Stylo bille, tout un art.

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - par Pam

Objet du quotidien que nous utilisons pour écrire, le stylo bille a séduit les artistes. Un moyen d'expression inattendu mais composante essentielle des créations artistiques.

Ballpoint pen pile in stationery shop By dvoevnore-Adobestock

2011 : « Je n’ai plus un sou. J’achète pour un euro une boîte de dix stylos à bille au marché. Et je dessine, en copiant les images de journaux, les super héros de bandes dessinées en particulier. Mais les pixels apparents sur de telles images me dérangent. Je veux un modèle plus proche, ayant la texture des personnes lorsqu’on les regarde « en vrai » et de près. Je commence mon premier autoportrait. » Karl Beaudelère décrit ainsi sa rencontre avec le stylo à bille qui va devenir l’outil essentiel de son art (Dossier de presse de l’exposition à l’espace Jean Prouvé à Issoire du 30 juin au 7 septembre 2017)

Sa réponse par des autoportraits incandescents, hypnotiques, tourbillonnants à une quête d’identité profonde et ce au moyen d’un instrument qui semble anodin mais qui est utilisé avec une virtuosité incroyable nous emporte jusqu’à nos propres tréfonds.

Le livre Karl Beaudelère Visages atomisés qui sort actuellement à l’occasion de l’exposition au musée de l’art brut à Lausanne, «Karl Beaudelère, Autoportraits au miroir», est un bijou de réinvention de soi-même en un foisonnement sans cesse renouvelé.

« le Marseillais se cachant sous ce pseudonyme (et une cagoule lorsqu’il se voit interviewé) a fini par confondre sa vie avec celle de son modèle Charles Baudelaire, découvert par hasard en 1977. «En 2011 j’ai eu quarante-six ans. L’âge auquel Baudelaire est mort. Désormais, il revit en moi» »

«J’approfondis la technique de mes dessins, en m’appliquant à les adoucir. Mes autoportraits évoluent.» (Bilan.ch) 

La toute nouvelle acquisition par la bibliothèque du livre lié à l’exposition en cours offre non seulement la possibilité de découvrir un artiste hors du commun

«  Karl aime le mystère, la voyance, l’astrologie et la numérologie, qui lui permet d’échafauder des corrélations entre lui et… Baudelaire. Les autoportraits stupéfiants, qu’il trace depuis sept ans  ? «  Je voulais ne garder que les traits des formes, construire des sortes de squelettes. J’ai d’abord copié des images mais elles n’étaient jamais asses précises. Alors je me suis regardé dans une glace, suspendue sous ma mezzanine, près de ma table, comme un cocon. Mon premier autoportrait a été celui d’un extra terrestre. Avec une antenne. Pour signifier : Je suis là mais je ne fais pas partie de vous. Je suis autre.  » L’exercice s’est répété. Toujours plus dense.»

« À partir du motif de son oeil, Karl « pousse à droite, à gauche. Puis je monte, je descends. Cela provoque une distorsion.» Le visage étrange qu’il se donne ainsi, en passant un mois environ sur chaque image, finit par granuler le néant. « En dessinant, j’ai des contractures d’équilibristes. Certains grands formats, très fins, m’ont provoqué une grosse souffrance. S’appliquer à poser le stylo en douceur, cela suppose beaucoup de tension. Un coup posé trop fort peut tout détruire. » » (aralya)

 

mais aussi de plonger plus avant dans l’univers du stylo dans son acception artistique.

Au Printemps 2018, BIC a présenté pour la première fois au public sa Collection d’art contemporain au CENTQUATRE-PARIS (France). Une exposition inédite de plus de 150 œuvres.

 

« De nombreux artistes, y compris les plus illustres, ont un jour utilisé le célèbre stylo à bille inventé par le baron Marcel Bich, pour réaliser des esquisses, et pour certains même, des œuvres majeures.

La collection Bic possède quelques pièces magnifiques de précision, et des portraits signés Magritte, Giacometti ou César. Une collection riche également d’œuvres d’art contemporain qui détournent le stylo de sa fonction première, pour en faire des créations parfois étonnantes. Comme la fresque géante de l’autrichien Herbert Hinteregger, longue de 7 mètres et constituée de 15.000 stylos Crystal vidés de leur encre. Une encre utilisée ensuite par l’artiste pour réaliser des peintures également exposées au 104. » (francetvinfo)

« Les artistes et les thématiques

Introduction autour des histoires de BIC : Felix Aublet, Philippe Favier, Lucile Lesueur, Mad Meg, Pixal Parasit, Raymond Savignac.

* Les artistes historiques de l’exposition : Alighiero Boetti, César, Giorgio Colombo, Lucio Fontana, Alberto Giacometti, Fernand Léger, René Magritte.

* La galerie des portraits : Enam Bosokah, Carine Brancowitz, Juan Francisco Casas, Calixte Dakpogan, Fumatto, Lei Lei, Aurore Marette, Martin Parr, Frédéric Poincelet, THE KID, Giuseppe Stampone, Raymond Tsham.

* Le design, de l’objet à la mode : Oscar Carvallo, Eddie Clemens, Juliette Clovis, Gigi Conti, enPieza!, Riccardo Gusmaroli, Sophie Hardeman, Kate Lennard, Proêmes de Paris, Tsé & Tsé, Paolo Ulian.

* Les architectures imaginaires : Sara Abdu, Lena Andonova, Noviadi Angkasapura, Carlo Benvenuto, Hicham Berrada, Irma Blank, Jonathan Bréchignac, Anne-Flore Cabanis, Rebecca Chamberlain, Petros Chrisostomou, Mamadou  Cissé, Claude Closky, Geoffroy Crespel, Amie Dicke, Jean Dupuy, Jan Fabre, Michel François, Angiola Gatti, Ghazel, Dalila Gonçalvès, Herbert Hinteregger, Thomas Hirschhorn, Liu Kai, Kai & Sunny, Frédéric Khodja, Charles Laib Bitton, Eric Lambé, Janaina Mello Landini, Il Lee, Kevin Lucbert, Olivier Michel, Andreï Molodkin, Teresa Poester, Haleh Redjaian, Laurent Reypens, Stephen Schultz, Vincent Servoz, Ingénieur Vancy, Dominique Vangilbergen, Shony Wijaya, Tatiana Wolska. » (bicworld)

 

Quelques artistes qui ont usé du stylo bille parmi cette liste :

Alberto Giacometti : « A son retour de Suisse en septembre 1945, Giacometti diversifie ses techniques. Il adopte le stylo-bille, commercialisé en France en 1950. Pratique et bon marché, cet outil moderne lui permet de travailler sur tous les supports et supplante la plume et l’encre : figures, portraits ou natures mortes, dessinés sur le motif ou de mémoire, colonisent les marges de ses livres et journaux et recouvrent les nappes en papier gaufré des cafés où il a ses habitudes. » (fondation Giacometti)

 

Alighiero Boetti :

« A. Boetti a toujours revendiqué le métier de peintre même si, à 22 ans, il renonça à la peinture pour multiplier l’usage d’autres techniques et matériaux (collage, peinture au pistolet ou au pochoir, tampons, décalcomanie, frottage, calligraphie).  Ayant débuté son parcours artistique à Turin au milieu des années 1960, dans  la mouvance du mouvement de l’Arte Povera, il s’en est rapidement éloigné bien qu’il en fût un des acteurs importants : « On était allé trop loin dans l’importance accordée aux matériaux […], c’était devenu une affaire de droguiste. Voilà pourquoi en 1969, j’ai quitté l’atelier que j’avais […]. Je suis parti en laissant tout ça et j’ai recommencé à zéro avec un crayon et une feuille de papier. Le résultat s’appelle Il cimento dell’armonia e dell’ invenzione (L’exercice de l’harmonie et de l’invention). Cela consiste à faire des petits carrés. C’est cela qu’a signifié pour moi recommencer. » Devenue dès lors support majeur dans son travail, la feuille de papier, souvent quadrillée, lui permettra de développer de nombreux processus conceptuels visuels, de la forme géométrique simple à l’exploration du langage, auquel Boetti a porté une attention particulière, que ce soit en travaillant les lettres, les mots, les chiffres, les nombres, les phrases, les codes ou les dates.

Les mots, leur configuration alphabétique, possédaient un potentiel poétique que Boetti a exploré en envisageant tous les modes de transcriptions possibles : redistribuer les lettres d’un mot selon l’ordre alphabétique, transcrire phonétiquement un mot épelé en italien, évoquer un mot par des virgules disposées selon des coordonnées invisibles. Ces calligraphies au stylo à bille sur papier, dont le griffonnage était délégué par Boetti à des mains souvent anonymes, laissent les signes émerger en blanc d’un fond coloré (noir, bleu, rouge ou vert). » (mamco)

 

Herbert Hinteregger  : Autrichien, il vit et travaille à Kirchberg, au Tirol et à Vienne. Il a étudié la peinture abstraite à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne.
L’encre et le tube de stylo deviennent matériau premier d’une œuvre singulière.

15000 stylos au tout début de cette vidéo sur l’exposition du 104 :

 

Janaina Mello Landini  : « Depuis une dizaine d’années, Janaina Mello Landini (née en 1974 à São Gotardo, Brésil) développe une œuvre dont les multiples ramifications – de sculptures en installations immersives – sont réunies sous le titre générique de Ciclotrama. Le terme renvoie à l’idée de répéter éternellement un même acte autour d’une même trame. Architecte de formation, passionnée de physique et de mathématiques, la jeune artiste brésilienne construit des œuvres complexes, entièrement réalisées à la main, à partir de matériaux simples, le fil, la corde, sans traitement ni coloration. » (connaissance des arts)

Pour l’exposition au 104, elle a conçu une oeuvre sur les cordages de bateaux imprégnés de stylo Bic réalisée pour la coursive extérieure. Les fils interconnectés qui tissent le temps (singulars)  étant le sujet principal de son art

 

Hicham Berrada  :

« J’essaye de maîtriser les phénomènes que je mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux. Mes pinceaux et pigments seraient le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière. »

A l’image des photographies à partir d’encres Bic réalisées pour l’exposition au 104, l’artiste a une approche scientifique de l’art.

« Après un bac scientifique, il s’inscrit aux arts appliqués ; « c’est là que j’ai compris que les beaux-arts me permettraient de développer quelque chose de singulier, où je pourrais, non pas m’exprimer, mais développer quelque chose de différent, à moi. » Il passe par l’atelier de Jean-Luc Vilmouth aux Beaux-Arts de Paris. Au fil de diverses performances, il se rend compte que ce qui l’intéresse n’est plus de collecter des formes dans la nature mais de les créer, de se « les approprier, d’en contrôler l’apparition et le développement. »

Hicham Berrada souhaite que les spectateurs de ses œuvres puissent […] projeter leurs intuitions dans les œuvres, comme une invitation à la rêverie, car il y a autant d’interprétations possibles que de rapports entre l’homme et la nature… à l’instar de Max Ernst, qu’il cite, il cherche ainsi à « exciter les facultés visionnaires » (pinaultcollection)

 

Claude Closky : Avant , Après au 104

« Le travail de Claude Closky du début des années 1990 épouse la forme simple et modeste de dessins au stylo-bille sur des feuilles A4 ou de petits livres (Les 1000 premiers nombres classés par ordre alphabétique, 1989) quand elle ne prend pas celle de collages approximatifs (De 1 à 1000 francs, 1993, qui classe des produits selon cet ordre), chaque titre n’oubliant pas de décrire littéralement l’opération à laquelle s’est livré l’artiste. Poussant la pratique tautologique de l’art conceptuel jusqu’à une forme de paroxysme absurde et drolatique (parfois comparé aux stratégies de l’OuLiPo), l’artiste établit inlassablement des listes, classe, ordonne, répertorie images, discours et produits issus des mass-médias et de notre société de consommation. » (IAC)

 

Jan Fabre : L’utilisation du stylo bille est fondamentale à son œuvre.

(au catalogue de la bibliothèque)

« Lors de multiples performances à la fin des années 70 et au début des années 80, Jan Fabre introduit le stylo à bille comme substitut à l’art des grands maîtres. Dans un premier temps, le choix du stylo à bille bleu est purement d’ordre pratique : « C’était bon marché et efficace, je pouvais les emporter partout et les voler partout. » Qui plus est, à cette époque Fabre ne connaît aucun autre artiste qui se serve du stylo à bille pour ses œuvres. » (cours art moderne)

« Fabre choisit ses matériaux et médiums en toute connaissance de cause. Chez lui, le bronze, la cire, les élytres de scarabées, le stylo à bille Bic, l’encre Bic, le papier, le papier Cibachrome, le bois, la soie, le marbre, etc. se chargent invariablement de connotations physiques et spirituelles. Créer en détruisant, reproduisant, multipliant, transfigurant, métamorphosant… » (koregos)

« Jan Fabre est considéré comme l’une des figures les plus importantes et innovantes de la scène internationale de l’art contemporain. Artiste radical dont les œuvres ont souvent déclenché des réponses passionnées, Jan Fabre a eu sa propre «période bleue» dans les années 1980, centrée sur le stylo à bille, son matériau alors préféré, avec lequel il a méticuleusement recouvert de grandes étendues de papier pour créer son métaphorique et tourmenté dessins. En 1988, à l’âge de 30 ans, Fabre se retrouve à Berlin, passant des nuits blanches à dessiner, colorier et frotter de manière obsessionnelle une cosmogonie entière mettant en vedette des tornades, des cyclones, des vagues géantes et des tempêtes. Le bleu métallique très distinctif de son stylo jetable forme des paysages fascinants, leurs détails si denses et intenses qu’ils semblent presque déchirer le papier. Chaque dessin apparaît ainsi comme l’apogée d’une performance individuelle» (inferno magazine)

The Bic art Room ci-dessous. Il reste enfermé dans une pièce durant 3 jours avec des stylos Bic

 

 

Charles Laib Bitton :

Charles Laib Bitton est le plus fréquemment exposé en France, mais a également eu des expositions en Belgique, au Royaume-Uni.

« C’est à Brooklyn que son talent a éclaté. Designer des boutiques Diane Von Furstenberg, puis architecte d’intérieur dans l’un des plus prestigieux studios new-yorkais (William Sofield), Charles Laib Bitton a participé au rayonnement de quelques-unes des plus grandes enseignes du luxe. Pour ensuite revenir at home, en Belgique, et s’adonner pleinement à son activité artistique. »

« Je n’aime pas expliquer mon travail avec des mots. Je « peins » sur feuille ou sur bois avec un simple « bic » et/ou quelques pinceaux (NDRL-résultat, une oeuvre poétique et une parfaite maîtrise des proportions qui se déploient avec une rigueur déconcertante). Aimer l’oeuvre d’un artiste a quelque chose d’instinctif qui se passe de commentaires. L’important c’est de se laisser envoûter par les formes et les matières, sans trop se poser de questions. » (la Libre)

The Kid :

« Chez The Kid, jeune artiste autodidacte qui a souffert du dictat de l’école et de ses violences quotidiennes et qui très tôt a quitté le domicile familial, dessins et peintures sont intimement liés à une histoire personnelle. Pour ce militant de Human Rights Watch, elles sont le fruit d’un regard porté sur une Amérique et ses faits divers dont une partie de la jeunesse, plongée dans la violence des gangs et des extrémismes, est condamnée à survivre et subir le crime. »  … « Les tons froids des portraits réalisés au stylo bic bleu sur papier, rendent compte de l’inéluctable fatalité de destinées » (point contemporain)

« chaque œuvre de THE KID nécessite une investigation préalable quasi journalistique, suivie de plusieurs mois d’interprétation obsessionnelle et solitaire par l’artiste, influencé par le langage visuel des représentations religieuses des grands Maîtres européens -notamment la violence du Caravage ou le dynamisme du Bernin- comme par la pertinence sociale d’Ernest Pignon-Ernest, Banksy ou Larry Clark et de l’ensemble du cinéma de contre-culture américain. Quand il parle de son travail, THE KID cite souvent, aussi, Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray, « derrière chaque chose exquise, il y a quelque chose de tragique », c’est ce que toutes ses œuvres ont en commun derrière l’apparente beauté et jeunesse, comme une fleur destinée à se faner, et son but est « d’immortaliser ses sujets au moment fatidique de leur existence, capturés pour toujours entre innocence et corruption ». (Tkekid.fr)

Il Lee :

« IL LEE (né en 1952, Séoul, Corée. Vit et travaille à New York) est célèbre pour son travail de pionnier avec le stylo à bille qui a commencé il y a 40 ans et se poursuit aujourd’hui. Le travail de Lee, avec ses médias peu orthodoxes et son style distinctif, et ses contributions artistiques ont reçu une reconnaissance mondiale » (Il Lee biography)

« As a left-hander I am well accustomed to the so-called “sinister smudge”.   For me writing with a ballpoint pen is a messy affair.  Who thought it their right to mandate the left to right writing system, I don’t know, but a little digging into the evolution of it makes me a little suspicious. » (artstormer)

 

 

Pour finir à la pointe d’un coup de cœur personnel (et de FK, dans la rubrique du même nom sur l’influx) :

L’art du stylo bille 

met l’accent sur la capacité créative infinie de ce petit objet tout simple et fait découvrir des talents actuels incroyables ! … qui feront l’objet d’un prochain article …

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One thought on “Stylo bille, tout un art.”

  1. Karl Beaudelere KXB7 dit :

    Merci infiniment ☀️

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