Livres marquants, livres décisifs
Pourquoi tombons-nous amoureux d'un texte ?
Publié le 20/09/2023 à 07:00
- 5 min -
par
Paquita Lefranc
Certains livres nous hantent plus que d’autres. Que l’histoire nous fasse rêver ou nous interpelle, les lecteurs que nous sommes avons tous rencontré plusieurs textes marquants. Nous savons à ce moment-là que nous avons entre les mains quelque chose de différent, quelque chose qui va nous accompagner au-delà de la simple lecture. Mais qu’est-ce qui fait que nous tombons amoureux d’un texte ? Qu’en faisons-nous ensuite ? Comment nous accompagne-t-il au fil du temps ?
Quid du fameux coup de coeur
Que ce soit sur les blogs littéraires, sur les réseaux sociaux, dans les librairies ou les bibliothèques, la mention coup de cœur apparait régulièrement sur certains ouvrages. Outre le fait que la personne qui a accolé cette étiquette a adoré sa lecture, qu’est-ce que cela signifie réellement ?
Chacun d’entre nous a une définition du coup de cœur qui lui est propre. C’est une vision très personnelle qui varie d’un lecteur à l’autre. Est-ce un livre enthousiasmant ? Est-ce un texte dont la qualité littéraire est époustouflante ? Est-ce un sujet intéressant, atypique ou bouleversant ? Est-ce simplement un roman qui nous permet de déconnecter ? Cette liste d’interrogation peut être longue.
On lit comme on aime, on entre en lecture comme on tombe amoureux : par espérance, par impatience. Sous l’effet d’un désir, sous l’erreur invincible d’un tel désir : trouver le sommeil dans un seul corps, toucher au silence dans une seule phrase (Christian Bobin).
C’est là que notre personnalité et notre sensibilité entrent en scène. Nous pouvons être autant réceptifs à l’essentiel qu’au dérisoire. Il n’y a aucune explication rationnelle.
Temporalité
Cependant, nous observons que le coup de cœur s’avère souvent temporaire. C’est une impulsion de notre être qui tient de l’instant. Nous pouvons aimer un livre à 20 ans et le détester des années plus tard. Tous nos coups de cœur n’ont pas la même saveur selon notre état d’esprit. Ils restent dépendants de l’évolution de notre pensée.
Fugace ou tenace, c’est donc le temps qui nous dit si ce coup de cœur va perdurer. Que devient une lecture passée une dizaine d’année ? Un quart de siècle ? Certaines restent intactes, elles ont changé d’une certaine manière notre façon de penser, nous ont accompagné dans des choix et ont orienté notre existence sur une autre voie. Et puis il y a ces lectures dont nous gardons un vague souvenir, plaisant certes, mais pas inoubliable malgré l’engouement ressenti.
Quotidien versus imaginaire
A bien y réfléchir, nous devons pouvoir repérer nos propres mécanismes d’addiction. Sans dire d’élaborer des théories cognitives et esthétiques sur ce rapport entre réel et fiction, il est intéressant de s’interroger sur la dimension concrète que prend la fiction dans notre quotidien.
Nos vies de lecteurs sont remplies de personnages avec leurs histoires. Il s’agit d’une rencontre entre deux plans d’existence, l’un réel et l’autre fictif. Et ces individus viennent d’un coup dans notre sphère familière, nous font rire ou pleurer, mais surtout, ils nous interrogent. Ils deviennent le fond et la forme de notre quotidien.
Même si nous la fantasmons parfois, nous savons bien que la fusion totale entre ces deux mondes est impossible. Cependant, il arrive parfois que rien n’arrive à combler l’absence des personnages de nos amours littéraires. C’est rare mais c’est un fait. Certains lecteurs ne supportant pas ce manque, se mettent à rédiger des fan-fictions afin de prolonger cet état d’addiction.
La rupture littéraire

Mais alors, sortons-nous tous enrichis de nos lectures ou bien parfois abattus ? Faut-il renoncer à cette forme de plaisir intellectuel afin de ne pas prendre le risque d’être déçu ou frustré ?
Nous avons probablement tous connu cette effervescence d’avoir une pépite entre les mains et de redouter le jour où nous la terminerons. Que faire ? Ralentir la lecture jusqu’au bout ? Elle se terminera in fine. Lire tous les romans du même auteur ? Cela peut se tenter mais cela ne marche pas systématiquement. Enchainer les chefs d’œuvres en espérant retrouver les mêmes émotions ? C’est rarement la solution.
Tom Gauld/La revanche des bibliothécaires, éditions 2024
Nous devons apprendre à affronter cette sorte de deuil littéraire. Prendre le temps, lire quelque chose de différent et ne rien attendre. Aller de coup de cœur en coup de cœur deviendrait lassant et viderait de son sens ce terme. Rien ne nous empêche de faire vivre ce livre en le conseillant.
Le livre révélateur et décisif
Et puis il y a ce livre qui sort du lot. Ce livre qui nous bouleverse sans réussir à expliquer pourquoi. Sans doute existe-t-il des explications d’ordre psychologique. Tel livre nous correspondra plus à tel moment selon ce que nous traversons. Un coup de cœur est un élan qui fait écho à des émotions plus ou moins conscientes.
Mais ce livre-là, celui qui nous permet de nous découvrir, celui qui nous ouvre les yeux sur nous-même, n’est-il pas un peu plus marquant que les autres ? Il y a ces mots étrangers qui d’un coup nous permettent de reconnaître ce qui nous semblait étranger en nous. Notre part d’indicible prend vie sous la plume d’un écrivain et nous nous sentons enfin compris.
Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a toujours une phrase écrite qui nous redonnera le goût de vivre (Georges Perros).
Alors oui, il nous faut abandonner l’idée d’être objectif. L’écriture est une création de l’homme, inscrite dans le temps, tissée par les mots de l’auteur mais surtout par les perceptions et la sensibilité des lecteurs. Au final, ce n’est pas tant une histoire de degré d’exigence mais une façon de se laisser habiter par les mots d’un autre.
Tout comme le coup de foudre existe entre deux êtres humains, le coup de coeur pour un texte peut être aussi intense et inattendu. Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin ! Une fois le livre terminé, restons heureux car nous venons de lire une oeuvre magnifique. Ne soyons pas triste de quitter les héros et héroïnes qui nous ont accompagnés pendant plusieurs jours, plusieurs semaines. Et si les prochains livres nous paraissent fades, soyons rassurés, il y aura toujours une merveille sur laquelle tomber un jour prochain.
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2 thoughts on “Livres marquants, livres décisifs”
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Merci pour cet article qui me semble assez juste sur de nombreux points. Mais peut-on avoir assez de patience pour continuer à lire jusqu’à tomber à nouveau amoureux ? d’un livre évidemment!
Merci pour votre commentaire.
Votre question sur la patience invite à s’interroger sur un possible renoncement face à une quête d’absolu. Comme je l’écrivais un peu plus haut, il faut surtout ne rien attendre. Pour y répondre, je vous citerai Aragon qui disait très justement ceci : ” Qui a le goût de l’absolu renonce par là au bonheur”.
A méditer…