à la découverte de l'affiche de concert indé à Lyon
Les murs ont des oreilles
Publié le 23/11/2020 à 06:00 - 10 min - Modifié le 12/02/2021 par Juliette A
Triste période pour parler de l’affiche de concert : les murs de Lyon semblent bien vides aujourd’hui, tout comme les scènes de nos salles préférées. Mais soyons optimistes, et rêvons d’un avenir où les affiches colorées et bidouillées couvriront à nouveau les murs, signe de vitalité de la programmation musicale locale !
Tradition lyonnaise née dans les années 1980, l’affiche de concert est revenue en flèche au milieu des années 2000 dans la capitale des Gaules. Une effervescence de la scène lyonnaise, des salles de concert et des bars ainsi qu’une créativité débordante des graphistes sont les ingrédients de cette pratique héritée du DIY des années punk. Car c’est bien ce qui fait tout le sel de ces œuvres d’art éphémères : une passion pour la scène musicale, et des artistes qui mettent leur talent à contribution pour soutenir cette cause commune, bien souvent dans une démarche de bénévolat. A grand renfort de collages, dessins, scotch, stabilo, photocopies, c’est tout une scène qui s’affiche aux yeux des habitants.
Nous vous proposons une découverte (forcément incomplète, la conservation de ce patrimoine underground n’étant pas exhaustive) de ce mouvement graphique , en nous appuyant sur les témoignages d’artistes, militants et collectifs, et sur les expositions rétrospectives qui leur ont été consacrées (« Contre les murs ! » /Bibliothèque municipale de Lyon, « Ecologie urbaine » /Barbapop et Grrrnd Zero).
Petit retour en arrière
A la fin des années 1970 c’est la culture de la débrouille qui explose avec la vague punk : les artistes et collectifs rejettent les circuits de production historiques et s’emparent de leurs propres moyens de diffusion, c’est le moment des concerts sauvages, des fanzines et collages dans la rue.
Lyon vit au même moment une période d’effervescence musicale : face aux multiples interdictions de faire des concerts dans les salles municipales, des initiatives naissent pour faire vivre la scène locale. Du Rock’n’roll Mops au théâtre de Fourvière, en passant par le West Side, ce sont des dizaines de groupes locaux qui foulent les scènes lyonnaises. A l’ENTPE (Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat), c’est le bureau des élèves qui organise des concerts au cours des années 1980, qui deviendront mythiques : The Cure, Orchestral Manœuvre in the Dark, Taxi Girl, D.A.F., et plus tard Sonic Youth.
Pourtant située à Vaulx-en-Velin et peu facile d’accès cette salle attirait un public de passionnés de new wave, notamment grâce à la diffusion d’affiches de concerts. Collées dans les rues de la ville, elles étaient réalisées par des élèves du bureau ou des passionnés de musique.
Parmi eux, le jeune Olivier Carrié (alias Uncle O) en crée un grand nombre : à l’aide de collages, de police letraset et de dessin, il développe un univers visuel s’inspirant du constructivisme russe, esthétique alors très utilisée par la scène new wave et post-punk.
Cette scène alternative continue de croître sur le terreau lyonnais au cours des années 1990 et 2000, et même si les salles de concerts indépendantes ne s’inscrivent pas forcément dans la durée, le Truck (1988-1990), le Glob (1988-1996), le Pez Ner (1996-2002) et d’autres, imprègnent profondément la mémoire collective des artistes et des passionnés, par leur programmation mais aussi via le médium de l’affiche.
Et aujourd’hui ?
Depuis les années 2000, la culture de l’affiche de concert continue à se développer à Lyon et ce phénomène a même été relayé par la presse nationale. Cette singularité peut toutefois passer inaperçue, tant ce support est éphémère, mais l’affiche résiste pourtant à la concurrence d’autres médias (réseaux sociaux). C’est souvent dans un cadre contraint qu’elle est réalisée, propice à l’inspiration : peu de temps, peu de moyens, c’est le petit format qui est privilégié, le collage, le noir et blanc, parfois la sérigraphie et un lettrage bien souvent manuscrit.
Cette grande liberté graphique, au service d’un acte militant, avait été mise en avant dans l’exposition « Contre les murs ! » en 2015. La dernière partie de l’exposition, « Communication buissonnière », débutait d’ailleurs par ce très beau texte introductif traitant de l’implication des artistes dans le message qu’ils mettent en image :
Il y a une forte implication du graphiste ou illustrateur dans la conception de ces œuvres éphémères destinées à attirer l’œil du passant, à convaincre le spectateur de venir. Les affiches sont toujours très singulières, à la fois reflet de la personnalité du dessinateur, mais aussi écho de l’atmosphère du concert à venir. Elle peut aussi utiliser des éléments, motifs, attendus : J.M.Bertoyas, l’un des parrains de ce mouvement graphique, décrivait avec un humour dans l’exposition “Contre les murs !” ce qu’il appelle « l’exemplarité d’éléments graphiques lambda » versus « l’exemplarité d’éléments graphique underground lambda » :
“Tentative rapide d’exemplarité d’éléments graphiques lambda : le papier peint kitch, la marguerite, une bouche, l’éternel design 50 américain, Che Guevara (fiesta espagnole), les années 80, le fluo, le lettrage-découpage, l’effet carton usé, l’effet motif, le fractal du pauvre, le design maoïste, la trame avec effet loupe, le manga, etc. Tentative rapide d’exemplarité d’éléments graphique “underground” lambda : le catch mexicain, les années 80, les dauphins, les pandas, le dessin “gauche”, les activités graphiques de maternelles, la trame sans effet loupe, la police “courrier new”, le photo montage, l’expressionnisme allemand, etc.”
La profusion de l’offre musicale lyonnaise est recensée chaque mois par le collectif d’organisateurs de concert Ville morte, pour rendre visible et soutenir la scène locale. La version imprimée du programme est confiée à un artiste ou un illustrateur à chaque nouveau numéro, qui donne à voir cette diversité musicale qui existe dans les salles lyonnaises.
Cette culture de l’affiche a pris son envol dans les années 2000, avec l’apparition de nouveaux lieux comme Le Sonic, Grrrnd Zero, ou l’arrivée de collectifs (Arbitraire, Maquillage et crustacés) mettant en avant une scène indépendante rock, noise, punk, folk ou psyché. Elle s’est aujourd’hui étendue à l’ensemble du réseau musical lyonnais, de la Smac (Epicerie moderne, Périscope, Marché Gare) aux bars (les Capuçins, le Rita-Plage, etc) en passant par les salles de concert (Le Sonic, Bizarre !, le Kraspek Myzik, Grrrnd Zero), l’affiche s’est imposée comme un médium incontournable, adapté au contexte de chaque lieu.
Cet acte quasiment militant, de créer et de coller des affiches pour des groupes, des lieux ou des organisations qui sont chers à cette communauté n’a pas été sans difficultés. L’affichage a été violemment combattu par la Ville de Lyon dans les années 2000, qui le considérait sauvage plus qu’artistique, conduisant à 4 années de procès contre les illustrateurs, dont Barbapop, finalement relaxé. Au cours de vos promenades le long des murs lyonnais, si vous êtes attentifs, vous verrez que désormais un grand nombre d’affiches sont collées avec du scotch, et non directement sur le mur.
Pied de nez à cette sombre période, une grande exposition d’affiches « Ecologie urbaine », organisée par Barbapop et Grrrnd Zero, a fêté 15 années de concerts par une rétrospective de ses affiches et des artistes qui les ont faites : Damien Grange, Alba Po, Seb Radix, Félicité Landrivon, Leslie Chanel / ab records, Bertoyas, Brulex, Lia Vé, Gaëlle Loth, Hygiène sonore, Bike Sabbath, Géraud, etc.
Alors quand les concerts reprendront, regardez les murs de votre ville s’animer aux couleurs de la musique et allez soutenir les artistes et les salles qui font vivre cette scène locale et qui ont besoin de vous ! Mais attention, il faut être attentif, ces affiches sont éphémères et ne restent parfois collées que quelques heures.
Qui sont-ils ?
Pour en savoir plus sur ces artistes ou collectifs, nous avons sélectionné pour vous quelques liens qui vous permettront d’explorer leurs univers graphiques. Pour vous rendre sur leurs sites, cliquer sur les images.
Dans nos collections —> 300 images sauvages : affiches de concerts organisés à Lyon entre 2004 et 2009
—> Interview de Thomas de Maquillage et Crustacés
Dans nos collections —> Bière, feuille, ciseaux : escroquerie graphique & phylactères : une sélection d’affiches & pochettes de Seb Radix / Seb Radix
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3 thoughts on “Les murs ont des oreilles”
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Les briques du néant n’existent plus (RIP) mais Ville Morte (agenda de concerts au chômage technique et webzine précaire) est bien vivante comme son nom ne l’indique pas : https://villemorte.fr/ 🙂
pardon j’avais lu trop vite et pas vu que c’était bien dans le corps de l’article 🙂
merci pour vous commentaires : je trouvais intéressant de montrer le travail graphique fait avec les Briques du Néant, même si ça n’existe plus, mais je vais ajouter cette information dans l’article !