et djs Richie Hawtin et John Acquaviva.
Cet interface homme-machine combine le mix digital et le djing classique, dans la mesure où le vinyle 33 ou 45 tours utilisé contient un logiciel.
Autrement dit l’ordinateur est ici synchronisé à des platines vinyles DJ via une gravure timecodée.
Pour aller plus loin :
- La fabrique du son : la première histoire visuelle de l’enregistrement sonore / Terry Burrows
- L’histoire du disque et de l’enregistrement sonore / Daniel Lesueur
- Naissances du disque / sous la direction d’Elisabeth Giuliani
- Du phonographe au MP3 : une histoire de la musique enregistrée – XIXe-XXIe siècle / Ludovic Tournès
- Vinyle : son & platines, enceintes & amplis, DJ & collectors, culture disque / Matt Anniss, Patrick Fuller
- Vinylmania : quand la vie tourne à 33 tours par minute / Paolo Campana
- Soundbreaking / Maro Chermayeff et Christine Le Goff
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