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“LEUR HAINE, NOS MORTES”

Photographe : Boursier, Jean-Pierre, 16-02-2020

- temps de lecture approximatif de 4 minutes 4 min - par B. Yon

Depuis plus d'un an, les murs de nos villes se parent de phrases choc. Grandes lettres noires sur papier blanc, cinglantes, qui dénoncent les féminicides, les violences sexistes et l'oppression patriarcale. Retour sur un mouvement féministe né il y a peu, qui a rapidement pris de l'ampleur.

Collage papier, "Leur haine, nos mortes"
Collage papier, "Leur haine, nos mortes" 1 rue Neyret, Lyon 1er arrondissement.

Collectif contre les féminicides, les origines du mouvement

Initié en février 2019 par Marguerite Stern, activiste féministe, ancienne Femen, le mouvement des collages contre les féminicides a vu le jour à Marseille, où elle résidait à l’époque. La première phrase qu’elle va coller, seule au départ, est : “Depuis que j’ai 13 ans, des hommes commentent mon apparence physique dans la rue”. Puis en mars 2019, elle dénonce pour la première fois un féminicide, celui de Julie Douib, jeune femme assassinée par son ex-conjoint en Corse après avoir déposé cinq plaintes contre celui-ci, restées sans suite.  C’est le 30 août 2019 qu’elle organise le premier collage collectif à Paris. L’idée des collages est ingénieuse, car facile à mettre en place et peu onéreuse. Le résultat est percutant, de par la simplicité même du dispositif : de grandes lettres noires, sur des feuilles A4 blanches, sans fioritures, pour laisser toute la place au message. L’idée est de rendre visible ce qui, depuis toujours, ne se dit pas, ne se montre pas, ne se raconte pas. Quand une femme est assassinée par son conjoint ou ex-conjoint, jusqu’ici, les médias parlaient injustement de crime passionnel. Mais derrière ce terme bien peu approprié se cache l’horreur d’un meurtre, une réalité bien plus sordide que ce terme presque “romantique” de crime passionnel peut le laisser supposer. C’est pourquoi les phrases collées dans les rues se veulent incisives, glaçantes parfois, comme “Ce soir il me tue”, “Céline défenestrée par son mari, 19e féminicide”“Papa il a tué maman avec des couteaux”, ou encore “Maureen, 28 ans, battue à mort par son mec, 28e féminicide”.

Les premières divergences

Très rapidement, le mouvement s’étend à d’autres villes françaises. Lille, Toulouse, Bordeaux, Lyon, des collages fleurissent un peu partout sur le territoire. Le mouvement se veut “non-mixte”, excluant les hommes du combat, estimant que les femmes n’ont pas besoin d’eux pour défendre leur propre cause. Mais rapidement, une première polémique va diviser le groupe d’activistes. De nombreuses branches vont se désolidariser de la base et de Marguerite Stern, dont les idées très radicales ne font pas consensus. En effet, en janvier 2020, suite à un collage à Montpellier prônant la convergence des luttes entre femmes et personnes “trans”, qui rejettent leur identité sexuelle d’origine, Marguerite Stern prend position contre ce ralliement, estimant qu’être une femme est avant tout un fait biologique, et que par définition, les personnes trans ne sont pas des femmes, et ne peuvent donc pas rejoindre le mouvement. Première scission dans le mouvement.

 

Collages féministes Lyon, un combat contre toutes les formes de violences

A Lyon, le collectif “Collages féministes Lyon” essaime un peu partout dans la ville, dans tous les arrondissements. Les collages se font, comme ailleurs en France, de nuit. Une façon de se réapproprier la vie nocturne, vu comme un espace où la domination masculine est omniprésente et menaçante pour les femmes. Il n’est pas rare qu’elles écopent d’amendes lors de contrôle de police, le collage “sauvage” sur la voie publique étant interdit. Elles sont, d’après leur site, plus de 600 à coller. Les lyonnaises affichent leur volonté d’être davantage inclusives.

Elles se définissent ainsi : “Collages Féministes Lyon est un collectif de militant.e.s en non mixité choisie dont le but est de dénoncer toutes formes d’oppressions patriarcales et l’inaction du gouvernement face à celles-ci. Nous collons sur les murs de Lyon pour dénoncer les violences sexistes, sexuelles, LGBTQIA+phobes, putophobes, racistes, validistes, grossophobes, classistes… Dont sont victimes les femmes, les enfants et les minorités de genre. Nous souhaitons occuper l’espace publique et afficher notre solidarité avec toutes les victimes de ces violences par nos collages.”

Elles ont donc élargit leur lutte contre toutes formes d’injustices faites aux minorités, et plus seulement aux seules femmes. Contre les violences policières, contre la précarité, les violences envers les enfants, aux prostituées, etc. On peut lire sur les murs de Lyon : “Police = milice machiste”, “Le virus c’est le capitalisme patriarcal”, “Les gendarmes t’ont tué, mais ils ne tueront pas ton Adama”.

On voit donc qu’à Lyon, le mouvement a muté pour devenir un mouvement de luttes beaucoup plus large que celui que Marguerite Stern avait initié à la base.

 

Dans une période où le combat pour les droits des femmes est plus que jamais présent dans le débat social, après les affaires DSK, Weinstein, Polanski, après #MeToo, #BalanceTonPorc, #NousToutes, qui rendent visibles les violences faites aux femmes sur les réseaux sociaux, le collectif de collages féministes donne à voir les violences faites aux femmes dans l’espace public. Les phrases sont pour certain ou certaine dérangeantes, choquantes. Mais le but est bien là : rendre visible l’indicible.

 

Sources :

Site du collectif lyonnais

Marguerite Stern

Pour aller plus loin :

Le nouveau féminisme : combats et rêves de l’ère post-Weinstein / Barbara Polla

Cours petite fille ! : #metoo #timesup #noshamefist 

Le capitalisme patriarcal / Silvia Federici 

La révolution féministe [Livre] / Aurore Koechlin

Pourquoi les femmes vont sauver la planète : le manifeste éco-féministe / C40 Cities climate leadership group & les Amis de la terre 

Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? / Malika Hamidi 

Femmes, race et classe / Angela Davis 

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