Livre, revue, ou publication d’artistes
Publié le 27/11/2023 à 15:59
- 13 min -
Modifié le 30/11/2023
par
Tori
Lorsqu'on aborde le vaste univers du livre d’artistes, les définitions sont multiples et controversées. Livre de bibliophilie, livre illustré, livre de dialogue ou encore livre de peintre sont l’antithèse du livre d’artiste (artist’s book) né dans les années 60. Les premiers sont de « beaux livres » rares et chers, réservés aux collectionneurs tandis que le dernier, d’aspect plus commun, révèle une approche conceptuelle radicalement différente. Les créateurs de livres d’artistes, issus de différents courants (art minimal, art conceptuel, Fluxus…), ont eu recours au livre comme support pour exprimer un projet artistique. A la différence d’un livre de bibliophilie où dialoguent un écrivain et un artiste, le livre d’artiste est l’œuvre d’une seule personne. Il est un outil de diffusion s’adressant à tous.
Artiste, éditeur, curiator
« Le livre apparaît comme le moyen le plus traditionnel au service des ruptures les plus radicales d’une génération d’artistes décidée à inventer une autre idée de l’œuvre d’art. »
Anne Moeglin-Delcroix, Esthétique du livre d’artiste 1960/1980, Ed. Michel Place, BNF, 1997, Paris.

« Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre. »
Stéphane Mallarmé, Le livre, instrument spirituel, Divagations, Paris, Editions Fasquelle, 1987.


Un livre, une œuvre, des collectionneurs
Le livre d’artiste est pensé comme une œuvre d’art à part entière. « [Il] a changé de statut, il n’est plus le support de l’œuvre, il est l’œuvre. » Alex Chevalier pour Point Contemporain dans le cadre des « Entretiens sur l’édition ».
Chaque livre reflète la démarche personnelle de l’artiste qui intervient à chaque étape du livre soit “en autoédition”, soit en lien étroit avec l’éditeur. Il s’approprie l’espace, la forme et la structure du livre dans la volonté de s’affranchir des institutions et libérer la création.
« Dans l’absolu, j’aimerais tout autoéditer (…) Je suis toujours partagée entre le plaisir de rencontrer d’autres personnes, d’échanger des points de vue, d’écouter l’avis de celui qui a un savoir-faire, et l’envie de travailler seule. En définitive, c’est tout de même une chose merveilleuse de pouvoir travailler avec des éditeurs. » Laurence Aëgerter, Entretiens : perspectives contemporaines sur les publications d’artistes.
Comme le rappelle Jérôme Dupeyrat dans « Entretiens : perspectives contemporaines sur les publications d’artistes »
Le livre d’artiste c’est :
Une redéfinition de l’œuvre d’art,
Une autonomie de l’artiste,
La démocratisation de l’art,
Des modalités alternatives de production et de diffusion,
La conception de l’œuvre comme média

Dans les années 60, lorsque cette forme d’art confidentielle apparaît, les artistes vont à l’encontre des pratiques du marché de l’art en proposant un art accessible, des œuvres en exemplaires multiples. Un doux rêve : que chacun puisse devenir collectionneur. Les livres d’artistes, édités en grand nombre (et réédités quand ils sont épuisés) ne coûtent pas plus chers qu’un livre ordinaire. On les trouve en librairie, dans le circuit courant. L’économie, la gratuité, la circulation et l’échange, en évacuant la question de l’œuvre originale, sont les fers de lance des artistes comme Edward Ruscha, Christian Boltanski, Dieter Roth ou Hans Peter Feldmann…
Le « livre d’artiste » n’est pas un livre d’art.
Le « livre d’artiste » n’est pas un livre sur l’art.
Le « livre d’artiste » est une œuvre d’art.
Guy Schraenen

Formes et diffusion
Formes
Journal, revue, livre ou imprimé sous toutes ses formes (cartes postales, affiches, autocollants, inserts ou tracts), cette forme de création en dehors des circuits officiels, peu visible, non spectaculaire, légère et éphémère interpelle de plus en plus d’artistes depuis les années 90. Et cela pour plusieurs raisons : un regain d’intérêt pour l’art des années 60-70, l’évolution des moyens techniques d’impression dans un paysage économique et culturel changeant.
Diffusion
Le livre d’artiste, genre artistique à part entière, est une porte d’entrée dans l’art contemporain. Il est cependant encore mal connu du grand public et peu représenté. En effet, l’exposer reste souvent difficile : en vitrine, il est figé sur une page. Pour se dévoiler, se révéler, le lecteur doit pouvoir le tenir, le consulter, prendre le temps de le découvrir.
Au milieu des années 1990, les institutions s’intéressent aux livres d’artistes. C’est à cette époque que la réserve de bibliophilie de la Bibliothèque municipale de Lyon s’ouvre à ce nouveau genre esthétique, alors en pleine théorisation en France grâce aux travaux d’Anne Moeglin Delcroix. Depuis 2016, une partie de la collection est empruntable.
Editeurs spécialisés
Des éditeurs ou librairies spécialisés comme Florence Loewy, Lendroit éditions ou les Éditions Incertain Sens…., des institutions telles que le cneai (Centre National d’édition d’art et d’images), le CDLA (Centre des Livres d’artistes), le Frac Bretagne, le Frac des Pays de la Loire ou le Frac Sud ont reconnu son importance dans l’histoire de l’art contemporain. Les collections publiques conservent et enrichissent ces fonds.
Les éditions exposé-e-s
En 2017, Alex Chevalier (commissaire, éditeur et artiste), et Guillaume Perez (artiste et éditeur) ont créé les éditions exposé-e-s invitant des artistes à montrer leur travail, à échanger sur leur démarche, sous forme de carte postale : POST ou de livret : Library.
La particularité de ces éditions est l’engagement du public/lecteur/amateur d’art, sur un abonnement d’un an permettant de recevoir les différents numéros et souvent un numéro spécial.
Alex Chevalier et Guillaume Perez ont présenté leurs éditions cette année à la 8ème édition de MAD (Multiple Art Days) : salon des pratiques artistiques éditoriales, curatoriales et poétiques, du 8 au 10 septembre.
Par ailleurs, Alex Chevalier, présélectionné pour la révélation Livre d’artiste organisée par l’ADAGP (société des auteurs dans les arts visuels), présentait : Signe (2023, 150 exemplaire, 30 €), découpage en 250 feuilles en format paysage d’une œuvre de l’artiste de 210 x 750 cm, présentée à l’échelle 1 :1 sous la forme d’un bloc dont toutes les pages sont détachables.


POST
Depuis 2017, Post est une revue trimestrielle disponible par abonnement. Chaque abonné reçoit cette publication comme la carte postale d’un ami inconnu, qui offre un peu de lui : quelques mots écrits à la main, la référence d’une œuvre, une adresse internet… et surtout une image. Dans sa boîte aux lettres, quarte fois par an, enfin une carte postale, plaisir devenu si rare ! C’est un peu de mystère, une curiosité d’une intimité universelle.



Library
Depuis 2019, cette nouvelle collection des éditions Exposé-e-s se présente sous forme de livret souple, impression noir et blanc, dans lequel chaque artiste est invité à parler de son travail sans le montrer. Chaque livret est accompagné d’un insert présentant les éditions et l’artiste. Le contenu peut être images et/ou textes qui nourrissent son œuvre. Une manière originale d’aborder le processus de création, au plus proche des préoccupations, pensées et constructions de l’artiste. Il nous dévoile, en quelque sorte, sous un angle détourné, les rouages, les influences, la boite noire du travail.


Publications d’artistes
Les publications ou revues d’artistes « tentent à se concentrer sur la diffusion d’œuvres à proprement parler, œuvres qui, en l’occurrence, ne sont plus « contenues » dans les revues mais font corps avec elles. » Marie Boivent Yawn : un bulletin pour la « Grève de l’art » p.87 in Le livre d’artiste : quels projets pour l’art ?
Occasion nouvelle de rencontre et de dialogue entre les différents univers artistiques, la publication d’artiste devient un espace d’exposition, où circulent des idées, où des univers visuels se percutent.
La plupart du temps, les artistes à l’origine de ce genre de publication (différent des revues d’art au sens traditionnel du terme) ont pris en charge la totalité du projet, de la conception, réalisation, fabrication à la diffusion, comme c’est souvent le cas pour le livre d’artiste. Cependant la grande différence entre livre et revue d’artiste c’est la périodicité de cette dernière, qui étire sa conception dans le temps « puisque son principe même fait de chaque parution l’annonce d’une autre à venir, rythme qui est marqué par la numérotation que chaque livraison manque rarement d’aborder (…) l’essence de la revue réside dans sa répétition. » Marie Boivent


Kontakt
En 2012, Alex Chevalier donne naissance à Kontakt, « journal libre et gratuit dont la motivation principale est d’offrir un espace d’expression libre et de créer une zone de contact possible entre une personnalité invitée et le lecteur. Kontakt est une plateforme, un support pour y diffuser des idées, des textes, des images… Chaque numéro est entièrement réalisé par un invité différent, qui est alors libre de répondre à l’invitation comme il le souhaite. Basé sur un principe de copyleft, Kontakt peut être photocopié et diffusé par qui le souhaite. ».


« Pour moi c’était un projet de partages et de rencontres de contenus. »
Alex Chevalier pour Point Contemporain
Pour fêter le 50ème numéro de Kontakt en 2021, Alex Chevalier propose un coffret en carton contenant l’ensemble de la collection. Le coffret est vendu 50 euros mais chaque numéro du journal est téléchargeable gratuitement (copylight). Aujourd’hui le numéro 75 invite Jonathan Monk à s’exprimer.



Broadcast Posters
Broadcast Posters est une édition d’art contemporain gratuite, créée par Guillaume Perez et Amandine Rué, permettant la mise en relation du travail d’un jeune artiste de la région Rhône-Alpes avec celui d’un artiste international reconnu sous forme d’un poster recto verso. Les deux images juxtaposées s’interrogent mutuellement, ouvrant un dialogue entre deux propositions artistiques.



Revues d’artistes disponibles à la BmL
- – Broadcast Posters, Guillaume Perez et Amandine Rué, Lyon
- – Horsd’œuvre, Interface, Dijon
- – Oxo, Pascal Le Coq
- – Sans Niveau ni Mètre, Editions Incertain Sens, Rennes
- – Toilet paper, Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari
- – (U)L.S, Éditions (un)limited store, Marseille
- – Ne pas jeter sur la voie publique, Romain Toré, Lyon
- – Véhicule, Editions Vroum, Rennes
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