Girls wanna have sound

À la rencontre de Ligature records, aka Stiol Peluche, aka Une Apparition pour tous, aka …

Organisatrice de concerts, fondatrice de Ligature records et de Ville morte

- temps de lecture approximatif de 17 minutes 17 min - Modifié le 16/11/2021 par Juliette A

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

Affiche du concert Kids are dead
Affiche du concert Kids are dead

Des pseudos changeants pour un parcours multiforme et une effervescence de projets avec comme point commun l’underground, le bénévolat et le soutien à la scène indépendante. “Stiol Peluche”, “Le Peuple Polonais”,  “Une Apparition pour tous” pour l’organisation de concerts et le collectif Ville Morte, ou encore “Ligature” pour son label, voici quelques-unes de ses identités pour un portrait en forme de jeu de pistes.

Quel est votre parcours, pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amenée petit à petit à organiser des concerts et créer un label ?

Mon parcours « musical » est amateur et dilettante, l’enthousiasme y compense (en partie seulement) l’incompétence !

Côté pratique musicale j’ai fait du piano et du saxophone en école de musique gamine et j’ai arrêté en arrivant au lycée. En général quand on dit ça les gens insistent pour qu’on joue quand même quelque chose alors que j’ai tout oublié. Ce n’est pas une grande perte pour le monde de la musique, je n’ai pas une très grande sensibilité, aucune oreille, et j’étais beaucoup trop paresseuse.

Par contre mon côté « fan » ou groupie a toujours perduré, variété française et pop rock mainstream dans l’enfance, puis l’adolescence snob avec les Inrocks et Bernard Lenoir, et l’explosion des blogs musicaux et des B.O. de séries américaines indie-pop à l’âge où t’as les oreilles grandes ouvertes, vers 18-20 ans. C’est en arrivant à Lyon en 2007 que je me suis mise à voir beaucoup – mais genre énormément – de concerts, des concerts pas chers dans des petites salles cools (Grrrnd zero bien sûr), via les affiches A3 noir et blanc qu’on trouve sur les murs. J’avais aussi un coloc musicien qui organisait des concerts dans notre salon, donc le fait de voir que c’était possible et l’envie de faire pareil est venue naturellement. Un jour j’ai osé aborder François Virot (dont j’étais super fan, c’est toujours le cas même si c’est aussi un pote aujourd’hui) pour lui proposer de venir jouer chez moi et depuis 2009 je n’ai jamais vraiment arrêté d’organiser. Quand on a déménagé et que je n’avais plus de grand salon j’ai organisé dans pas mal de lieux de Lyon (surtout la Triperie et le Sonic, big up à eux).

Chocolat - Crédits Joséphine Bogossian

Chocolat – Crédits Joséphine Bogossian

Avions, Missing Season et La Degustacion - Crédits Antoine (Avions)

Avions, Missing Season et La Degustacion – Credits Antoine (Avions)

J’organise en général pour dépanner des potes musiciens et voir des concerts où j’aimerais bien aller, je suis assez flemmarde en la matière (si quelqu’un d’autre est prêt à se coltiner le sale boulot je préfère aller voir des concerts plutôt que d’organiser) ! Heureusement des fois on peut quand même profiter un peu quand les potes sont là pour donner des coups de main. Comme j’en avais marre de me trimballer avec cinquante flyers dans les mains à toutes les soirées pour faire la pub de mes concerts mais aussi des supers concerts des potes, on a lancé l’agenda Ville Morte en 2015.

Le « label » Ligature est né quand j’ai déménagé à Bourg-en-Bresse pour du boulot, et que je pouvais plus trop organiser de concerts : il me fallait à tout prix trouver un nouveau moyen de jeter de l’argent par les fenêtres et c’est ce que j’ai trouvé de mieux. L’idée était de filer des ronds à des potes musiciens (il faut qu’on soit potes mais il faut aussi que j’aime la musique qu’ils font quand même !) pour les aider à sortir leurs disques en vinyle. Après ce n’est pas très pratique parce qu’en échange ils te filent des disques et il faut les écouler, ce qui signifie : envoyer des cartons spéciaux par la poste en espérant que le machin ne casse pas ou faire du dépôt chez des disquaires qui ne te rendent jamais tes thunes (j’exclue de ce propos les excellents Face Cachée à Metz, Dangerhouse et Sofa à Lyon qui achètent les disques en cash, mais les parisiens peuvent néanmoins se sentir visés.). Bref je n’ai jamais pris cette activité avec le sérieux qu’elle mérite mais je suis quand même super contente d’avoir permis de faciliter la sortie de disques d’artistes vraiment géniaux (et sympas), ça reste une fierté.

Pop Apocalyptique - Seb Radix Seb and The Rhâââ Dicks Rhââdicks

Pop Apocalyptique – Seb Radix Seb and The Rhâââ Dicks Rhââdicks

Loner - Avions

Loner – Avions

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce qu’il y a des figures qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Des albums ou des artistes féminines qui ont forgé vos goûts musicaux ?

J’ai déjà cité Bernard Lenoir (et sa réalisatrice Michelle Soulier) mais avant lui il y a eu ma tante Eliane, qui m’a envoyé plein de CDs gravés de groupes (principalement féminins) dont certains comme Shivaree ou Mazzy Star sont encore parmi mes préférés ! Le premier disque que j’ai vraiment adoré au collège – au point de le racheter en double – c’était Left of the Middle, de Natalie Imbruglia. Par la suite, quand j’ai passé des années à courir après le bon goût j’essayais peu ou prou de ressembler à Rob de High Fidelity (le roman de Nick Hornby et le film de Stephen Frears) : un quadra/quinqua désabusé entouré de sa montagne de disques et de ses connaissances encyclopédiques, j’étais obsédée par les listes et les tops, par l’idée d’une discothèque complète du parfait gentleman.  Autant dire que j’ai complètement lâché l’affaire depuis.

Aujourd’hui je ne fais pas exprès mais je n’écoute quasiment plus que des meufs (notez la difficulté à dire « femme » ou « artiste féminine » allez savoir pourquoi je n’y arrive pas) ou des groupes leadés par une meuf, je ne sais pas pourquoi. Côté pop-punk les Wendy Darlings, The Beths, Tacocat, Litige… dernièrement en pop rétro j’ai bien aimé Juniper, Les Calamités, en pop indé Kcidy, Clairo, Snail Mail, Mitski, Girl in Red, Ilgen Nür, Phoebe Bridgers et la queen Fiona Apple, côté gros tubes Carly Rae Jepsen, Taylor Swift… Wow je réalise que cette sélection est beaucoup trop blanche mais je suis allée à Afropunk il y a deux ans !! (à lire avec la voix « j’aurais voté pour Obama une troisième fois » du père dans Get Out)

Les rencontres importantes dans l’orga de concert ça a été les labels Clapping Music et AB Records, et « l’anti label » La Souterraine. Et bien sûr les potes, je peux citer Sophie de SK Records, Félicité de Brigade Cynophile, Marie et Maxime de Calendar Days, Ludivine d’Asphalte Chaud, Nathalie Chatclou, Manon (Ductus Pop, Hidden Bay Records, Docks), Djeinaba d’Ekinox/Panthers mais j’en oublie plein et puis les groupes, les copains copines qui donnent des coups de main ou juste qui viennent voir les concerts, c’est vraiment tout cet écosystème, ces collectifs qui aujourd’hui m’inspirent et me construisent !

Crédits : Barbapop

Crédits : Brigade Cynophile

Vous évoluez plutôt dans le milieu indé/underground. On imagine que ce milieu fonctionne beaucoup en réseau, en contacts et (re)connaissances qui se font au gré des rencontres et projets : est-ce qu’il est difficile de se faire une place dans ce milieu qui reste encore très masculin ?

Je trouve que d’une certaine manière c’est difficile de rentrer dans ce milieu affinitaire, pour les hommes comme pour les femmes. En général il y a une longue période où tu vas voir des concerts tout seul sans parler à personne, en plus tu arrives trop tôt (c’est-à-dire à l’heure) et les soirées peuvent être super longues. Il ne faut pas être trop timide, et oser aller vers des gens qui semblent parfois inaccessibles ou trop cools pour nous (en fait ils sont juste timides aussi ou socialement inadaptés). Ceci dit en étant très patient-e, motivé-e, et prêt-e à aider, on arrive en général assez bien à rencontrer plein de gens chouettes et se sentir à l’aise.

Le problème, pour les filles en particulier j’imagine, c’est de se faire une place sans passer par des rapports de séduction. Ça ne me dérangeait pas du tout dans ma vingtaine, au contraire je crois que je cherchais aussi ça et j’en ai bien profité, mais aujourd’hui je ne vois plus du tout les choses pareil !

Enfin je constate que si ce milieu est assez mixte, c’est souvent les hommes qui sont mis ou se mettent en avant, que ce soit sur scène ou dans des positions d’organisation visibles et « prestigieuses ». C’est paradoxal de dire ça dans une interview – à laquelle je suis très contente de répondre !- mais je n’ai jamais cherché à me mettre en avant dans les organisations de concert, par exemple je changeais toujours de nom pour faire un clin d’œil, une blague. Pour moi – et je sais que plusieurs copines font pareil – l’important c’est les groupes, la musique. C’est peut-être un manque d’assurance (« je n’organise pas vraiment de concert » ) mais c’est aussi un refus conscient et politique, je n’ai pas envie de faire du personal branding (“autopromotion”) autour de ça, mon ego est assez boursouflé comme ça merci. Un mec aura souvent moins de mal à créer son asso à lui tout seul et mettre en avant son CV de concert. C’est sûrement plus malin pour la promo ! Mais ce n’est pas ma démarche, ni mon envie.

On a l’impression qu’à Lyon de plus en plus de femmes évoluant dans la musique se mettent en réseau et qu’il y a un certain nombre d’initiatives pour les rendre davantage visibles. Est-ce que c’est un sentiment que vous partagez ? En travaillant sur ce projet d’interviews on a vraiment vu que les femmes sont présentes, mais pas forcément visibilisées : est-ce qu’il y a une forme de lien qui se crée entre toutes ces actrices du milieu musical ?

A Lyon je sais qu’il y a l’association H/F qui est bien active depuis plusieurs années sur les questions professionnelles, elles font un chouette boulot même si ma vision du féminisme n’est pas forcément « il faut plus de directrices de salle ! Plus de cheffes d’orchestre ! ». A mon avis il faut surtout moins de patron-nes de manière générale, et une réflexion collective sur qui nettoie nos merdes ? Qui remplit nos estomacs ? Qui prend soin de nos gosses et de nos vieillards ? Dans quelles conditions ? Le jour où les directrices d’opéras ont le salaire des femmes de ménage et vice-versa, probable que les mecs laisseront la place plus volontiers haha. Je suis également syndicaliste mais je ne suis pas du tout corporatiste, pour moi les choses ne peuvent pas aller mieux dans le milieu de la culture si ça ne suit pas partout dans la société ! Il n’y a pas de milieu hermétique, indépendant de tous les autres.

Pour en revenir quand même à la musique je n’ai pas tellement l’impression que les choses s’améliorent, en terme de présence ou de visibilité. Par contre pour moi le lien essentiel entre les actrices du milieu musical, c’est l’amitié ! Les copines, c’est le top, elles donnent de la force, de l’inspiration, de la joie !

Même au sein des salles de concerts indépendantes on peut constater que la scène est souvent occupée par des groupes exclusivement masculins, peu de femmes sont programmées. Est-ce que vous avez vu évoluer les choses ces dernières années ? A votre échelle est-ce que vous avez proposé des actions pour valoriser les projets d’artistes femmes, que ce soit avec votre label, l’organisation de concerts ou d’événements ?

A l’époque quand je suis arrivée à Lyon il y avait « S’étant chaussé[e] » qui a organisé plein de concerts supers et dont la ligne « éditoriale » était : uniquement des artistes fémininEs. Cette démarche m’a toujours interrogée, à la fois je crois profondément qu’il faut un peu « forcer » les choses, avec des quotas formels ou informels pour à terme espérer équilibrer la balance, en même temps c’est dommage de devoir en passer par là. Pourtant, même pour moi qui n’écoute quasiment que des artistes féminines, cette proportion ne se reflète pas forcément dans mes organisations ! C’est peut-être une question de milieu ? Il y a beaucoup de musiciennes mais proportionnellement moins de filles qui font des groupes de « musique actuelle », susceptibles de tourner dans les milieux indés. La question qui se posait aussi avec « S’étant chaussé[e] » est que c’était un organisateur masculin. C’est une position délicate d’appartenir à la catégorie des « dominants » et de vouloir être « un bon allié » car à la fois on se dit qu’il faut utiliser notre énergie et nos privilèges au service des minorités, mais est-ce que d’une certaine manière ce n’est pas aussi se bâtir une réputation sur le dos de celles-ci ? Je ne pense pas qu’il y ait de réponse ou d’attitude parfaite, il faut s’interroger en permanence sur l’efficacité de son action et la justesse de ses motivations.

A titre personnel  je ne me suis jamais imposé de règle en la matière : je fais jouer les groupes qui en ont besoin, de passage, que j’aime bien et qui acceptent mes conditions frugales. Par curiosité pour répondre à votre question plus précisément je me suis amusée à compter : ce n’est pas un chiffre exact car je ne me souviens pas de la composition de tous les groupes, mais à la louche 60% des groupes que j’ai fait jouer sont entièrement masculins, 20% mixtes et 20% majoritairement féminins. Même pas la moitié de groupes avec une (1) fille dedans ! C’est pathétique ! Et encore j’organise des concerts de pop ! Un milieu beaucoup moins masculin que d’autres styles plus « bourrins ».

Est-ce que j’ai envie de voir plus de meufs sur scènes ? Oui, carrément. Est-ce que je vais « me forcer » à organiser plus de groupes de meufs ? Non, je ne crois pas. Je suis sur une économie hyper précaire à chaque concert, les groupes sont mal payés, ce ne sont pas des conditions pour « inviter » des groupes ou aller les chercher, c’est plus du dépannage. Les groupes locaux de meufs (qui sont supers !!) sont déjà hyper sollicités. Il en faut plus !

On sait que l’accès des femmes à la musique se joue aussi autour de l’accès aux pratiques artistiques amateurs : quels freins identifiez-vous dans cet accès à la pratique instrumentale, et connaissez-vous des initiatives qui favorisent cette pratique, pour les femmes ?

La réponse classique je pense c’est : “le manque de modèles et l’importance de la représentation”. C’est vrai ! Mais d’un point de vue très concret également, je pense qu’on manque d’espaces, de moyens et d’accessibilité. J’ai vu il n’y a pas longtemps le film suédois We are the Best ! qui montre trois préados qui montent un groupe de punk à la MJC du coin juste pour s’occuper et emmerder le groupe de métal qui y répète. On y trouve des instruments dans des locaux de répèts gratos, et elles peuvent taper sur la grosse caisse et tester la basse, la guitare… Elles jouent comme des pieds mais elles jouent ! Et elles apprennent ensemble, en faisant. Je pense que c’est ça qui manque parce qu’on voit qu’il y a beaucoup de petites filles dans les écoles de musique, mais c’est une pratique classique, un peu scolaire. Il y a par contre beaucoup moins d’adolescentes qui montent des groupes tout pourris au collège/lycée, et je pense que c’est le cœur du problème ! Car après à l’âge adulte il y a toutes ces problématiques de légitimité, une honte intériorisée qui fait que c’est plus dur de s’y mettre (C’est stupide ! Faites des groupes en Ehpad !). Matériellement aussi, on a besoin de protections sociales fortes : comment tourner à perte trois semaines avec les copines si on galère déjà à payer son loyer ? Si on doit s’occuper de son enfant ? Si on a peur de perdre son boulot ? Ce n’est pas avec la réforme de l’assurance chômage qui se prépare qu’on va voir plus de meufs sur scène en tout cas !

Dans les initiatives supers qui ont vraiment démontré leur efficacité et donné naissance à beaucoup de chouettes groupes, il y a « Salut les Zikettes » à Paris. C’est un projet de Julie et Victoria, deux musiciennes qui viennent du punk-rock et qui organisent des ateliers en non-mixité pour celles qui n’ont jamais osé toucher à un instrument ou monter sur scène. Je n’ai pas expérimenté à titre personnel mais j’en ai beaucoup entendu parler et ça a l’air génial ! On a vraiment besoin de cet outil de la non-mixité, et ça m’inquiète beaucoup de voir les attaques qu’il subit en ce moment.

J’aimerais beaucoup qu’il existe ce genre d’atelier sur Lyon, de type « Salut les Zikettes » ou « First-Timers » pour désacraliser la scène et la rendre accessible à tous et toutes. C’est ça l’esprit du punk, non ?

Vous avez participé au fanzine lyonnais Ventoline : partant du constat que la parole des femmes est peu présente pour parler de musique, que ce soit dans la presse classique ou en ligne, ce fanzine rassemble des femmes partageant leur expérience en lien avec la musique. Pouvez-vous nous parler de cette initiative ? Quel regard avez-vous sur la critique musicale, qui participe à la moins grande visibilité des artistes femmes ?   

Ventoline c’est avant tout le projet de Félicité a.k.a. Brigade Cynophile a.k.a. la meuf la plus cool de la terre et une des graphistes les plus brillantes de sa génération. Elle a souhaité lancer son fanzine écrit et illustré uniquement par des femmes l’été dernier, et comme tout ce qu’elle fait c’est une très belle réussite, à la fois qualitativement et dans le succès des ventes.

Fanzine Ventoline

J’ai participé au premier numéro avec un journal de mini-tournée (avec le lyonnais Seb Radix) et j’aide à la relecture des articles depuis.

Avoir uniquement des articles écrits par des femmes permet de reposer des questions fondamentales : y a-t-il une écriture féminine ? Des intérêts, des manies de mecs qu’on ne retrouverait pas chez les femmes ? Y a-t-il une écoute, un amour de la musique spécifique aux femmes ? Notre idée d’un style « cool » ou d’un article réussi est-elle forcément une reproduction du style masculin ? Ou est-ce que le genre n’a finalement rien à voir là-dedans ?

Les réponses à ces questions sont bien sûr nuancées. Sans faire de l’essentialisme on peut aisément imaginer que la socialisation genrée a une influence sur le rapport à la musique. On peut aussi imaginer l’influence qu’un certain discours dominant (rock-critic, littérateur, universitaire) essentiellement masculin peut avoir sur des femmes qui s’intéressent à ces sujets. On est évidemment perméable à tout ça (et heureusement!) mais alors comment s’émanciper pleinement du patriarcat dans l’écriture et le rapport à la musique ? Comment savoir si c’est nous qui parlons ou d’autres voix qui parlent à travers nous ?

Franchement je n’en sais rien mais ça n’en reste pas moins passionnant de s’interroger là-dessus.

Après on ne va pas mettre tous les critiques musicaux mecs dans le même panier. Il y a un monde entre Lester Bangs – qui stylistiquement est vraiment un auteur incroyable – et Bester Langs – qui perpétue avec Gonzaï une critique rock super beauf à l’ancienne sous couvert de second degré (?) ou de l’excuse « c’est les internautes qui sont vilains à faire qu’à cliquer sur les méchants articles ».

A part Ventoline aujourd’hui je conseillerais de se tourner vers d’autres fanzines, comme Ductus Pop, Le Gospel, les sites Musique Journal et Section 26, la revue Audimat. En blog locaux je suis I left without my hat et le blog d’Hazam.

Ductus Pop

Je mise tout sur le revival des blogs, des newsletters, des sites persos et des zines (électroniques ou pas) pour voir plein de voix différentes débarquer dans la “Zone du Discours” et achever de ringardiser les derniers dinosaures.

Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. On espère qu’après l’écoute viendront des évolutions pérennes, et on voit déjà des prises de positions et des actions pour répondre à ces faits. Quel est votre regard sur cette actualité ? Peut-on être optimiste pour le futur ?

Je ne suis pas une grande optimiste, mais c’est toujours bien de pouvoir discuter de certaines choses qui auparavant étaient soit taboues soit considérées comme normales.  Je vois deux axes de progression majeurs dans le milieu que je connais :

  • Éduquer les mecs. A TOUT. La séduction, le consentement, briser les représentations patriarcales de la culture du viol et apprendre à gérer sa frustration.
  • Repenser le rapport à l’alcool et à la drogue. C’est un peu tabou car à la fois il y a un problème d’alcoolisme très répandu dans le milieu du live, mais la bière est aussi le moyen de survie de tout un tas de lieux de concerts qui n’ont donc pas vraiment intérêt à l’heure actuelle à promouvoir la modération. Dans le milieu squats on n’aime pas trop les interdits et ça empêche parfois de penser à une vraie politique de prévention et de réduction des risques, or je pense que la consommation excessive joue un rôle dans les agressions, même si ça n’explique pas tout.

Ceci dit c’est chouette de voir qu’il y a plein de gens et de lieux qui sont attentifs à ces questions, il faut développer les solidarités, rester vigilant-es, disponibles et prêt-es à proposer son aide si quelqu’un est en difficulté face à un relou. Là où c’est plus insidieux c’est quand l’agresseur n’est pas un « relou » mais le type charismatique et sociable avec qui tout le monde est pote. Quand ce mec-là « dérape » c’est plus difficile à identifier et donc à gérer.

Après je ne suis pas sûre qu’un milieu soit plus touché qu’un autre, au-delà de ces spécificités de la fête, de l’alcool et de la drogue, et du mythe « sexe drogue rock n roll » (en voilà une autre connerie), on va retrouver les questions d’agression et de harcèlement partout où il y a des enjeux de pouvoir et du patriarcat, c’est à dire dans toute la société.

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans le milieu musical ?

  1. Ne te lance pas dans un « milieu », on est toujours déçues par un « milieu ». Mais fais de la musique si tu as envie, organise, produit, même si tu ne sais pas faire !
  2. Fais toi des copines, prends-en soin, garde les ! Crée toi-même ton propre milieu selon tes règles et avec des gens que tu as choisis.

 

=> Retrouvez l’intégralité des interviews ici

 

 

Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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