Sélection hivernale (2/4)
Episode 2 - Roman policier et littérature de l'imaginaire
Publié le 25/12/2017 à 00:00 - 14 min - Modifié le 21/12/2017 par Yôzô-san
Le département Langues et Littératures vous propose la deuxième partie de sa sélection de lectures hivernales, consacrée au roman policier et à la littérature de l'imaginaire.
Romans policiers
Il y a tellement de sous-genres dans le polar mais en voici un bien à la mode et qui garantit des frissons dans le dos : le polar domestique ou si voulez le polar qui se passe tout près de chez vous, en famille, les deux pieds sous la table quand ils ne sont pas dans le cercueil !
La pauvre Elizabeth Hampton est confrontée à un drame personnel : son frère handicapé aurait tué leur mère dans un accès de folie. Tout l’accable. Et pourtant Elizabeth reste convaincue qu’il n’a rien à voir avec tout ça. Oui mais alors : qui est l’auteur de l’homicide ? Et pourquoi cette strangulation ? La mère d’Elizabeth avait-elle des choses à cacher ?
Autant vous dire que David Bell maintient le suspense psychologique avec une redoutable efficacité et sans jamais tomber dans les facilités du genre.
Le diable en personne, Peter Farris
On ne le redira jamais assez mais on aime beaucoup les éditions Gallmeister et notamment sa collection Neo noire qui convoque des plumes acérées, trempées dans une encre noire, inquiétante, délicieusement barrée. Le dernier roman de Peter Farris n’échappe pas à la règle : dans le décor d’une Géorgie inhospitalière, Maya et Leonard Moye vont apprendre à se connaître et partager leur légitime colère.
Un roman polyphonique, tendu, déjanté signé par un auteur incontournable du polar et qui sait si bien dépeindre une Amérique sauvage et imprévisible.
Quand son passé revient brutalement se rappeler à son bon souvenir, Karl Kane va décider de régler les choses une fois pour toutes.
Au scalpel est le 4e opus des enquêtes du privé Irlandais Karl Kane. Homme cynique cabossé par la vie, Kane est un détective aux méthodes directes, parfois brutales. Quand des grands-parents l’embauchent pour enquêter sur un feu qui a emporté leurs enfants et petits-enfants, Kane se retrouve aux prises avec son passé. Un passé terrible et destructeur.
Comme à son habitude, Sam Millar nous offre un roman sombre, bestial, sans complaisance ni fioritures. Un roman qui vous prend à la gorge et vous emporte au cœur de l’horreur.
Des garçons bien élevés, Tony Parsons
Ouh voilà un polar bien énervé, bien méchant et qui règle ses comptes à la société : l’enquêteur Maw Wolfe se retrouve en effet avec sept anciens étudiants égorgés les uns après les autres.
Ça sent le tueur en série à plein nez, ça sent surtout le roussi : le polar vous promet une belle balade dans les bas-fonds de Londres comme dans les hautes sphères du pouvoir. Damned !
En marche vers la mort, Gerald Seymour
Voici un polar très ancré dans notre actualité et qui interroge les méandres de l’âme humaine. L’officier David Banks traque un jeune étudiant en médecine qui s’est radicalisé et qui a pour projet de mourir en martyr en Europe. Avec ce polar très bien ficelé, Gerald Seymour, considéré à raison comme un des dignes héritiers de John Le Carré, entreprend un passionnant voyage dans les arcanes du terrorisme international et cherche à comprendre ce qui conduit un homme à mettre sa vie en danger au nom d’un idéal.
« Captivant de la première à la dernière ligne, c’est le genre de livre qui vous fait perdre toute notion de l’heure. » The New York Times
Une jolie poupée, Jim Thompson
Il ne vous aura pas échappé qu’il sort beaucoup, beaucoup de polars, mais voici la réédition d’un polar devenu un classique signé de l’indémodable et carnassier Jim Thompon — ou comment un groom tombe entre les griffes d’une séduisante femme très ambigüe.
Un polar sec, cruel, diablement inspiré qu’on a plaisir à redécouvrir.
Science-fiction, fantasy et fantastique
Nina Allan s’est fait connaître en France par des nouvelles (dont Complications, Grand prix de l’imaginaire en 2014, paru aussi chez Tristram). On commence dans le paysage de Sapphire, une ville en décomposition à cause de l’industrie du gaz de schiste, qui se passionne pour les courses de “smartdogs”, des lévriers génétiquement modifiés et empathiques, pour finir par la rencontre avec des surbaleines de l’Atlantique à côté desquelles Moby Dick est un enfant.
Au-delà de ces entités intrigantes propres à la science-fiction, Nina Allan se concentre sur des motifs de récit. Le lecteur est plongé dans un jeu de miroirs, de correspondances entre des fictions écrites par le personnage de Christy et la vie de Maree, une linguiste empathe. A chaque fois, la disparition de la mère ou du père résonnent, le rapport au frère violent, aux liens qui se distendent quand on quitte l’adolescence, l’attachement, tout s’enchevêtre et se répond de manière subtile et sans imposer une interprétation unique.
Il y a dans ce livre une grande maîtrise aussi bien dans l’épique (avec les baleines ou la course de lévriers) que dans l’intime. Les échos sont autant de balises pour le lecteur, qui peut ainsi élaborer les liens entre les textes tout en laissant la possibilité aux personnages de s’en libérer. La course est un grand roman sur la liberté, mais une liberté qui a conscience de tout ce que l’on porte dans notre histoire personnelle et qui nous freine, et l’emprunt à la science-fiction est un moyen de donner sens à tout cela, une manière de faire prendre conscience au lecteur du réel à travers un jeu d’illusions.
C’est le cœur qui lâche en dernier, Margaret Atwood
Dans une Amérique ravagée par la crise économique, Stan et Charmaine ont vu leur vie voler en éclats. Contraints de vivre dans leur voiture, ils survivent tant bien que mal, dans un univers soumis à la loi du plus fort. Quand ils tombent sur une publicité leur proposant d’intégrer une ville d’un genre nouveau, leur assurant un toit, le plein emploi et la sécurité, ils pensent enfin pouvoir échapper à cette horreur quotidienne. Le concept de la ville est simple : chaque habitant a deux vies, qu’il mène en alternance un mois sur deux. Dans sa première vie, il a un travail et une maison, dans la deuxième, il est enfermé dans la prison de la ville où il est logé et nourri pendant qu’un autre habitant, son alternant, habite dans sa maison avant d’aller à son tour en prison le mois suivant.
Une solution miracle jusqu’au jour où Stan s’enflamme pour l’alternante mystérieuse qui chaque mois prend la place de Charmaine quand ils sont en prison.
Au moment où l’adaptation télévisuelle de La servante écarlate connaît un franc succès, Margaret Atwood nous propose une nouvelle dystopie glauque à souhait, dans laquelle les vices et perversions humaines viennent inlassablement faire obstacle à toute tentative de sauvetage de l’espèce humaine.
La cinquième saison, N.K. Jemisin
Premier roman de la trilogie Les livres de la terre fracturée dont les tomes 1 et 2 ont obtenu les prix Hugo 2016 et 2017.
Sur le Fixe, mystérieux continent unique, la terre tremble si souvent que la civilisation y est menacée en permanence. De grands cataclysmes ont détruit les plus fières cités et soumis la planète à des hivers terribles, d’interminables nuits auxquelles l’humanité n’a survécu que de justesse. Les orogènes, qui possèdent le talent de dompter volcans et séismes sont pourchassés et parqués dès l’enfance au Fulcrum où ils apprennent à canaliser leur pouvoir et à le mettre au service du bien commun.
Essun cache sa nature et vit relativement paisiblement dans un village reculé. Quand son mari découvre sa nature, il massacre leur jeune fils et kidnappe leur fille. Elle se lance alors à leur poursuite alors que s’apprête à advenir une Cinquième Saison, promesse de désolation et de famine. Ce roman choral alterne le point de vue et le destin de trois femmes, qui se rejoindront petit à petit que l’histoire se déroule. Un hymne à la différence et à la tolérance, une fantasy post-apocalyptique portée par une écriture singulière qui happe le lecteur.
Les lions d’Al-Rassan, Guy Gavriel Kay
L’Atalante vient tout juste de rééditer ce classique de G.G. Kay, maître canadien de la fantasy historique. L’auteur, comme dans chaque roman, nous emmène dans un monde légèrement décalé de ce que l’on connaît, ici la reconquête de l’Espagne au Moyen Âge, après la chute du califat de Cordoue. La magie et le surnaturel sont très peu présents, voire absents, contrairement à la fantasy classique.
L’Esperagne n’est plus. L’assassinat du dernier calife a entraîné son éclatement en cités-états rivales et la paix qui régnait autrefois entre les Asharites, les Jaddites et les Kindaths, se voit à présent menacée. Méthodiquement, les quatre rois mettent en place leurs pions, avec pour seul but de régner seul sur l’Esperagne. Seul peut-être le roi Almalik de Cartada saura lui rendre sa puissance et son unité, avec le soutien du légendaire Ammar ibn Khairan, poète, diplomate et soldat…
Pétri de l’importance de la tolérance et du « vivre ensemble », Les lions d’Al-Rassan revisite l’Histoire, à travers la rencontre entre trois personnages magnifiques et trois religions que tout oppose. Il nous fait ressentir combien est douloureux la fin d’un monde aimé et qu’entre les raisons du cœur et celles de l’État, il faut tôt ou tard choisir.
Le Regard est un court roman dans lequel on suit Ruth Law, une ex-flic devenue détective privé, embauchée pour enquêter sur le meurtre d’une jeune prostituée.
Avec son dernier livre, Ken Liu (lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire en 2016 pour La Ménagerie de Papier) ne met pas tant l’accent sur l’enquête policière que sur les rapports entretenus par les différents protagonistes à la notion d’homme augmenté et aux améliorations corporelles.
Ainsi, Ruth se transforme de plus en plus en cyborg, se coupant de toute émotion à l’aide d’un Régulateur, et se forgeant un corps comme on forgerait une arme — à coup de pistons, de tendons composites et de muscles artificiels ; alors que le personnage du tueur semble complètement hermétique à ces modifications qu’il considère comme étant les signes d’un esprit faible.
Le Regard est un récit qui se lit d’une traite, et qui s’interroge sur la manière dont le regard que l’on porte sur soi et sur les autres peut influer sur notre tendance à accepter, ou à rejeter, les améliorations corporelles à venir. Un roman résolument ancré dans des préoccupations actuelles qui ne manquera pas de vous embarquer dans son univers froid dans lequel nos sentiments sont devenus nos points faibles.
Faux-semblance, Olivier Paquet
Cet ouvrage qui regroupe quatre nouvelles, dont une inédite — Une fille aux pieds nus, nous projette dans des univers complètement différents mais ayant tous un dénominateur commun : des personnages confrontés à l’obligation de lâcher prise. Qu’il mette en scène un diplomate confronté à une race extra-terrestre belliqueuse, un ex-militaire aux prises avec son passé ou une jeune fille épargnée par un tsunami ayant dévasté les côtes japonaises, dans chacun de ces récits, Olivier Paquet nous donne à voir le moment décisif où ces êtres vont accepter de faire table-rase du passé pour enfin avancer et s’élancer vers leur avenir, quoi qu’il leur réserve.
Capable d’une grande délicatesse dans l’évocation d’une petite ville japonaise anéantie par les flots, et même de tendresse face à ses hommes et femmes qui ont tout perdu, Olivier Paquet est tout aussi à l’aise quand il s’agit de vous plonger dans une angoisse sans nom, face à une société d’enfants tyranniques ayant tout contrôle sur leurs aînés. À travers les ambiances et concepts variés mis à l’œuvre dans ces quatre récits, c’est toute la richesse de l’écriture et l’inventivité de l’auteur qui transparaissent.
Les griffes et les crocs, Jo Walton
Bon Agornin a eu une longue et belle vie, mais sa fin est proche. Toute sa famille est réunie pour vivre avec lui ses derniers instants : ses deux fils et ses trois filles, ainsi que son gendre qui héritera de son domaine. Mais Bon n’est pas tranquille et tient absolument à partir absous de ses péchés, d’un surtout qui le torture particulièrement. Dès ce dernier avoué à son prêtre de fils, il expire… avant d’être dévoré par ses héritiers, comme le veut la tradition chez les dragons !
Car dans cette Tiamath ressemblant fort à l’Angleterre victorienne, les dragons composent une société régie par des règles rigides et brutales. Chacun à sa place et pas question de sortir de son rang. Mais depuis Orgueil et Préjugés, nous savons bien que le cœur a ses raisons que la raison ignore et nous voilà embarqués dans des chassés croisés amoureux jubilatoires parsemés d’embûches et de coups de théâtre.
Hommage aux romans victoriens d’Anthony Trollope, résolument féministe et plein d’humour (parfois noir), Les Griffes et les Crocs a reçu le World Fantasy Award du meilleur roman.
Les Sables de l’Amargosa, Claire Vaye Watkins
Dans un futur proche, une sécheresse extrême s’abat sur la Californie, la réduisant à l’état de désert sablonneux. Face à cette catastrophe écologique sans précédent, les états frontaliers décident de fermer leurs frontières, condamnant ainsi des milliers de réfugiés à errer dans un désert hostile. Luz et Ray, un jeune couple ayant pris sous son aile une petite-fille de 2 ans recueillie dans un squat, partent en direction de l’Est où l’on dit qu’un sourcier aurait établi une étrange colonie…
Par ce premier roman, Claire Vaye Watkins s’impose d’ores et déjà comme l’une des plumes américaines à suivre. Avec ce récit foisonnant, extrêmement bien documenté où se mêlent les genres, l’auteure fait preuve d’une réelle maturité littéraire.
Plus qu’un roman d’anticipation ou un roman post-apocalyptique il s’agit ici d’un grand roman américain, dans la lignée de La Route de Cormak Mc Carthy.
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