Faire côtoyer, écrire les images
Publié le 19/08/2023 à 11:26
- 9 min -
Modifié le 18/08/2023
par
AGdG
"Tu leur diras que j'ai souvent Les paupières lasses et lentes, Qu'au soir je danse et que le vent Dérange ma robe traînante." L'image dans Le cœur innombrable, Anna de Noailles
Sous les paupières, les images se frottent et s’écrivent aussi.
En constellation : Eyes closed, Chester Waston
Des livres d’images : forer, collecter, multiplier les images, nouvelles pratiques éditoriales
Depuis quelques années, on voit fleurir des livres inédits, aux côtés des traditionnels catalogues d’exposition et monographies d’artistes. On pourrait les appeler des “livres d’images”. Ce ne sont pas des livres d’artistes mais reflètent de nouvelles pratiques éditoriales..
Ils font frotter, côtoyer le temps d’un livre des images de tous bords, Antonello de Messine et le petit chaton / oh il est trop mignon utilisé par le pirate Kenneth Goldsmith.
“Selon moi, les images non artistiques sont aussi subjuguantes, éloquentes, expressives, historiquement pertinentes et théoriquement engageantes que les images traditionnellement étudiées en histoire de l’art, et rien dans cette discipline ne légitime que leur soit refusé un traitement équivalent aux manifestations canoniques et extra-canoniques de l’art”
James Elkins, Le domaine des images, 1999.
Editeurs scientifiques, conservateurs, curateurs, penseurs s’intéressent, rassemblent, assemblent des images relevant stricto sensu des arts comme la peinture, la sculpture ou le dessin et en règles générales les images conservées dans des musées avec des expressions visuelles non artistiques comme l’imagerie populaire, les images scientifiques, pédagogiques, encyclopédiques, les images sur le frigo, Bécassine, les images alchimiques, les screen de jeux vidéos, les films de genres, l’illustration.






On assiste également à une tombée en amour de la moisson d’images par affinités, sans hiérarchie de genre, artistiques ou non.
“Entre les êtres et les images, il est une alchimie qui fait et défait les paysages où nous avançons.”
Annie Lebrun, La vitesse de l’ombre
Et puis il y a les auteurs agrégateurs d’amour et d’images, des sortes de “visual crate digger” comme Mona Chollet, Adam Green, Stephen Ellock. Ils sont à l’origine d’iconothèques, de collections d’images sensibles et érudites qu’ils ont cueilli et assemblées. Pour ces penseurs, les émotions ne sont pas ces tyrans qui éloignent la pertinence. Au contraire. Leurs images ne craignent pas leurs affects.



En constellation : L’appuntamento, Ornella Vanoni
Ecrire sur toutes les images
Etendre le domaine du visible.
Ces nouvelles pratiques dans le domaine de la création, du commissariat d’exposition et d’ouvrages d’art sont corrélés avec un axe précis de réflexions écrites sur les images. Toutes les images.
“Les maitres du monde devraient se méfier de Bécassine précisément parce qu’elle se tait”
Jean Luc Godard, Le livre d’images
Aux côtés des traditionnelles disciplines que sont l’esthétique (philosophie de l’art) et la théorie de l’art par exemple, se sont développées de nouveaux champs d’études, de nouvelles disciplines.
Au delà de l’histoire de l’art. Parfois, contre l’histoire de l’art.
“Sur le plan théorique et disciplinaire, les visual studies sont fondamentalement hybrides – ce que l’on pourrait considérer à la fois comme une force et comme une faiblesse. En appréhendant la production visuelle de manière extensive, elles remettent en question la fixation traditionnelle de l’histoire de l’art sur la qualité esthétique et ouvrent la possibilité de poser des questions auparavant marginalisées ou totalement exclues des recherches sur la culture matérielle. “ Neil McWilliam.
Ces nouveaux champs d’études vont au-delà de l’histoire stylistique ou de l’interprétation de leurs significations. Développés en parallèle de la profusion de nouvelles formes visuelles liées aux nouvelles formes de diffusion (papier, internet) depuis la fin du 19e siècle.
Ce sont les visual culture studies , les études visuelles, les cultures visuelles…
Tentative de définition des visual studies : “Il y a une vingtaine d’années émergeait dans le paysage intellectuel international le champ des Visual culture studies. À un moment où le flux des images et leur puissance suscitaient de nouveaux questionnements, ce « champ mouvant » proposait de saisir non seulement l’image dans toutes ses dimensions et supports, mais la « fabrique visuelle de[s] société[s] »1, les dispositifs de vision et les modalités du regard. Une telle ambition supposait de faire dialoguer l’histoire, l’histoire de l’art, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, la psychanalyse, etc. “
Selon Neil McWilliam : ” Moins préoccupées par les œuvres exceptionnelles et les individus célèbres les ayant créés, les visual studies – du moins en principe – incorporent le vernaculaire, l’éphémère et l’anonyme, et elles les intègrent dans des processus sociaux plus larges, plutôt que de les limiter – comme l’a si souvent fait l’histoire de l’art – à la recherche ésotérique de questions formelles ou biographiques, séparant l’œuvre d’art du monde, de ses conflits et ses contradictions. À cet égard, les visual studies dérivent, du moins en partie, de l’histoire sociale de l’art, qui est apparue, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni, comme une force puissamment perturbatrice pendant les années 1970 et 1980, avant de s’intégrer en grande partie à l’histoire de l’art dominante au cours des deux dernières décennies.”
Ces champs sont complexes à appréhender. Les désigner sous un même nom est une gageure. Les périmètres, les axes de recherche divergent. Les termes peuvent désigner à la fois le champ et son contenu.


Leur qualité de discipline a été questionnée par la grande critique américaine Rosalind Krauss. Elle l’a exprimé dans son article “I Hate Visual Studies” expliqué par Maxime Boidy : “Le cœur du problème se situe, selon elle, dans la définition même de ce qu’est une « discipline » : en l’occurrence, un savoir-faire spécialisé nécessitant un apprentissage long et minutieux, qui doit permettre l’acquisition de compétences (skills) et leur partage par l’enseignement”.
Ces nouveaux champs sont à la croisée de la sociologie, de l’anthropologie, des sciences cognitives, de l’histoire de l’art…
Ils bousculent les frontières disciplinaires .
Les photographiques érotiques du 19e siècle sont par exemple un sujet de recherche rendu possible par les visual studies dont la brillante théoricienne Abigael Solomon-Godeau s’est emparé avec ce texte important de 1990.

En constellation : Mysterious Vibes, The Blackbyrds
Où lire les images ?
Peu d’ouvrages synthétisent ces théories de l’image, entreprise par ailleurs colossale et parfois sujet à controversé dans ses atours épistémologiques. L’historiographie est balbutiante.
En France, Laboratoires de recherche (InVisu : “Il essaie d’arpenter les territoires à la marge de l’histoire de l’art traditionnelle, en travaillant en particulier sur l’histoire des cultures visuelles (histoire des images populaires, de la photographie, de l’image industrielle, technique“…), groupes de recherche, séminaires, colloques, congrès, journées d’étude, revues de chercheurs, cycles, rencontres se sont ainsi constitués pour réfléchir sur ces nouvelles façon de penser l’image et la culture visuelle, au-delà de l’histoire de l’art. Via des parutions et autres articles, ils participent à une forme de “littérature des images”.
L’Institut national d’histoire de l’art a été moteur également dans la diffusion de cette littérature des formes visuelles, sa recherche.
En français, le travail éditorial menés par l’éditeur Presses du Réel via sa collection Perceptions est remarquable quant à la restitution de la pensée de théoriciens, souvent non traduite par ailleurs.



Evidemment, les textes des théoriciens sont incontournables pour rentrer dans ces nouvelles disciplines.
Et donc à suivre : une sélection d’une poignée de théoriciens brillants des images.
En constellation : Warm canto, Mal Waldron
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