Demain, la forêt
D’une exploitation durable à la forêt primaire
Publié le 27/09/2021 à 09:00 - 9 min - par J.E.
Alors que la biodiversité s’appauvrit à un rythme effrayant, que le changement climatique risque d’entraîner une extinction massive des espèces végétales et animales, le monde de la forêt s’agite. Associations, citoyens et professionnels tirent la sonnette d'alarme pour ramener les forêts au cœur du débat car elles ont été les grandes oubliées du projet de loi Climat… pourtant leur rôle dans le maintien de la biodiversité est indispensable et l’on ne pourra échapper longtemps à une réflexion en profondeur sur la place que l'on souhaite leur donner à l'avenir.
Un constat alarmant
Dès les premières lignes de son ouvrage Main basse sur nos forêts, Gaspard d’Alllens donne le ton. La situation des forêts françaises est loin d’être reluisante. Bien qu’elles couvrent une part importante du territoire, 31% soit 16.9 millions d’hectares, depuis 50 ans les citoyens en ont été dépossédés. “A l’exil rural s’est ajouté l’exil forestier” : tout une culture et ses savoir-faire ont disparus.
Au début des années 70, le travail au long cours mené par les paysans forestiers a été abandonné au profit de l’exploitation intensive de l’industrie forestière. Comme partout, la quête de rentabilité a pris le dessus. Les industriels plantent des forêts à leur mesure : 51 % d’entre-elles sont constituées d’une seule essence et seulement 16% de plus de 2 essences. Et bien sûr des résineux, toujours plus de résineux. 80% de ces arbres ont moins de 100 ans, soit à peine le stade de l’adolescence. Car une fois atteint 40-50 ans, ces forêts plantées dans le seul but de produire du bois, sont coupées, rasées et replantées dans la foulée. Le tout à grand renfort de produits phytosanitaires… C’est particulièrement le cas de la forêt landaise dans le Sud-Ouest de la France.
Comme le rappelle Alain-Claude Rameau dans son ouvrage Nos forêts en danger, cet appauvrissement est loin d’être sans incidence sur l’état de santé des arbres et sur la biodiversité. Le manque de diversité génétique est une aubaine pour les parasites, les maladies et agents pathogènes. Scolytes, chenilles processionnaires et autres ennemis peuvent s’y développer à loisir, d’autant que le changement climatique et les alternances de sécheresse leur sont favorables. D’après l’auteur, par ailleurs forestier et agronome de formation, « la seule forêt résiliente, capable de se régénérer d’elle-même après un accident biologique et climatique, est la forêt mélangée». De plus, pour nicher, se développer, oiseaux et insectes ont besoin de diversité d’essences, d’arbres morts, de recoins, de cavités que seules des forêts composées de vieux arbres pourront leur offrir.
Dépasser le “tryptique calamiteux ”
Résineux, monoculture, coupe rase, c’est ce tryptique calamiteux, source de désert biologique, que dénonce ardemment Gaspard d’Allens. Et c’est justement ce contre quoi luttent les professionnels du bois interviewés dans le passionnant film documentaire de François-Xavier Drouet, Le temps des Forêts. Récompensé du Grand Prix de la Semaine de la critique du Festival de Locarno en 2018, ce film est un plaidoyer pour repenser la gestion de nos forêts françaises.
A travers 5 courts métrages, le réalisateur donne la parole à des professionnels du secteur, tous très engagés et passionnés par leur métier. Le propos est clair, il n’est pas question ici de ne plus exploiter les forêts mais de repenser leur gestion en l’inscrivant dans le temps long. Si l’on veut faire face aux nombreux défis écologiques qui nous arrivent, le temps des forêts doit reprendre le dessus. Il existe des alternatives aux coupes rases, à la monoculture et c’est ce que nous apprennent ces professionnels. Car on ne travaille pas avec le vivant comme avec n’importe quel produit industriel… Une autre exploitation des forêts est possible, la prise de conscience avance, grâce à l’engagement de ces forestiers, bûcherons, scieurs, gestionnaires qui font la forêt de demain.
Remettre les forêts aux mains des citoyens
Cette prise de conscience ne se limite pas au monde professionnel. De nombreux citoyens passionnés souhaitent apporter leur pierre à l’édifice de la protection des forêts.
Ainsi dans son ouvrage Valoriser la forêt : propositions alternatives à la coupe systématique des arbres, Bruno Minier s’adresse aux citoyens, aux passionnés, aux familles qui souhaitent s’investir dans l’exploitation intelligente, créative et respectueuse des forêts. Alors bien sûr il y a le bois, mais bien d’autres ressources et c’est ce qu’il appelle ici à valoriser : production d’énergie, cueillette, sylvothérapie, développement du tourisme et de loisirs responsables… un guide de premier niveau qui a pour but de nous impliquer à l’échelle individuelle et de ne pas laisser le monde de la forêt seulement aux mains des professionnels et surtout des industriels.
C’est dans cette même logique qu’officie le groupement forestier participatif CERF VERT, mais cette fois en passant par l’action collective. Son objectif est de “rassembler des citoyennes et citoyens, pour acquérir des parcelles de forêt et les gérer durablement à travers une sylviculture raisonnée et respectueuse de la biodiversité”. Ainsi, chacun à son échelle peut reprendre en main l’avenir des forêts : en faisant l’acquisition de parts au sein du groupement, en vendant sa parcelle de forêt à CERF VERT, en parlant de sylviculture raisonnée autour de soi, en donnant de son temps pour entretenir les forêts, en animant des ateliers de sensibilisation, en organisant des sessions de plantation d’arbres…
Au-delà de la gestion durable des forêts… le réensauvagement
C’est un courant de pensée qui se fait de plus en plus entendre. Pour que les conditions de vie sur terre continuent de nous être favorables, il est indispensable aujourd’hui de laisser des espaces en totale autonomie, sans aucune intervention humaine afin de préserver la biodiversité nécessaire à notre survie. Ainsi comme le défendent Gilbert Cochet, Stéphane Durand et Béatrice Kremer-Cochet il faut réensauvager la France, réensauvager l’Europe qui depuis le néolithique sont des espaces particulièrement domestiqués par l’Homme.
Plutôt que de réensauvagement, l’écologue Jean-Claude Génot et Annik Schnitzler, professeure spécialisée dans les forêts naturelles, parlent de féralité. Il s’agit d’écosystèmes anciennement exploités par l’homme et revenus à l’état sauvage après abandon par ce dernier.
Dans leur ouvrage La nature férale ou le retour du sauvage, les auteurs identifient plusieurs lieux de féralité en Europe depuis la fin du XIXe siècle. Dans des réserves et grands parcs nationaux notamment : dans les Abruzzes en Italie, dans le Parc naturel de Somiedo en Espagne, dans la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche, certaines zones de la forêt Noire et des parcs nationaux de Kampinoski et Bialowieza en Pologne…
Jean-Claude Génot, Yves Cochet et Béatrice Kremer-Cochet ont fondé l’association Forêts sauvages qui milite pour un retour à la naturalité des forêts. C’est un paradoxe qui les a mené à sa création : “les superficies de forêts augmentent dans notre pays alors que dans le même temps, des espèces comme le grand tétras ou le pique-prune reculent et disparaissent”. Il y a donc nécessité de préserver de vastes espaces forestiers naturels. C’est pourquoi, par le biais de dons, l’association achète des mètres carrés de naturalité.
L’ultime naturalité : la forêt primaire
Plus ambitieux encore que le réensauvagement, c’est le projet incroyable auquel aspire le botaniste et biologiste Francis Hallé : faire renaître une forêt primaire en Europe de l’Ouest. On qualifie de primaire une forêt ancienne qui n’a jamais été détruite, ni profondément modifiée par les activités humaines pendant au moins… 10 siècles.
“La plupart des grands pays situés aux latitudes tempérées – États Unis, Canada, Chili, Russie, Chine, Japon, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande – ont su conserver des forêts primaires de plaine tandis qu’en Europe de l’Ouest nos ancêtres les ont détruites, ignorant qu’elles avaient une valeur écologique irremplaçable. En Europe il n’en reste qu’une, celle de Białowieża en Pologne, qui est menacée dans son existence même, en dépit des rappels à l’ordre de l’Union Européenne.”
Face à ce constat et aux nombreux défis écologiques qui viennent, Francis Hallé a débuté son projet en 2019 en créant l’association Francis Hallé pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest. L’objectif est de trouver une forêt d’au moins 60 000 hectares, dont la situation impliquerait plusieurs pays européens et qui serait écologiquement variée afin de favoriser la diversité biologique. L’originalité du projet tient au fait qu’il se déroulera sur un temps très long, 7 à 10 siècles au moins, avec un passage de relais d’une génération à la suivante. Les fondateurs n’en verront bien sûr pas le bout… Un projet à contre-courant de notre société de l’immédiateté et qui n’est pas sans rappeler le temps consacré à la construction des cathédrales… mais cette fois, le culte est voué à Mère Nature…
En guise de conclusion…
Nous ne saurions terminer ces quelques lignes sans vous conseiller la lecture du très bon ouvrage d’Esther Gonstalla : Le livre de la forêt : tout ce que vous devez savoir en 50 infographies.
A l’aide d’une infographie dynamique composée de nombreux pictogrammes, l’autrice fait une synthèse très complète de la question des forêts d’aujourd’hui. En collaboration avec des scientifiques, elle traduit visuellement le fonctionnement des écosystèmes forestiers, les dangers qu’ils encourent, les liens que les Hommes entretiennent avec la forêt, de la destruction à la protection. Un beau travail de vulgarisation qui apporte sa pierre à l’édifice de la sensibilisation citoyenne : quelle place souhaite-t-on donner aux forêts, demain ?
Pour aller plus loin :
- La wilderness, l’Eden africain et les mythes de l’environnementalisme, l’Influx, 07/2021
- La forêt à chaud, l’Influx, 12/2020
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La Sylvothérapie ou la pratique des bains de forêt, l’Influx, 08/2019
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Massacre à la tronçonneuse, Hugues Demeudes, Le cherche-midi, 2020
- Histoire d’un arbre, Mathias Bonneau, Ulmer, 2020
À lire également sur l'Influx
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One thought on “Demain, la forêt”
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Ré-apprivoiser de ce qui nous constitue (notre “nature”), jusqu’au “sauvage” en nous qui parfois effraie : ici commence le chemin de toute réconciliation. Avec soi d’abord. Avec l’autre peut-être.
Merci pour cet article
LdP