Société
Faut-il prendre la collapsologie au sérieux ?
Publié le 20/09/2019 à 09:46 - 21 min - Modifié le 16/12/2019 par Oxalide
Depuis quelques années, les théories de l’effondrement soutenues par la collapsologie enflamment le débat public. Elles sont ravivées aujourd’hui par les récents événements environnementaux, sociaux-économiques et politiques que nous venons de vivre. Faut-il croire pour autant que ces actualités inquiétantes constituent les signes annonciateurs de la fin de notre civilisation ? Science pour certains, théorie plus ou moins sérieuse pour d’autres, pour y voir un peu plus clair, nous vous proposons dans cet article de vous exposer une synthèse des arguments de la collapsologie.
Qu’est-ce que la collapsologie ?
Depuis 2015, la notion d’effondrement des sociétés est associée à la « collapsologie », néologisme inventé par Pablo Servigne.
C’est en effet dans le best-seller Comment tout peut s’effondrer, que l’ingénieur agronome de formation Pablo Servigne et son coauteur Raphaël Stevens se donnent pour objectif de « fonder une la science appliquée et transdisciplinaire de l’effondrement ». Et ils décident de la nommer, la « collapsologie ». (du latin collapsus, “tombé en un seul bloc”).
Pablo Servigne reprend la définition de l’effondrement élaborée par l’écologiste Yves Cochet :
« l’effondrement, c’est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ».
Comme nous allons le voir, rien de nouveau dans la définition de l’effondrement en ce qu’elle ne revêt pas de caractère apocalyptique et reste au contraire associé à un processus. Comme l’explique le collapsologue Arthur Keller, nous ne pouvons pas « parler d’effondrement global, ça ne veut pas dire grand chose. » .
Les racines d’une théorie de l’effondrement.
La collapsologie se veut une science de « l’effondrement », cependant elle n’est pas à l’origine du concept.
Le thème du déclin, de la chute, ou de la disparition des sociétés n’a rien de neuf ; depuis la chute de l’Empire romain » il a beaucoup occupé les historiens.
Dès la fin du 19ème jusqu’au 20ème siècle beaucoup d’intellectuels se sont interrogés sur la viabilité de la civilisation industrielle.Mais la notion d’effondrement telle que nous la comprenons aujourd’hui est un peu plus récente.
Voici sa genèse en quelques points importants à retenir :
- 1972 : Commandé par le Club de Rome, un groupe de réflexion réunissant économistes, scientifiques et industriels, il est notamment rédigé par Donella et Dennis Meadows : donne le rapport Meadows ou Les limites à la croissance. Depuis, des mises à jour du « rapport Meadows » ont été effectuées : Actualisé en 2008, puis en 2012 par Graham Turner, un scientifique australien ; ce modèle façonne depuis les différents courants de pensée sur l’effondrement en cours ou à venir. Avec, comme dénominateur commun, l’interconnexion de toutes les crises et l’aspect systémique du processus.
- En 1979 : Hans Jonas écrit Le Principe de responsabilité face au désastre écologique.
Où il nous met en garde contre le développement technologique qui met en péril la nature et l’homme. Pour lui, les effets néfastes de la technique auront un impact à long terme. Nous avons donc une responsabilité vis-à-vis de la nature et des générations futures.
- Publié en 1988 (traduit en 2013 en français) l’effondrement des sociétés complexes, pour l’anthropologue et archéologue américain Joseph A. Tainter, c’est la diminution de « l’efficacité globale des organisations sociopolitiques complexes qui explique l’effondrement ». Il propose ainsi le premier modèle d’interprétation global des effondrements des civilisations du passé.
Ce livre aura un impact particulier sur l’histoire environnementale, qui explore les liens et interactions entre milieux naturels et sociétés, et la capacité des sociétés à s’adapter à un milieu changeant.
- Depuis 1990 le réchauffement climatique qui s’accélère est reconnu comme étant un réel danger.
- En France dans les années 2000, le mouvement décroissant est né autour de la dénonciation du discours du développement durable qui était censé concilier les logiques économiques, sociales et environnementales. Pour les décroissants cette conciliation n’est plus possible, il faut faire un choix entre croissance économique et maîtrise du réchauffement climatique.
- En 2004, Jared Diamond, dans son ouvrage Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie , décrit l’effondrement de plusieurs civilisations passées en reprenant la thèse systémique de Tainter : plusieurs facteurs (politique, socio-économique) sont à l’œuvre dans l’effondrement. Mais contrairement Tainter, il considère que les facteurs environnementaux (notamment la mauvaise gestion des ressources naturelles) sont décisifs pour comprendre les effondrements du passé.
- Plus récemment, la théorie de l’effondrement est reprise par Dmitry Orlov . Dans son livre Les Cinq Stades de l’effondrement , paru en 2016, il décrit l’effondrement de l’Union Soviétique où il a grandi, et celui à venir des Etats-Unis et définit les différentes étapes de celui-ci.
Pourquoi la « collapsologie » connaît-elle un succès médiatique aujourd’hui ?
Si la collapsologie connaît un vrai succès médiatique aujourd’hui c’est qu’elle s’appuie sur des constats scientifiques et sur une actualité de plus en plus sombre et brûlante qui fait débat : réchauffement climatique, désastre écologique, crise économique, sociale et politique. La collapsologie interprète ces différents constats comme les prémisses d’un effondrement qui vient. Et tout concourt à annoncer le chaos.
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Le constat de la dégradation du climat et de la biodiversité : Les impacts du réchauffement climatique s’accélèrent.
Récemment, le rapport de l’OMM (Organisation météorologique mondiale) portant sur l’état du climat en 2018 nous confirme que le réchauffement climatique a une incidence de plus en plus grave sur l’environnement.
Les rapports successifs du GIEC sont de plus en plus alarmants, et le dernier rapport de synthèse de 2014 confirme que l’influence de l’homme sur le système climatique est manifeste et de plus en plus forte.
La durée moyenne des vagues de chaleur s’est allongée de 0,37 jour par rapport à la période 1986-2008. On peut observer ses incidences sur tous les continents et dans tous les océans : le rythme accru des pertes de masse glaciaire entraîne une accélération du rythme de l’élévation du niveau de la mer.
Pour Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, « nous sommes très proches du point de non-retour ». Au Sommet du G7 à Biarritz, il a demandé aux pays industrialisés de montrer l’exemple en matière d’action pour le climat.
Le climat a un impact sur la biodiversité. Selon un rapport de l’ONU, beaucoup d’espèces sont menacées d’exctinction
Pour Elizabeth Kolbert il s’agit désormais de la 6e Extinction, autrement dit une « extinction de masse ». De nombreux scientifiques dénoncent la destruction actuelle des écosystèmes et pensent à l’instar d’Hubert Reeves, président de l’ONG Humanité et biodiversité, que « nous allons dans le sens inverse de ce qu’il faudrait faire ».
Cela n’est plus une abstraction, et chacun de nous peut faire le constat d’un environnement mis à mal, car nous savons .
Nous savons que les forêts tropicales partent, littéralement, en fumée, se réduisant chaque année d’une surface équivalente à l’Angleterre. Sans parler de l’ Antarctique où le réchauffement climatique accélère la fonte des glaces .
En Europe, c’est presque un tiers des oiseaux qui ont disparu en vingt-cinq ans, sans parler de chute vertigineuse des populations d’insectes,…
Le problème est que cette catastrophe environnementale aurait atteint un point de non-retour : même si nous faisions « marche arrière », la Terre mettrait plusieurs millions d’années à se remettre.
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Le constat de l’épuisement des énergies fossiles qui menace notre environnement et bouleverse notre économie
Le pétrole n’est pas inépuisable et sa consommation contribue aux émissions de gaz à effet de serre.
Nous savons que le cours du baril de pétrole fluctue en fonction de plusieurs paramètres, notamment géopolitiques, mais le paramètre déterminant est la disponibilité de la ressource estime l’Agence internationale de l’énergie .
L’extraction des énergies fossiles (pétrole et charbon) se fait à un coût environnemental de plus en plus élevé. La production américaine de pétrole de « schiste » a pu donner l’impression que les réserves sont encore surabondantes. Mais pour les experts, c’est une illusion.
Et même si leur épuisement semble encore lointain, les modèles économiques qui ont fait la fortune des grandes compagnies pétrolières sont aujourd’hui bousculés.
Comme l’explique dans son ouvrage le président de l’Institut Momentum, Yves Cochet, la crise énergétique actuelle devrait nous amener à réduire notre consommation car « nous vivons aujourd’hui la fin de la période de la plus grande abondance matérielle… ».
Jean-Marc Jancovici parle encore de « s’adapter » à la raréfaction du pétrole.
Dans son livre il nous explique le lien entre énergie, climat, PIB, absence de croissance, inégalités, montée des populismes …
Cependant, selon lui, la croissance verte est un leurre, et les énergies renouvelables à elles-seules ne suffiront pas à notre consommation.
Dans ce monde aux limites et aux ressources finies, nous devons donc faire le deuil d’une croissance infinie.
Du point de vue économique, les différentes crises financières qui secouent la planète depuis 2008 inquiètent aussi car elles montrent les failles d’un système économique et bancaire qui semblent pouvoir s’effondrer du jour au lendemain.
Récemment , les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine pourraient avoir un effet désastreux sur l’économie mondiale .
Certains économistes hétérodoxes ne voient pas dans la crise de 2008 un phénomène conjoncturel, mais bien la fin de l’économie de croissance. C’est en tous les cas la thèse plutôt pessimiste de l’économiste américain Robert Gordon qui s’appuie sur plusieurs constats :
– le taux d’emploi est en baisse
– le diplôme ne garantit plus « un emploi à la mesure de l’investissement » des ménages,
– l’augmentation des inégalités, plus ou moins prononcée selon les pays, entraîne une baisse de la demande globale
– enfin, l’accroissement de la dette publique conduit à long terme à augmenter la pression fiscale et entrave l’investissement et la demande globale.
Beaucoup d’économistes qui ne soutiennent pas pourtant la collapsologie, partagent cependant son constat. C’est le cas par exemple de Thomas Piketty pour qui les crises environnementales et économiques sont liées.
Elles sont le signe que notre économie basée sur la finance n’est plus viable et que nous devrions nous orientant vers une économie réelle, fondée sur une éthique sociale et une très forte réduction des inégalités. Mais l’analyse de Piketty s’inscrit dans une critique directe du modèle capitaliste
Le ralentissement économique mondial inquiète car il annonce un risque de récession généralisé. Face à cette menace, les banques centrales oeuvrent pour soutenir la croissance. Mais leurs recettes pourront-elles longtemps suffire ?
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Pour les collapsologues, le constat social et politique plutôt pessimiste parachève la vision d’un effondrement prochain
En effet, si la pauvreté a globalement reculée, les inégalités s’accroissent bien sûr à un niveau mondial entre pays du nord et pays du sud, mais aussi à l’intérieur de nos sociétés développées.
Dans un rapport publié par l’ONG Oxfam en 2016, il s’avère que 99 % de la population mondiale possède autant que le 1% restant. «L’écart entre la frange la plus riche et le reste de la population s’est creusé de façon spectaculaire au cours des douze derniers mois», constate le rapport.
Le laboratoire sur les inégalités mondiales a également publié un rapport en 2018 démontrant que les inégalités de revenus ont augmentées dans toutes les régions du monde depuis 1980,
Cette augmentation des inégalités n’est-elle pas à l’origine de nos crises sociales et politiques ?
En France, les prix des ressources énergétiques et de l’accès aux services de première nécessité augmentent. Le mouvement des « gilets jaunes » ne pourrait-il pas ainsi se lire comme le premier signe d’une société qui se fracture ?
Comment l’effondrement va-t-il s’opérer selon la collapsologie? Pourquoi serait-il grave et inévitable, alors même qu’il est progressif et prévisible ?
A partir de tous ces constats menaçants, la collapsologie prédit des effondrements successifs, comme dans un « Jeu de dominos ». Mais si l’effondrement est progressif, les collapsologues nous alertent cependant sur sa gravité, et son caractère irréversible et inévitable.
Pablo Servigne voit l’effondrement comme « une succession de catastrophes, ponctuelles dans le temps et dans l’espace, sur fond de dégradation globale et irréversible. »
Autrement dit, pour la collapsologie, il faut comprendre l’effondrement comme une dégradation progressive de nos sociétés. Celle-ci pourra prendre des années, voire des décennies.
Mais dans un même temps, la collapsologie nous alerte sur la gravité de l’effondrement, c’est à dire son caractère irréversible, mais surtout global, systémique et transdisciplinaire. En effet d’un point de vue systémique, l’ensemble des menaces est toujours plus grave que leur simple somme.
Ainsi la complexité et l’ampleur de l’effondrement le rende inévitable car nous ne pouvons nous le représenter, il dépasse nos capacités d’entendement et d’imagination.
De plus, nous sommes humainement incapables de résoudre globalement et frontalement un ensemble de problèmes complexes et corrélés.
La psychologie sociale démontre d’ailleurs qu’en de pareilles circonstances insurmontables pour l’humain, le « déni » reste la réponse la plus appropriée.
Enfin, pour Pablo Servigne, les « verrouillages sociotechniques » peuvent aussi aggraver la dynamique de l’effondrement. Par « verrouillage sociotechnique », il faut entendre la situation dans laquelle la diffusion d’une innovation technique est bloquée par « le régime socio-technique déjà existant, c’est-à-dire par les stratégies économiques et techniques déjà mises en place par l’ensemble ».
Ainsi, par exemple, en France le système technologique du nucléaire peut bloquer la transition énergétique. Mais il peut exister des verrous de tout ordre…
Les collapsologues nous invitent à penser un effondrement à venir. Mais comment peut-on vivre avec le sentiment d’une fin proche ?
Pour les collapsologues, l’effondrement est proche. En 1972, le rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance ne voyait aucun risque d’effondrement avant plusieurs décennies. Alors qu’aujourd’hui, pour la collapsologie, l’effondrement est perçu comme une perspective beaucoup plus immédiate.
Mais selon eux, nous n’avons guère d’autre choix que de vivre avec l’idée de fin du monde. Il s’agit juste d’envisager le réel avec lucidité. Mais loin de se complaire dans des passions tristes, cette certitude de l’effondrement proche nourrit leur engagement, car il faut « sauver ce qui peut encore l’être ».
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La perspective de l’effondrement est comme une crainte qui motive
Beaucoup de jeunes militants collapsologues pensent que l’effondrement adviendra de leur vivant. Paradoxalement, cette peur de la fin proche les pousse à se mobiliser. Ils veulent annoncer l’effondrement sans répandre la peur, avec bienveillance. Ils motivent tout le monde à sauver ce qui peut l’être. Pour eux c’est normal d’avoir peur, mais la peur n’empêche pas de vivre et de s’engager, bien au contraire. C’est en quelque sorte l’heuristique de crainte de Hans Jonas.
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Paradoxalement, l’idée d’une fin peut aussi donner du sens à la vie et aider construire un monde meilleur.
Il existe une sagesse de tout temps qui nous pousse à penser que le sentiment de notre propre fin donne un sens et un but à notre existence
« Philosopher c’est apprendre à mourir » disait déjà Cicéron. Mais la perspective d’un effondrement radicalise cette sagesse. Si dans l’histoire de l’humanité bien des civilisations ont disparues, cela ne remettait pas pour autant en cause la viabilité de notre terre, notre source même de vie.
Aujourd’hui, pour les collapsologues, les seules menaces environnementales, réelles et irréversibles, doivent au moins nous questionner, nous pousser à imaginer comme possible une « fin du monde » globale, où la « fin » envisagée est bien fin de la vie sur terre et non plus celle de notre civilisation.
Mais en contrepoint de cet « à-venir » sombre et catastrophique qu’elle annonce, la collapsologie nous enjoint à vivre et construire le présent. La « Fin » est comme un désespoir qui nous permettrait d’agir avec justesse. Car si la fin du monde semble imminente, chacun de nos choix nous rend responsables du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. « Nous ne sommes pas la cause de la fin, mais la fin nous donne une cause : vivre, ici et maintenant, la meilleure vie possible. », dit autrement la philosophe Marianne Durano.
Malgré la perspective d’un l’effondrement, les collapsologues se veulent « heureux ». Mais comment font-ils ?
Qu’on se le dise ! Face à l’effondrement, les collapsologues apportent la réponse de la sobriété et de la joie. !
Pablo Servigne expose d’ailleurs, dans la conclusion de son dernier livre, Une autre fin du monde est possible qu’il se considère comme « vivaliste ».
L’opposition au « survivalisme » est ainsi clairement annoncée : parce qu’elle se veut « heureuse » la collapsologie se démarque profondément de ce mouvement et de sa représentation catastrophiste du monde. Les collapsologues se distinguent en effet des preppers américains par une vision beaucoup plus collective des stratégies à mettre en place pour survivre à l’effondrement de notre civilisation.
Les collapsologues sont jeunes (entre 20 et 40 ans) et ne connaissent pas forcément “l’usure” des luttes écologiques passées. Ils sont adeptes des réseaux sociaux, et beaucoup de groupes Facebook sont consacrés à la thématique : « Transition 2030 » ou « La Collapso heureuse » . Pablo Servigne le disait lui-même au cours d’une émission de Mediapart, à l’occasion de la sortie de son premier ouvrage en 2015 : « L’effondrement permet de rassembler les constats scientifiques et les imaginaires à la Mad Max ».
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La collapsologie déploie un imaginaire commun pour un “mieux vivre ensemble”
Vivre avec la fin du monde passe quand même par un gros effort d’imagination pour arriver à dégager de nouveaux horizons, afin de fermer la porte au du nihilisme, à « l’à quoi bon » et au « chacun pour soi ».
Pour les collapsologues, il faut un récit commun, une apologie de l’entraide, de la bienveillance et de la collaboration pour rester soudés.
Pablo servigne nous explique que pour vivre dans un monde qui va s’effondrer, il faut dans un premier temps faire individuellement l’expérience du processus de deuil. Au bout de ce cheminement, c’est la puissance de l’imaginaire qui prend le relais.
Dans Comment tout peut s’effondrer cette puissance de l’imaginaire est clairement posée comme essentielle au mouvement de la collapsologie : « En fait, presque tout se jouera sur le terrain de l’imagination. […] Nous avons grandement besoin de nouveaux récits transformatifs pour entrer dans une grande période d’incertitude, des histoires qui raconteraient la réussite d’une génération à s’affranchir des énergies fossiles grâce à l’entraide et à la coopération. »
L’entraide, la coopération, la constitution de communautés résilientes, ne sont-elles pas des solutions qui s’apparentent à de celles promues par le courant décroissant ?
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La collapsologie comme utopie concrète revendique une société permaculturelle et une politique de biorégionalisme pour vivre une fin du monde heureuse.
La collapsologie construit un imaginaire, certes. Mais un imaginaire pour agir et avancer. La collapsologie n’apparaît pas comme une simple utopie : elle n’appelle pas à un monde meilleur pour demain, mais elle veut construire aujourd’hui pour la sauvegarde du monde qui nous est donné en partage.
L’objectif des collapsologues est de prendre soin de soi, des autres, de notre environnement en réduisant considérablement notre empreinte sur le monde. Ce qui implique de mettre en oeuvre immédiatement une nouvelle organisation sociale, économique et culturelle, basée sur une politique de décroissance.
Dans les faits, deux systèmes de référence guident l’action des collapsologues : la permaculture et le biorégionalisme.
La permaculture est un engagement pratique. Il consiste à répondre aux besoins qui assurent la pérennité écologique et sociale des milieux de vie.Les trois piliers de la permaculture ont été formulés par Mollison et David Holmgren en 1988 et peuvent être résumés ainsi :
- Prendre soin de la terre
- Prendre soin des personnes
- Limiter de manière volontaire la production et la consommation
Ces 3 principes orientent des stratégies d’action concrète comme celle de travailler avec la nature plutôt que contre elle, c’est-à-dire faire que son intervention soit la plus légère possible et observer avant d’agir, car il s’agit de faire avec la nature.
Le biorégionalisme est quant à lui un engagement politique. Il repose sur l’idée que la société doit être organisée à l’échelle d’un territoire par des frontières naturelles et non plus administratives : la « biorégion ».
Ce mouvement est apparu aux Etats-Unis dans les années 60-70 puis a été diffusé en Europe par le biais de l’école des territorialistes italiens, et notamment l’urbaniste Alberto Magnaghi.
Dans le livre « Gouverner la décroissance. Politiques de l’Anthropocène », Agnès Sinaï nous apprend que la coll apsologie s’est emparé du concept de « biorégion » afin de permettre, avant, pendant et peut-être après l’effondrement, d’organiser des systèmes économiques territoriaux où « les habitants, les manufactures et la Terre travailleront en coopération ».
Mais les analyses et conclusions de la collapsologie ne sont pas partagées par tous.
Beaucoup d’intellectuels de tous horizons s’opposent plus ou moins catégoriquement à la collapsologie. Afin que vous puissiez-vous faire votre propre opinion nous vous proposons de vous exposer quelques une des principales critiques qui lui sont opposées.
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La collapsologie n’est pas une science
Une science ne « prédit » pas l’effondrement, mais « mesure » les risques.
Que doit-on croire en effet ? Pour Pablo Servigne le collapse est « très probable avant 2020, et sûr avant 2030 », mais dans le modèle de Meadows (le plus récent), 2020-2030 c’est le début de l’inversion des courbes…
Beaucoup reprochent à la collapsologie le fait de s’ériger en science prédictive : pour les membres du comité Adrastia, une association qui « a pour objectif d’anticiper et préparer le déclin de la civilisation », les prédictions n’ont pas de sens. Elles sont aussi dangeureuses et peuvent être la porte ouverte à une dérive sectaire.
Vincent Mignerot, le fondateur du comité Adrastia, et Dominique Py, la secrétaire générale de l’association ne veulent pas être associés à la collapsologie : car «ce n’est pas la même chose d’être collapsologue que d’étudier le risque d’effondrement ».
Pour le psychanalyste et philosophe Pierre-Henri Castel, il est encore trop tôt pour « faire une science de la fin du monde». Dans son essai sur la fin des temps intitulé Le mal qui vient, il précise qu’il se démarque des collapsologues (« ceux qui prophétisent un effondrement demain »), car il considère « que les conditions totalement nouvelles de la politisation de ce qui nous reste à vivre sont traitées sur un mode pas même utopique, mais régressif et teinté de survivalisme New Age ».Enfin, il refuse catégoriquement toute idée de « science de l’effondrement » et préfère parler d’«effondrementalisme ».
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La collapsologie c’est aussi pour certains comme un récit de science-fiction, qui déploie un imaginaire apocalyptique vieux comme le monde et qui ne résout rien.
L’historien Jean-Baptiste Fressoz , spécialiste de l’histoire environnementale, reconnaît l’urgence écologique. Mais pour lui la collapsologie, ne peut pas réussir à régler cette urgence .
En effet, la notion d’ « effondrement » et de « chute » que véhicule la collapsologie s’originerait dans le récit de la génèse. Le récit apocalyptique annonçant la fin des temps est depuis repris de manière récurrente dans la littérature et le cinéma d’anticipation. Une certaine conception de l’histoire faisant une constante référence à la « fin des civilisations » a continué d’ancrer ce récit dans nos mentalités et nos représentations. Et si nous en sommes en quelque sorte imprégnés de ce récit, pour autant il ne nous a jamais aidé à régler nos problèmes.
Dans son livre Le fanatisme de l’Apocalypse , Pascal Bruckner va plus loin encore : les écologistes opèrent un « retour aux fondamentaux du christianisme » en stigmatisant l’homme, rendu coupable de la destruction imminente de la Terre. Contre ce réquisitoire, Bruckner plaide pour un « nouveau type de progrès », qui assure le développement mondial « sans épuiser les ressources de la planète ».
A l’opposé, Jean-Paul Engélibert, auteur de Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse pense que nous avons besoin de bonne fiction apocalyptique . Celle-ci peut être bénéfique lors qu’elle « problématise la fin », [,,,] et met « en tension la catastrophe autour de nous, ce qui pourrait nous permettre d’y échapper malgré tout. Ce qui m’intéresse, c’est ce malgré tout. » C’est aussi ce que pense Yannick Rumpala qui écrit dans son livre Hors des décombres du monde : écologie, science-fiction et éthique du futur que les récits de science-fiction peuvent même nous inspirer et nous aider à réfléchir sur les manières pour une collectivité de prendre en charge les défis environnementaux .
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Enfin, il est reproché à la collapsologie de dépolitiser la question écologique.
Beaucoup d’intellectuels reprochent à la collapsologie de ne pas faire directement une critique de notre système économique et politique capitaliste, et de détourner l’opinion des vraies préoccupations de l’écologie.
Daniel Tanuro, notamment, reproche fermement à la collapsologie de préférer imaginer la disparition de l’humanité à celle du capitalisme.
Mais, les opposants à la collapsologie les plus virulents se trouvent sans doute à l’extrême gauche de l’écologie politique : Nicolas Casaux, membre du mouvement international Deep Green Resistance, qui se présente comme la « résistance à la civilisation industrielle » , est farouchement opposé aux collapsologues. Pour lui, la civilisation industrielle ne considèrant pas la nature comme primordiale, ne peut que la détruire par sa soif de croissance et de progrès. En conséquence, ” l’effondrement de notre civilisation est une bonne chose”
Que pouvons-nous conclure ?
Réchauffement climatique, atteinte à la biodiversité, crises économiques, aggravation des inégalités. Comment continuer à croire en demain ? La technologie peut-elle encore nous offrir les outils pour évoluer vers le mieux ou, au contraire, va-t-elle renforcer et accroître les dysfonctionnements de notre monde ? Ceci est sans doute un autre débat.
Et loin de cette question sans réponse immédiate, la collapsologie qui fait « un pas de côté », s’éloigne de nos systèmes de représentation habituels. Son analyse est peut-être génératrice d’une richesse en ce qu’elle interroge nos modes de vie, questionne notre rapport aux autres et au vivant et pourrait même donner , à certains d’entre nous, le désir de construire autre chose.
Mais force est de constater que l’analyse de la collapsologie se traduit difficilement dans le langage établi du politique.
En attendant le Titanic coule et on continue de nous raconter que le bateau est insubmersible. Il est vrai, qu’ici en Occident, nous ne faisons pas partie des troisièmes classes.
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