Rock lyonnais

90’s à Lyon : les années soniques [2/2]

- temps de lecture approximatif de 7 minutes 7 min - Modifié le 29/04/2021 par Alfons Col

De Luigi Russolo à Lou Reed, du free jazz à Stockhausen, les expériences bruitistes ont traversé tous les grands genres musicaux depuis le début du XXe siècle. C’est en s’appuyant sur ses pairs qu’au milieu des années 1980 une scène new-yorkaise, après avoir radicalisé le punk (hardcore) utilise des matériaux sonores iconoclastes pour théoriser le « noisy-rock » (ou la Noise).

Sommaire : [1/2] [2/2]

 

La noise nous questionne sur la définition même de la musique, la dissonance, l’esthétique, l’expérience d’écoute, la saturation jusqu’à nos limites en tant qu’auditeur.

Cette scène (Sonic Youth, The Jesus Lizard, …) essaime progressivement ses expérimentations sonores extrêmes sur toute la planète : au Japon, en Italie et même en France où elle reçoit un auditoire conséquent.

La scène lyonnaise ne s’est pas contentée de copier ses grands frères américains. Elle s’est imprégnée de ces multiples influences américaines mais aussi françaises…Sloy à Béziers, Hint à Angers, Portobello Bones à Tours jusqu’aux Parisiens de Prohibition, la France n’a pas à rougir de cette nouvelle scène qui secoue les 90’s.

 

Condense, Deity guns, Bästard : une première vague solide

-Condense-

Le groupe se forme en 1990 grâce à la rencontre entre Varou Jan (guitare) et quelques membres d’une bande venue de Craponne qui partageait les mêmes goûts musicaux (punk, hardcore américain…).  C’est là bas du reste que se crée l’association Silly Hornets (voir [1/2]),  activement soutenue par Maïe Perraud devenue la manageuse du groupe (leur Swami comme ils l’appellent). Ils côtoient alors les autres têtes montantes de la scène lyonnaise Parkinson Square et Deity Guns. Va naître une importante émulation entre ces trois groupes qui se connaissent et s’apprécient.

Après trois ans de répétitions acharnées (plusieurs par semaines) et d’écoutes passionnées des nouvelles turbulences sonores outre-atlantique, ils accouchent d’un premier mini-album « Air » (1993) très inspiré par le hardcore américain. Le chant volontairement hurlé du chanteur Marc Prempain soutient des textes engagés qu’ils auront toujours à coeur de transmettre dans leurs pochettes.  Condense est le chaînon manquant entre le hardcore des Parkinson Square et la noise de Bästard et ils illustrent parfaitement ce glissement progressif vers des titres plus étirés, l’ajout récurent de touches bruitistes, découvertes par empirisme.

C’est avec leur deuxième disque « Genuflex » (1995) enregistré au studio des Forces motrices à Genève que Condense propose une musique plus destructurée au tempo plus lent et une recherche bruitiste plus avancée. L’architecture des morceaux est principalement du fait du guitariste Varou Jan, seul membre de la bande à avoir eu une formation musicale poussée. Retrouvez notre article à propos de cet album devenu mythique.

A la suite de Genuflex tout va très vite, les dates s’amoncellent partout en France avec une tournée en première partie de Fugazi, l’année 1995 s’achève sur les rotules.

Toujours soutenu par le fidèle label marseillais Pandemonium records, ils enregistrent un nouvel album « Placebo » à l’été 1996 qui illustre leur recherche permanente d’un son de plus en plus « crade ».

Militant du DIY, refusant de signer sur une major, Condense ne fait pas beaucoup de concession (d’où le mythe 30 ans plus tard) et malgré les éloges des fanzines, les comparant à Jesus Lizard, une bonne fanbase partout en France, l’aventure s’arrête après un ultime concert à Bordeaux en novembre 1996.

Après le split Varou Jan rejoint le groupe Le Peuple de l’Herbe puis composera la BO du film  « Baise-moi » de Virginie Despentes. Marc Prempain et le batteur Sebastien Barcet montent un temps le groupe Junior Merill en revenant à leurs premiers amours, le 60’s garage. Le second guitariste Wilo Siméan est devenu ingénieur du son.

 

-Deity guns-

Eric Aldéa (guitare, chant) et Stéphane Lombard (basse) se rencontrent sur les bancs de l’Ecole d’Architecture de Lyon en 1987. Après plusieurs essais avec différents musiciens, le line-up se stabilise l’année suivante avec l’arrivée du batteur Frank Laurino et d’un second guitariste  Stéphane Roger. Le public lyonnais les découvrira en 1989 lors de leur premier concert au Glob en ouverture des Australiens Died Pretty.

 

Ils enregistrent leur premier fait d’armes le mini-album « Stroboscopy » en février 1991 soutenu par le label angevin Black & Noir records. Avec des titres comme Circles ou Kurious… Here Today qui sont devenus des pierres angulaires de la noise hexagonale, les Lyonnais se posent comme les dignes enfants de Sonic Youth.

Et les américains ne s’y tromperont pas puisque l’album suivant sera produit par Lee Ranaldo lui même. A l’été 1992 les Lyonnais partent enregistrer à New York leur unique album.

Trans-Lines Appointment, avec sa pochette magnifique s’ouvre sur 1,2,3,4 : « The Map » autre titre phare du groupe même si l’album dans son entier est devenu mythique.

En 2009 le label Ici d’ailleurs propose une anthologie de tous leurs enregistrements studio et live. Nous avions chroniqué “A recollection” ici.

A noter la sortie l’année dernière, d’un album de démos datant d’avant.  « Proto Larsen » exhumé par le label de Chambéry Larsen Recordz illustre l’évolution du travail du groupe puisque 5 titres de ces démos se retrouveront sur  Stroboscopy dans des versions différentes.

Rétrospectivement les Guns de Lyon paraissent à l’avant garde de tout le rock français de l’époque. La recherche perpétuelle d’un son original -sculpté jusqu’à l’os- était couplée à une envie viscérale de rester punk, underground, en dehors des clous.

-Bästard-

A cette époque, la bande d’Eric Aldéa  n’a de cesse de trouver cette formule magique. Alors après le départ du bassiste parti s’installer à Londres, le trio restant forme dans la foulée Bästard en recrutant François Cuilleron (guitare, violon) et Jean Michel Berthier (sampler).

L’expérimentation sonore s’accentue avec l’apport de machines, voix et sons samplés mais aussi de nouveaux instruments acoustiques (violon, steel-drum, clarinette…).

 

Avec trois albums studio, des lives et quelques maxi édités en seulement cinq ans, la prolifique carrière de  Bästard reste une référence dans le monde de la noise française, souvent cité comme influence majeur pour la génération suivante. Comme pour les Deity Guns, Ici d’ailleurs a compilé sur trois cd la quasi totalité de leur discographie. Il faut découvrir le groupe à travers l’écoute de cette anthologie « the acoustic machine 1993-96 » tant elle illustre à travers ses différents aspects une liberté de créer toujours plus  présente.

 

Le groupe se sépare en pleine apogée juste après une collaboration avec Yann Tiersen. Le noyau du groupe se retrouvera presque dix ans plus tard pour former le groupe Zëro, continuant l’aventure jusqu’à aujourd’hui. Nous vous proposerons à l’occasion un article autour de ce monstre du rock balayant toutes les esthétiques.

 

Mais revenons à nos bonnes vieilles 90’s. Aux côtés de ses mastodontes du rock lyonnais gravitaient d’autres formations attirés par l’esthétique noise. C’était le cas d’Exsonant dont on ne sait pas grand-chose mais qui aurait mérité plus de soutien à l’époque. Après un très beau 45 tours sur le label lyonnais Make my day ils rejoignent l’écurie Pandemonium pour enregistrer un 6 titres en 1997. Aujourd’hui il reste heureusement quelques traces sur youtube.

 

Ned, Doppler S.K. records la relève !

En 1998 la noise n’a plus vraiment la même signification, mais l’utilisation de la dissonance, des effets saturés et des sonorités extrêmes se propagent dans toutes les variantes du rock indé. Post-rock, math rock ou  neo-krautrock ont intégré le noyau noise pour aller dans des contrées tous azimuts.

Le label S.K. records est fondé à Lyon 1998 par des activistes du DIY qui après une expérience en tant que fanzine veulent aussi pouvoir éditer leur musique. Nico Poisson, fondateur du label est aussi à la base du trio Ned formé la même année.  Avec Tristan Perreton ( basse), Nikko Fenouillat (batterie) le groupe a su perpétuer la légende lyonnaise, jouant une musique plus décomplexée entre noisy-pop  et math-rock foutraque et groovy.

“Le choc de l’astronomie populaire” premier véritable album est ré-enregistré à Hambourg en 2002 pour cause de perte des bandes originales initialement enregistrées en Italie en 1999. Ned brouille les pistes et c’est assez jubilatoire. Après deux autres albums Rien, Merci (2005) et Bon sauvage (2009)

L’aventure s’arrête en 2015 mais Nico Poisson reste un incontournable du rock indé lyonnais avec des participations dans les groupes Rubiks, Total Eclipse et maintenant Sathönay.

 

SK19EP (2001)

 

C’est S.K. records qui sortira les deux premiers E.P. du groupe Doppler « 51 » (1999) et « Doppler » (2001). Ce trio formé à Solaize (sud de Lyon) en 1998, produit une noise torturée et hypnotique très inspirée de la première vague lyonnaise.

Yann Coste (batteur),  Xavier Amado (chant, basse) et Yoann Brière (guitare) profiteront d’un contexte plus favorable grâce à un réseau de distribution plus développé dans toute la France. Leur meilleur album “Si nihil aliud” enregistré en 2003 est distribué par XIII bis records, un des plus gros catalogue de l’époque. Il montre la maîtrise absolue du travail du trio passant d’un déluge de décibels (Roquette) à une noise millimétrée et complexe (Metallic Tambura – Like Drones).

Mettant la clé sous la porte en 2010, Doppler prévoyait une reformation, coupée de plein fouet par la crise sanitaire, l’envie ne sera que plus dense lors du retour à la normale…stay tuned !

Avec une cinquantaine de productions à son catalogue S.K. records, toujours en activité, sera  un incontournable défendeur du rock indé à Lyon nous faisant découvrir dans les décennies suivantes d’autres groupes lyonnais inspirés par la noise comme Bananas at the Audience ou   Kabu ki Buddah.

Pour aller plus loin :

The most beautiful ugly sound in the world : à l’écoute de la noise

Guillaume Antonicelli : Deity Guns Condense : Do it Yourself !

 

 

Partager cet article

Poster un commentaire

One thought on “90’s à Lyon : les années soniques [2/2]”

Comments are closed.