Girls Wanna Have Sound

A la rencontre d’Ultramoule

Trio déjanté et engagé

- temps de lecture approximatif de 10 minutes 10 min - Modifié le 08/12/2021 par Juliette A

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

crédit photo Anne-Laure Etienne
crédit photo Anne-Laure Etienne crédit photo Anne-Laure Etienne

Trio déjanté et engagé, Ultramoule se revendique comme un groupe « punk à chatte », à mi-chemin entre Stupeflip, Philippe Katerine ou encore Die Antwoord. En écoutant « Bouge ton boule », impossible de ne pas bootyshaker sur leurs riffs survoltés de violon et violoncelle accompagnant le flow mordant et provocant de leur MC. Constitué de Butch (chant et boîte à rythme), Ariette (violon et chœur) et Konda (violoncelle et chœur), Ultramoule dénonce le sexisme et les inégalités, toujours avec humour et auto-dérision.

Comment vous êtes-vous rencontrées, et qu’est-ce qui vous a menées jusqu’à votre projet Ultramoule ?

Ariette : Nous nous sommes rencontrées au Cefedem AURA, le Centre de Formation des Enseignant.e.s de la Musique en 2016. Ce sont nos intérêts communs sur le féminisme, la lutte LGBTQIA+, l’antiracisme, en bref le militantisme, qui nous ont rapprochées. Tout est parti d’une blague de Butch disant à Ariette “on devrait faire qu’un groupe de meuf et ça s’appellera… ULTRAMOULE ! “ Elle en a ensuite parlé à Konda, qui, des étoiles dans les yeux à répondu : “Oh oui, oh mon dieu oui !” et c’est ainsi qu’est née Ultramoule. Nous l’avons présentée comme projet de fin d’études, et comme on a bien aimé, on a continué après.

Butch : je crois qu’il y avait aussi l’envie furieuse de se sortir des cases dans lesquelles on se sentait un peu enfermées toutes les trois : faire exploser les codes du classique, de la chanson, ne plus se laisser dominer par la technique (de jeux, vocal, d’écriture, de composition…), de n’écouter personne d’autre que nous et de juste suivre notre instinct, notre folle envie commune.

Konda : C’était clairement une période sombre pour moi, j’avais ce besoin viscéral qu’on écoute enfin ce que j’avais à dire, et la création de UltraMoule a été une libération, musicale et militante. J’avais quand même pas mal d’expérience dans les musiques actuelles, en plus de mon parcours classique, mais toujours dans un rôle d’arrangeuse plus que de compositrice. Les idées militantes étaient déjà en place, mais les concrétiser dans un discours public, les assumer sur scène m’a amenée à faire des recherches, aller voir le travail d’autres militant-e-s et artistes, et d’entamer en conscience un travail de déconstruction. Cette rencontre avec mes comparses m’a fait grandir, et cette dynamique commune qu’on a trouvée et qui fait que chacune se sent libre de proposer, de se mettre en fragilité sur des choses dont on n’est pas expertes mais qu’on a envie de faire, dont on a envie de parler, c’est extrêmement précieux.

Vous avez débuté la musique dans des milieux (classique, pop) assez éloignés de ce que vous faites aujourd’hui : avec le recul, est-ce que vous voyez des différences entre ces milieux en ce qui concerne la place des femmes, leurs possibilités de parcours professionnels, etc ?  

Ariette : Pas vraiment, je trouve que la problématique se retrouve de partout. Le choix des instruments est souvent genré dans les conservatoires, d’ailleurs nous correspondons parfaitement aux stéréotypes. Il y a très peu de femmes cheffes d’orchestre, les établissements ont pour la plupart des directeurs et non des directrices… Au contraire, j’ai plus l’impression d’être légitime et d’assurer ma place en musiques actuelles, même si l’égalité n’est pas encore au rendez-vous.

Konda : J’ai l’impression que dans le classique, les inégalités femme/homme sont beaucoup plus larvées pour ce qui est des instrumentistes. Dans les orchestres, on a quand même globalement une parité en apparence, mais comme dit Ariette, le choix des instruments reste genré, on a très peu de femmes aux pupitres de cuivres par exemple. Mais je pense aussi qu’à l’époque où j’étudiais, j’étais moins attentive à tout ça et qu’il y a plein de choses que je n’ai pas vraiment vues/voulu voir. Dans les musiques actuelles en revanche, je n’ai pas pu faire autrement que de remarquer le sexisme ambiant. J’ai fait pas mal de soirées jam, et très souvent j’ai été la seule femme instrumentiste à monter sur scène. Alors ce n’est pas verbalisé tout le temps, mais on sent la pression de devoir être excellente en toutes circonstances, parce que sinon, la prochaine qui monte sur scène écopera des mauvais a priori que la ribambelle de gars présents se sera fait sur ta presta. Mais les lignes bougent, doucement, mais ça bouge !

Butch : Je trouve qu’il est difficile d’avoir du recul puisque tout bouge en permanence, à l’heure actuelle on est encore loin de la parité et des possibilités de changement de paradigme mais il y a des mouvements, des avancées sur certains points, des réflexions, des actions, des coups de pieds dans la fourmilière qui sont donnés et quand il y a du mouvement quelque part, cela vient faire échos dans les autres milieux. Et à l’heure actuelle ces derniers sont de plus en plus poreux.

 

Avec le titre « Paye ta shneck », vous avez écrit un morceau très cru (dont les paroles ont été prononcées dans des situations réelles) , dénonçant le harcèlement de rue, en délaissant pour une fois le caractère humoristique qu’on retrouve souvent dans vos compositions. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce morceau ? Vous avez joué ce titre en première partie d’AlKpote (rappeur connu pour ses propos sexistes et homophobes), comment a-t-il été reçu par le public ?

Ariette : Ce morceau existe depuis la genèse du projet, nous voulions mettre en avant le travail incroyable d’Anaïs Bourdet qui a recueilli tous les témoignages pendant des années sur son Tumblr Paye Ta Shnek. Nous avons arpenté le site pour trouver des phrases, c’était vraiment un exercice difficile car il y a vraiment des immondices qui ont été prononcées. D’ailleurs, il y en a certaines que nous n’avons pas voulu mettre car trop violentes. Ce morceau met volontairement mal à l’aise, notamment avec le solo de violon où j’imite un frotteur dans le métro, un exhibitionniste, un harceleur. Je ne me souviens pas de ce moment lors du concert devant le public d’Alkpote, car c’est une mise à nu assez intense, j’y ai rassemblé toutes mes forces pour pouvoir l’assumer. Mais de toute façon, je pense que tout notre set a été une sorte d’OVNI pour le public, au vu de ce qu’on s’autorise à faire sur scène et musicalement.

Butch : Effectivement le public était plutôt coi. Mais ça n’était pas spécifique à ce concert, puisque ce morceau refroidit toujours un peu, choque, interloque. J’avoue que si j’étais à la place du public, je ne sais pas si j’aurai envie de danser sur ce morceau, s’il me scierait les jambes sur place ou s’il me donnerait de la rage et que j’aurai qu’une envie : scander avec nous.

Konda : Avec ce morceau, on emmène le public dans le malaise, notre malaise. Les réactions sont assez variées, et finalement tous les publics ont un peu les mêmes types de réponse : un rire de gêne, le malaise qui bloque tout et qui garde immobile, ou la catharsis d’enfin pouvoir hurler et défouler les corps face à cette violence. Finalement, c’est un peu tout ce qui peut nous traverser quand on est victime de harcèlement de rue. Pour celleux qui ne l’ont jamais vécu, ça leur fait un point de départ dans leur compréhension empathique, et pour les autres, c’est la force de se dire qu’on est pas seul-e, et c’est déjà pas mal…

Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois, justement pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. On espère qu’après l’écoute viendront des évolutions pérennes : quel est votre regard sur cette actualité ? Peut-on être optimiste pour le futur ?

Ariette : Le fait que les langues se délient et que les victimes osent parler et dénoncer est déjà un excellent point. On ne peut plus fermer les yeux quant à cette problématique. Cependant, je trouve que le plus difficile à pallier est le sexisme ordinaire, que j’ai subi à maintes reprises, avec des petites phrases qui ont l’air anodines mais qui reflètent une misogynie bien ancrée. J’ai découvert qu’il fallait bosser sa répartie pour pouvoir y faire face, surtout que ces situations arrivent sans prévenir et que l’on se retrouve devant le fait accompli sans savoir quoi répondre.

Butch : Le milieu artistique bien que soit disant “aware” et porteur de bonne parole reste une industrie basée sur des rapports de force et de domination, c’est l’heure de la déconstruction, ça a déjà commencé grâce à ces prises de paroles courageuses. La porte est grande ouverte, des têtes tombent, les hommes tremblent. Cependant je pense qu’il ne faut pas en rester là, il ne faut pas que la lutte soit juste basée sur la peur renversée, il faut accompagner la déconstruction de la masculinité toxique et de ce qu’elle incombe. Je suis assez optimiste par rapport au futur sur ces questions, je pense que l’on va réussir à ne pas simplement renverser mais faire exploser ces rapports de domination qui sont bien plus vastes que les rapports femmes/hommes, le combat intersectionnel est plus puissant puisqu’il est encore plus grand.

Konda : Pour moi, la représentation va faire son œuvre. Plus il y aura de femmes, de personnes queer, de gens racisés, de milieux sociaux culturels différents qui prendront la parole, plus le discours dominé actuellement par les hommes blancs cishet (=cis+het(=hétéro)) va se diluer et arrêter de se prendre pour l’universel. La diversité des expériences de vie, de luttes, tout ça mis en commun sur la place publique, ça fait déjà bouger les choses et ça va continuer. Mais ça ne se passera pas sans heurts, pour moi c’est clair.

crédit photo Laurent Cadeac

On a l’impression qu’à Lyon de plus en plus de femmes évoluant dans la musique se mettent en réseau et qu’il y a un certain nombre d’initiatives pour les rendre davantage visibles. Est-ce que c’est un sentiment que vous partagez ? 

Ariette : À Lyon et un peu partout en France d’ailleurs. On peut le voir sur les réseaux sociaux où beaucoup de pages Facebook, de comptes Instagram et sur TikTok militent pour ouvrir les opportunités. Cet élan donne énormément foi en l’avenir je trouve, on se sent moins seule car on sait qu’il y a des personnes qui nous soutiennent indirectement et ça fait du bien !

Butch : Effectivement c’est plus grand que Lyon, c’est en France et c’est même partout dans le monde. Ça donne à voir la difficulté même de la mise en lumière. Il faut que l’on s’abreuve de toutes ces figures féminines, de toutes ces énergies, il faut qu’on entende tellement de noms d’artistes, de techniciennes, de programmatrices, de directrices féminines que l’on aura plus à réfléchir une minute pour en citer 10 d’entres elles. Ça donne de la force et pleins d’idées.

Konda : On gagne du terrain, ça c’est sûr, et pas qu’à Lyon en effet ! Il y a une grande dynamique d’entraide et d’adelphité, et là où la pensée dominante voudrait nous mettre en compétition, on ouvre les portes et on fait rentrer tout le monde.

crédit photo Laurent Cadeac

Vous avez la volonté de travailler avec des professionneLLES de la musique (ingé son, régie lumière, booking) : quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait travailler dans ce milieu ? 

Ariette : Je conseillerais pour ma part de s’entourer de personnes avec qui vous vous sentez à l’aise, déjà au sein de votre propre projet. N’hésitez pas à aller voir des professionnelles, peu importe leur fonction, qui pourront vous aiguiller. Et surtout, vous êtes légitimes, vous avez le droit de vous exprimer, de faire ce que vous avez envie. C’est un long travail d’ancrage, il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour y arriver, mais avec des allié.e.s à vos côtés, ça donne de la force !

Butch : tout comme Ariette ! <3

Konda : Plus vous ferez des choses, plus vous vous sentirez légitimes à les faire. Comme dit Ariette, savoir s’entourer c’est primordial, et pouvoir évoluer dans un milieu safe quand on est encore en fragilité sur certains points permet vraiment de lâcher plein d’entraves qu’on se met à soi-même. Laissez tomber la perfection, et faites avec ce que vous êtes maintenant. Aucune question est trop bête, alors profitez de vos rencontres pour grandir et asseoir vos connaissances sur ce milieu, et vous verrez que vous aussi, on vous posera des questions, on vous demandera conseil, parce que tous les parcours sont différents et que ce qui paraît couler de source pour vous, peut être une zone de fragilité pour plein d’autres gens.

crédit photo Laurent Cadeac

Et plus généralement pour une femme qui aimerait travailler dans la musique ?

Ariette : Faites-le ! Le monde à besoin de vous 🙂 Et soutenons-nous mutuellement plutôt que d’être dans la compétition.

Butch : Trouve toi des allié-e-s pour avancer, tu es légitime à proposer ton propre contenu artistique. Une autre clef c’est la compréhension du milieu dans lequel tu veux mettre les pieds, quand on est musicien.ne on pense surtout à son contenu artistique mais ça va être très important de connaître tout ce qui entoure la musique, je te conseille de suivre des formations/ masterclass / stages sur ces sujets ou de trouver des personnes ressources. Si tu penses qu’on peut t’aider d’une quelconque manière n’hésite pas à nous contacter !

Konda : Tout pareil que Butch et Ariette : go gurl ! Notre regard sur le monde, nos parcours d’artistes sont tous singuliers et légitimes. N’attends pas de ne plus avoir de doutes, ça n’arrivera probablement jamais, et fonce. Tu trouveras du soutien, tu trouveras les ressources, des formations, tu te planteras aussi mais eh, c’est le jeu ma pauv’ Lucette. Et tu pourras compter sur la force et les connaissances de tes adelphes plus expérimenté-e-s pour t’aider à avancer, comme il y en aura plein qui puiseront leur force dans ce que tu proposes.

Vous venez de faire une résidence au 109 à Montluçon, que préparez-vous pour 2022 ? 

Ariette : On a pas mal d’actu pour 2022 ! On va sortir de nouvelles chansons, des clips, du merch… Ça va être la fête !

Butch : Oui une sortie d’album est prévue pour 2022 et tout ce qui va avec ! On vous en dira bientôt un peu plus !

Konda : les concerts ont repris, l’album va sortir, on a de beaux clips en préparation, des collab’ en cours… ça va être le feu !

 crédit photo Anne-Laure Etienne

 

 

Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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