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La Forme du Disque (1)

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 09/10/2024 par pj

En 1934, Theodor W. Adorno publie La Forme du Disque (Die Form der Schallplatte), un texte dans lequel le philosophe désigne succinctement et sentencieusement ce qui caractérise le Disque.

Le Disque est un objet génialement simple et pourtant riche de sens et de possibilités hétérogènes. Pour autant il ne sera pas explicitement question de musique dans cet article, mais plutôt de surface et de contour.

Car l’histoire du disque est aussi ponctuée de diverses tentatives, opportunes ou incongrues.


Disque phonographique

Véritable inventeur de l’objet disque, Emile Berliner sait dès 1887 qu’il améliore considérablement les inventions de Scott de Martinville, Charles Cros et Edison en gravant le son sous forme de sillon en spirale sur un disque de métal plat. Ce qui l’amènera assez rapidement à faire prospérer non seulement ses affaires mais aussi et surtout à établir un développement technique et esthétique qui perdure.

De diamètres variables, les premiers disques sont de cire, de caoutchouc dur ou de zinc. On utilisera aussi le celluloïd, la bakélite ou la gomme-laque. Enfin un mélange de polychlorure de polyacétate de vinyle.

Au tout début du XXème siècle, l’un des premiers standards à s’imposer est celui du disque de diamètre 25 cm. Avec une vitesse de rotation de 78 tours, il supporte deux à trois minutes d’enregistrement et seulement sur une face. En 1904 le label allemand Odeon présente un disque gravé sur les deux faces.

Depuis son origine ou presque, le disque a l’aspect ordinaire d’un rond noir percé d’un trou en son centre. Les dimensions 30, 25 ou 18 cm et les vitesses de lecture 33, 45 et 78 tours se sont largement imposées entre les années 50 et les années 60 et sont devenues universelles.


Microgroove

Une autre révolution se produit en 1948 lorsque la firme Columbia présente pour la première fois le microgroove ou disque microsillon en vinyle. Avec une rotation de 33 1/3 tours par minute, une seule face de disque 30 cm peut désormais accueillir vingt minutes d’enregistrement ininterrompu.

Et ce premier vinyle de l’histoire est un enregistrement du concerto pour violon et orchestre op.64 de Mendelssohn. Il s’agit d’une réédition car il en existait une version gravée au format 78 tours.

Le 45 tours 17,5 cm apparait l’année suivante commercialisé cette fois par RCA Victor.

Et il faut attendre 1957 pour que ces formats soient pressés avec une technique de gravure stéréophonique.


Shape-disc

Comme un authentique pied de nez à ce cher Teddie, voici sans aucun doute le plus kitsch des avatars du disque, le shape-disc.

Ici l’objet n’a plus à proprement parler la forme d’un disque. Essentiellement inutile et assez laid la plupart du temps, il demeure malgré tout assez fascinant.

Cet objet post-moderne en forme de n’importe quoi sauf de disque, ajoute un degré supplémentaire à l’intérêt déjà tout relatif et à la fébrilité esthétique du picture-disc né aux alentours de 1969.

Sa silhouette est souvent extravagante : carré, étoile, cœur et le tour est joué. Les fanatiques du star-system succombent illico à son charme collector décoratif et outré.

Atypiques et insolites, ces disques aux formes fantaisistes ne contiennent en général que très peu de musique enregistrée.

La surface gravée des shape-discs se limite à un ou deux titres, puisque les découpes et les dimensions irrégulières la réduisent de facto . Ils sont donc plutôt réservés à des singles ou à des morceaux spéciaux ou inédits.


Flexi disc

Apparu sous sa forme définitive en 1962, le disque souple en pvc le plus souvent appelé flexi est un petit objet hybride, essentiellement à usage promotionnel et publicitaire. Il gagnera parfois quelques galons plus nobles en étant quelquefois ajouté comme disque bonus à l’édition d’un album vinyle.

Ou comme dans nos deux exemples, en devenant le support associé de l’image et du texte. Tour à tour emblème pop d’une certaine culture indépendante en 1980 avec le magazine musical Flexipop, et document d’actualités en 1958 pour Sonorama.

Une première fois évoqué dans l’Influx il y a déjà longtemps, le magazine musical britannique Flexipop a pressé, entre 1980 et 1983, vingt-sept disques souples colorés de titres pop et new wave.

Souvent exclusifs, les morceaux gravés sur flexi disc sont offert avec chaque numéro d’une soixantaine de pages.

Face aux sérieux concurrents que sont le Melody Maker et le NME, Flexipop aura tout de même réussi à marquer les esprits et réalisé une très cohérente et belle série de cette façon brève et un peu candide.

Avant ça, en France à la fin des années 50, Sonorama le magazine sonore de l’actualité, a utilisé ce format souple comme un prolongement de la partie rédactionnelle et illustrée du magazine papier.

D’un format carré de type 45 tours, Sonorama est un cahier souple à spirales troué en son centre, permettant de lire – c’est à dire écouter – les disques insérés en les posant sur un tourne-disque sans les détacher du magazine.

Le flexi devient ici un véritable contenu audio, capsule temporelle précurseure du podcast dans la mesure où le disque peut être compulsé à loisir.

De 1958 à 1962 le mensuel Sonorama publie ainsi quarante-deux numéros englobant chacun six à huit disques, documentaires sonores constituant in fine un panorama à la fois modeste et fascinant de quelques trois-cents enregistrements exclusifs sur des sujets divers : évènements politiques, culturels, célébrités…


Roentgenizdat

Bien loin de la frivolité et des disques gadgets et colorés, les roentgenizdat, également appelés ribs ou bone records, nous replacent dans l’URSS stalinienne des années 50 où bon nombre d’enregistrements musicaux étaient prohibés.

Pendant la Guerre Froide, les musiques de l’Ouest sont en effet considérées comme pernicieuses. Les disques de jazz et de rock’n’roll, particulièrement, sont interdits et donc introuvables.

Les radiographies inusitées et récupérées serviront de support à la gravure clandestine et artisanale via un système bricolé à partir d’un tourne-disque

Souple et gratuit, le matériau, quoique fragile est donc idéal, puisque sa discrétion est la condition sine qua non de sa réussite. En résulte un prix de vente faible pour une qualité sonore médiocre et un nombre de lecture très limitées (environ six à huit).

Au-delà du bootleg, disque de contrebande, et de la simple copie pirate, la résistance culturelle s’est organisée et incarnée ici d’une façon étrange façon, sous l’impulsion des Stilyagi ces jeunes branché.e.s adeptes de vêtements bariolés et de musique moderne qui de 1945 à 1958 vont être à l’origine de cette singulière pratique.


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