Philosophie
Les autres animaux
Publié le 23/12/2024 à 15:40
- 11 min -
Modifié le 20/12/2024
par
Département Civilisation
La question des relations entre humains et animaux en philosophie est ancienne. Mais elle est ravivée par la menace d’extinction massive, la crise écologique, et les progrès des sciences naturelles qui nous font envisager différemment l’animal. Plusieurs approches renouvellent notre regard sur nos attitudes ambivalentes envers les animaux, sauvages, domestiques ou d’élevage. Petite sélection.
Philosophie animale : différence, responsabilité et communauté , Hicham-Stéphane Afeissa et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.

L’ouvrage offre un panorama des différents courants et sensibilités. Le sous-titre énumère les trois principales directions suivies par les penseurs. Et J.-B. Jeangène Vilmer les explicite dans l’article La philosophie à l’épreuve de l’animal.
L’inconscient des animaux : une lecture freudienne, Florence Burgat

Florence Burgat travaille depuis longtemps le sujet et tente de redonner une biographie et une subjectivité aux animaux. Elle nous montre que les animaux sont des êtres sentients (doués de sensibilité) et conscients.
Son dernier ouvrage, nous invite à prendre en considération la souffrance psychique des bêtes. Pour elle, il faut prôner « une “différence par originalité“ plutôt qu’une “différence par défaut”». Podcast L’inconscient des animaux avec Florence Burgat, France Inter, L’heure philo
Sur la piste animale, Baptiste Morizot

Souvent classés parmi les penseurs du vivant, Baptiste Morizot insiste moins sur l’ontologie animale que sur l’inscription de l’animal dans le vivant. Il s’en va ainsi sur la piste animale pour explorer une autre qualité d’attention. Il nous propose aussi dans Les diplomates : cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, d’apprendre en les pistant de leur façon d’habiter le monde.
Et c’est en suivant les castors qu’il propose de Rendre l’eau à la terre.
« C’est l’action des pollinisateurs qui nous permet de manger, c’est l’action des rivières qui atténue les sécheresses et les inondations, qui hydrate les sols. Et c’est quelque chose qu’on a oublié en croyant que nous étions les seuls auteurs de l’habitabilité de la planète. Donc c’est pas une question d’aimer ou pas les animaux, c’est une question de survie et de prospérité des sociétés humaines. “ – Grand entretien, France Inter.
Habiter en oiseau, Vinciane Despret

Vinciane Despret nous invite à épouser le point de vue animal. Ici, il s’agit de réinvestir un territoire en le voyant à partir de l’oiseau. Cette façon de se glisser dans la peau d’un animal peut la conduire non loin de la fiction comme dans Autobiographie d’un poulpe, et autres récits d’anticipation.
Elle s’en explique dans Vinciane Despret, fabriquer des mondes habitables.

Manifeste animaliste : politiser la cause animale, Corinne Pelluchon

Partant du même constat de sensibilité des animaux, l’animalisme insiste davantage sur les dimensions politiques et éthiques.
« L’animalisme est un courant de l’éthique qui s’appuie sur les avancées de l’éthologie et qui défend les droits des animaux. » –
(Wikipédia)
Dans son ouvrage, Corinne Pelluchon entend promouvoir une nouvelle organisation de la société et des règles progressives de transformation de notre relation aux animaux :
« S’il faut politiser la question animale, c’est parce que force est de constater qu’« après plus de quarante-cinq ans de créativité intellectuelle employée à rénover les critères de l’éthique et du droit de l’animalité, le sort des animaux ne s’est pas amélioré ». – Recension Un tournant dans la cause animale, par Hicham-Stéphane Afaissa (La Vie des idées).
La libération animale, Peter Singer

Peter Singer, à l’origine de l’antispécisme, expose en 1975 les grands principes éthiques qui devraient nous guider dans notre comportement à l’égard des animaux.
Les antispécistes font de la cause animale une lutte sociale.
« Par analogie avec le racisme et le sexisme, le spécisme est la discrimination en fonction de l’appartenance d’espèce biologique. Tout comme on est raciste si l’on privilégie les Blancs par rapport aux Noirs et sexiste si l’on privilégie les hommes par rapport aux femmes, on est spéciste si l’on privilégie les êtres humains par rapport aux autres animaux. » – Spécisme : Encyclopédie philosophique en ligne (Voir aussi Le spécisme, une impasse morale ?)
Depuis, ces idées ont fait leur chemin avec des conclusions parfois contre-intuitives.
La révolution antispéciste, sous la direction de Yves Bonnardel, Thomas Lepeltier et Pierre Sigler, présente ainsi des textes des Cahiers antispécistes. La volonté antispéciste d’abolir toute exploitation des animaux est maintenant connue. Mais on découvre là des textes encore moins consensuels, notamment de Thomas Lepeltier, partisan de réduire la souffrance animale au point d’éliminer les grands prédateurs. Il s’en explique dans Faut-il sauver l’ours blanc ?.

Attachements : enquête sur nos liens au-delà de l’humain, Charles Stépanoff

Charles Stépanoff réintroduit la complexité dans notre relation aux animaux sur le temps long et dans des milieux divers.
Il souligne que «Les sociétés varient selon leurs façons d’organiser leurs attachements à leur milieu» (Reporterre).
« L’attention à la variété des formes que peuvent prendre les relations humaines avec leur altérité prouve plutôt que, à côté d’une modernité menaçante pour la diversité bioculturelle – dont le scientifique, sans être un militant, se doit d’être le témoin –, une autre histoire est possible, et d’autres façons d’habiter le monde. » – Habiter le monde autrement avec Charles Stépanoff, Nicolas Weil, Le Monde (à retrouver sur Europresse sur le site de la BML dans les offres numériques).
Réinventer le pastoralisme, Aliénor Bertrand

Pareillement critique à l’égard de pensées jugées trop simplistes, Aliénor Bertrand échange dans Les animaux ont-ils trouvé leur juste place dans les sciences sociales ?, (France Culture) avec Victor Duran-Le Peuch ( Comme un poisson dans l’eau). Pour elle, la pensée du vivant invisibilise les problèmes d’exploitation et ne parle que du « sauvage ». Quant à l’antispécisme, il est trop normatif et raisonne comme si le spécisme était universel.
« Si la standardisation pilotée par l’agro-industrie a conduit à une déconnexion des troupeaux et des écosystèmes, à la perte du sens du métier et des savoir-faire, des initiatives montrent que le pastoralisme peut se réinventer. »
Cause animale, cause du capital, Jocelyne Porcher

Pour Jocelyne Porcher l’animalisme radical ne fait que servir l’industrie.
« Le problème ne se pose pas en termes de “c’est mal” (d’élever les animaux et de les tuer) / “c’est bien” (d’être vegan), mais pourquoi vit-on avec les animaux plutôt que sans eux ? Qu’est-ce que nous nous apportons mutuellement ? Pourquoi c’est important ? Qu’est-ce qu’il faut changer pour mieux vivre et travailler avec les animaux ? Pour répondre à ces interrogations, la question du travail est centrale car celui-ci structure le lien social, y compris nos liens avec les animaux. » – Revue des deux Mondes

« L’ensemble de ces réflexions, qui utilisent des moyens divers et aboutissent à des conclusions parfois opposées, partagent toutefois la même indignation face à la violence dont sont victimes les animaux. Et à l’exception de certaines positions abolitionnistes, toutes ces approches ne sont pas incompatibles » – L’éthique animale, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Pour approfondir en ligne :
Fiche Pédagogique, Penser le Vivant, par Thierry Raffin, un bon résumé d’Aristote à Bruno Latour, L’Archipel du vivant
Les penseurs du vivant Lordon et la question de la technique, Olivier Lefebvre, lundimatin
Que pensent les penseurs du vivant, Thibault Le Texier, En attendant Nadeau
Le véganisme à l’épreuve de l’animalisme francophone : Essai sur le “paradoxe animaliste”, Sarah Deligne, Recherches sociologiques et anthropologiques, 54-2/2023, une bonne synthèse des liens et différences entre animalisme, véganisme et antispécisme
La série Luttes animales, luttes sociales, Revue Ballast, mai 2022
Souffrance animale, Encyclopédie philosophique en ligne
Le blog L’animal comme prétexte, de Sergio Dalla Bernardina
Les dernières vidéos de notre cycle Penser Critique sur les relations Humains-animaux
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