La presse féministe en France
Publié le 15/12/2021 à 08:00 - 7 min - par Lo Croix-Rousse
Ces dernières années, la presse féministe se fait plus présente, notamment grâce à la vague #metoo. Ce que l'on sait moins c'est qu'elle existe depuis le XIXe siècle, depuis les débuts du féminisme. La presse féministe témoigne de deux siècles d'histoire des femmes et du féminisme en France.
Apparition des revues féministes au XIXe
C’est au XVIIIe siècle que naissent les premiers journaux destinés aux femmes en France. Ces publications véhiculent surtout des modèles de féminité traditionnels et perpétuent le partage des rôles sociaux. On y trouve déjà de la mode, de la littérature et des papiers sur les bonnes manières. Mais c’est assez vite, juste après la Révolution, qu’apparaissent à leur tour des périodiques que l’on pourrait qualifier de féministes car spécifiquement conçus par et pour des femmes et soucieux des conditions de vie des femmes. Ils sont au départ réservés aux femmes aristocrates, aisées, oisives et lettrées. Autant dire une minorité.
La Femme Libre (1832 – 1834) dont le nom fera sourire et sera changé plusieurs fois en «Femme de l’Avenir», puis «Femme Nouvelle», se lève contre toute autorité masculine, contre le mariage vécu comme esclavage et pour le droit au plaisir.
C’est notamment à partir de ce journal que va commencer le journalisme féminin français et que vont fleurir des journaux éphémères, brochures et pamphlets féministes, tous écrits par des femmes et pour les femmes.
Le Journal des femmes (1832-1837), comme la plupart des revues de cette époque, revendique un féminisme essentialiste, c’est-à-dire qui défend les différences des sexes, et souhaite une reconnaissance des qualités des femmes comme celle d’être mère, d’être épouse ou d’être maîtresse de maison. Le magazine fera campagne pour le droit au divorce. Il ne pourra tenir très longtemps ses engagements militants et reviendra à la broderie et aux recettes de cuisine avec le temps.
La Gazette des femmes dirigée par Madame Madelaine Poutret de Mauchamps était un journal de législation et de Jurisprudence. Le journal s’ouvrait systématiquement sur une pétition et militait pour le droit de vote, le droit au divorce et pour l’abolition de la peine de mort. Un journal turbulent pour l’époque, qui agacera le gouvernement. Sa directrice sera condamnée pour outrage aux bonnes mœurs ce qui mènera à la fin du journal.
La Voix des Femmes, publié à partir de 1848, se dira « socialiste et politique, organe des intérêts de toutes ». Ce n’est pas un journal pour bourgeoises cette fois et c’est pourquoi il se transformera en lieu de réunions et d’entraide, puis en association et va participer au mouvement des clubs non-mixtes de femmes.
Sa ligne éditoriale porte un intérêt à l’éducation, l’émancipation des femmes mais aussi à leur sécurité, à leurs statuts de salariées, tout en ne remettant jamais en cause leur rôle maternel au sein de la famille.
La Fronde (1897-1930) La journaliste au Figaro, Marguerite Durand va créer son propre journal destiné aux femmes. Ce journal sera entièrement conçu en non mixité car la journaliste choisira de ne convier aucun homme dans son équipe. Le monde du journalisme étant fortement dominé par les hommes, elle entend prouver que les femmes sont capables de gérer un journal de A à Z. Par ailleurs, qui de mieux placé que les femmes pour parler des conditions de vie des femmes ?
“ Dès demain les murs de Paris et de la France seront recouverts d’affiches éclatantes. On y lira : LA FRONDE. Grand journal quotidien dirigé, administré, composé par des femmes. Les femmes forment en France la majorité de la population. Des millions de femmes, célibataires ou veuves, y vivent sans le soutien légal de l’homme […] LA FRONDE, journal féminin et féministe, sera l’écho fidèle de leurs approbations, de leurs critiques, de leurs justes revendications. ”
(journal La Presse, 4 décembre 1897)
La Seconde Guerre Mondiale
Pendant que la presse quotidienne est durement touchée, les feuilles ronéotées clandestines résistantes, elles, vont fleurir à partir de 41.
Les femmes étaient présentes dans toutes les activités de la résistance et ont beaucoup participé à la presse clandestine. On les retrouve à toutes les étapes de la chaîne de la conception des journaux, parfois même à des postes clés comme ceux de rédactrices en chef ou responsables de diffusion.
Ces journaux-tracts distribués sous l’occupation appelaient à manifester contre les difficultés du quotidien engendrées par la guerre comme la pénurie, la hausse des prix des denrées alimentaires ou encore contre la réquisition des hommes pour le STO (Service du Travail Obligatoire), comme Femmes patriotes de l’Organe des comités féminins de la Résistance (M. U. R) ou La Franc Comtoise, produit par des comités féminins ouvriers.
Il pouvaient parfois appeler à entrer dans la lutte contre l’occupant comme La Voix de la Femme Juive de la section féminine du journal de l’Organe du Mouvement national juif de lutte contre le fascisme par exemple.
Le droit de vote pour les femmes obtenu soudainement en 1944 signe la fin de la première vague féministe en France. Après la Libération, on voit apparaitre de nouvelles revues féministes souvent rattachées à un mouvement politique. C’est souvent une presse de propagande qui s’adresse aux électrices comme Femmes françaises et Heures Claires de l’Union des Femmes Françaises (U.F.F), toutes deux rattachées au Parti Communiste Français (PCF).
Ou encore Antoinette , qui fut la revue féminine et féministe de la CGT à partir de 1955. Le syndicat communiste voulait, en confiant la création de ce magazine à une équipe de femmes, inclure la lutte féministe à la lutte des classes. Mais la question féministe n’allait pas forcément de soi au sein du syndicat. Aussi, en raison de différends idéologiques avec la centrale, toute l’équipe sera licenciée et la revue finira par disparaître dans les années 80.
Les années 70
Suite au mouvements sociétaux de Mai 68 mais aussi aux actions radicales du MLF, une impulsion féministe a lieu dans la presse. Elle accompagnera cette deuxième vague féministe. Des centaines de revues éphémères et locales, féministes et parfois militantes vont voir le jour avec des périodicités très aléatoires.
Toutes sont faites par des bénévoles et des collectifs et seront souvent distribuées avec très peu de moyens lors de manifestations ou dans certaines librairies. Ces revues ne tiendront jamais très longtemps car peu rentables et difficiles à maintenir.
En voici quelques-unes :
Le Torchon Brûle (1971-1973) était une revue du MLF. C’est à l’école des Beaux Arts de Paris que le « menstruel » va naître de l’initiative de quelques militantes entendant notamment libérer les femmes de l’enfermement du foyer.
Des Femmes en mouvements (1977-1982) du groupe Psychanalyse et politique du MLF. On y aborde avec un regard de femme tous les problèmes économiques, sociaux et culturels et les conditions de vie des femmes à travers tous les pays.
Sorcières, Les femmes vivent (1975-1980) fondée par Xavière Gauthier, était une revue qui se donnait pour mission d’offrir un espace de création littéraire et artistique aux femmes. Elle leur a permis de diffuser leurs arts librement et d’engager un travail de réflexion sur les spécificités de la création féminine.
Choisir la cause des femmes, était la revue qui accompagnait le mouvement du même nom pour la dépénalisation de l’avortement créé par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir en 1971.
Questions féministes (1977-1980) est une revue issue du courant féministe matérialiste (un courant théorique féministe radical) créé par un groupe de féministes dont Simone de Beauvoir a fait partie et à laquelle la philosophe et militante féministe Monique Wittig a participé également. La revue s’est arrêtée suite à des désaccords au sein du groupe et reprendra sous le nom de Nouvelles Questions féministes en 1981.
Ah! Nana (1976-1978) était une revue de bande dessinée faite par des femmes qui touchait à des sujets très féminins comme les règles ou l’avortement. Elle sera interdite aux mineurs suite à la parution de son 8ème numéro consacré à l’homosexualité, ce qui contribuera à l’arrêt prématurée de la revue.
Les Pétroleuses était une revue militante distribuée par un groupe de femmes proche des milieux communistes et qui se situait dans la “tendance lutte des classes du MLF”. Une revue qui portait une attention particulière aux conditions de travail des ouvrières et à “la double journée des femmes”.
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