Mémoire des musqiues lyonnaises
Klimperei et In Aeternam Vale : deux compositeurs lyonnais dans l’exposition contrebande
Publié le 19/06/2023 à 11:04 - 15 min - Modifié le 07/07/2023 par Alfons Col
Depuis le 28 février la Bibliothèque municipale de Lyon accueille l’exposition « Contre-bande, musiques alternatives et culture cassette 1980-1999 ». Le fonds de la bibliothèque « Mémoire des musiques lyonnaises » s’associe aux travaux de collectage de son commissaire Simon Debarbieux. Focus donc sur les productions lyonnaises présentes dans cette exposition.
Anthropologue, chercheur indépendant et disquaire, Simon Debarbieux avait déjà initié des recherches musicales autour des musiques lyonnaises notamment sur les musiques du Maghreb à Lyon. En collaboration avec le disquaire Sofa records et Péroline Barbet, réalisatrice sonore et chercheuse, ses premiers collectages avaient donné lieu à l’édition du disque Maghreb K7 club.
Ces dernières années, il s’est attaqué à un pan musical très underground des musiques alternatives. Sur le terrain rhônalpin il découvre une scène musicale en totale autarcie qui produit dès le début des années 80 un réseau de distribution musical international complétement déconnecté du marché du disque d’alors.
Autour de points névralgiques de la région Rhône Alpes (Grenoble, Saint-Etienne, Lyon, Bourg-en-Bresse) se développe une scène musicale militante et antisystème se réclamant des mouvements artistiques aussi variés que Fluxus, du mouvement Dada ou encore du père du bruitisme Luigi Russolo, et bien sûr du punk et de la musique industrielle de Throbbing Gristle, SPK ou Cabaret Voltaire.
Par ailleurs fondateur de la web radio LYL Lyon Simon Debarbieux a consacré deux émissions et édités deux cassettes illustrant l’exposition contrebande. Vous pouvez retrouver ces émissions ici et ici.
Les points communs de cette scène musicale si particulière, qu’on peut nommer post-industrielle, s’articulent autour de moyens de communication spécifiques, des lieux d’expressions atypiques.
Des nouveaux moyens de communication
Laurent Malfois, du le label stéphanois Kronchdtat Tapes, affirmait que “la transgression n’est pas que dans la musique, mais aussi dans la manière dont on la gère”.
Le support cassette est le moyen de diffusion idéal de cette scène musicale. Economique et facilement transportable elle peut se dupliquer aisément au nombre d’exemplaire voulu. De plus l’avènement au début des années 80 de matériel d’enregistrement bon marché, notamment un appareil 4 pistes de la marque TASCAM, permet d’enregistrer la source sonore directement à la maison. C’est une véritable culture DIY de l’enregistrement qui se manifeste et les prémices du home studio.
Ces cassettes sont autoproduites ou diffusés par des micro-labels fondés à l’occasion et qui ont la particuliarité d’édité de nombreuses compilations pour solidariser les scènes éparses. On peut citer dans ces labels les plus importants : Organic Tapes à Grenoble, Kronchdtat Tapes à Saint-Etienne ou Underground Productions à Lyon.
Le label Underground Productions fondé en 1985 par Eric Chabert, sort une première compilation de 21 titres représentative de la scène bruitiste et post-industrielle française. Entre d’obscurs groupes, on retrouve quelques artistes qui auront une célébrité relative dans la musique underground (les Parisiens de Vox Populi! ou Le Syndicat, le Grenoblois Vivenza) et surtout deux titres des Los Paranos sur lesquels nous reviendrons.
Un autre outil de communication utilisé abondamment dans ces réseaux est le mail-art . A une époque où il n’existait ni ordinateur ni internet et où le téléphone coûtait encore cher, c’est le service postal qui permettait la communication entre les différents protagonistes. Bien que déjà connu par d’autres mouvements littéraires notamment, la scène post-industrielle s’empare de cet outil pour échanger les productions musicales dans un premier temps, correspondre entre structures (lettres, mailing -list) puis enfin développer un véritable nouveau champs artistiques aussi bien graphique que musical.
Tout ce qui rentre dans une enveloppe (fanzines, graphzines, flyers, invitations, correspondance…) va concourir au développement de cet art multiple.
Lieux d’expressions
Autre particularité de cette scène musicale c’est qu’elle a très peu d’ambition de se confronter à un public, du moins comme on l’entendait à l’époque. Ici point de grandes scènes, de bookeurs, de tournées millimétrées. Leur musique créée la plupart du temps dans leur chambre, dupliquée à quelques dizaines d’exemplaires, leur suffisait à exister comme artiste. Au mieux ils se produisaient dans des squats, des usines ou lieux de cultes désaffectés très loin du business des concerts mainstream.
A notre connaissance à Lyon seul le Pez Ner, salle de concert mythique à Villeurbanne entre 1996 et 2002 pouvait proposer des esthétiques si underground.
Enfin certaines radios libres ont grandement ouvert leurs antennes à ces musiques en marge. Les plus importantes SWK à Saint-Etienne et radio Bellevue à Lyon donnant les infos nécessaires pour se procurer ces fameuses K7.
Christophe Petchanatz alias Klimperei alias Los Paranos alias Deleted alias Totentanz…
Pour démêler l’ensemble des productions musicales de Christophe Petchanatz il faudrait lui consacrer un livre, un catalogue d’oeuvres avec des numérotations à la Bach, des COCP pour “Catalogue des oeuvres de Christophe Petchanatz”. Nous nous attacherons ici qu’à la “période K7” de ce compositeur stakhanoviste encore en activité.
Il s’installe à l’âge de 18 ans à Lyon à la fin des années 1970 et monte avec quelques potes un groupe de post-punk influencé par le Kraut-rock : Los Paranos (ou LOSP). Très vite seul derrière les machines il enregistre des K7 autodistribués ou soutenus par les labels sus-nommés (Organic Tapes et Underground Productions) ou R.R. Products , autre label grenoblois important.
Une vingtaine de K7 seront produites en une décennie sous cette appellation.
La compilation “Living On A Red Line 83 – 86” éditée il y a 10 ans uniquement en vinyle représente bien l’histoire du groupe.
Mais il ne s’arrête pas là. En parallèle il rencontre Françoise Lefebvre, pianiste avec qui il montera le duo Klimperei. Délaissant les instruments rock (guitare, batterie, claviers) ils proposent dès 1985 un catalogue impressionnant de courte pièces au piano préparé et une multitude d’instruments hétéroclites qu’ils vont produire une musique intemporelle à base de…jouets (!)
En effet souvent réduit au genre toy-music, les compositions du duo s’avèrent plus complexes. Ces petites pièces paraissant au premier abord innocentes et enfantines sont gorgées de mélancolie voire d’aspect ténébreux. Valses torturées, ritournelles noisy ou ballades expérimentales, le duo cache son jeu. Influencé par la grande musique européenne allant de Brian Eno à Bartok ou de Erik Satie à Kraftwerk les compositions se veulent toujours minimales en jouant avec un inconfort musical.
Depuis 2002 Christophe Petchanatz gère le projet Klimperei en solo et a sorti une pléthore d’albums en CD (une cinquantaine). Certainement l’occasion d’écrire un nouvel article pour découvrir ces riches vingt dernières années.
Mais revenons à sa période k7 qui concerne l’exposition, parce que ce n’est pas fini.. En effet l’envie de bruit et d’électrique le pousse à formé deux nouveaux groupes. D’abord l’éphémère Totentanz avec Roland Sapin (basse) et Éric Chabert du label Underground Productions (voix). Entre musique industrielle et punk extrême, Christophe Petchanatz se lâche. Deux k7 sortent en 1987 sur ce label mais on découvre petit à petit d’autres archives du groupe sur le bandcamp.
Le projet Deleted, toujours avec Françoise Lefebvre se veut plus pop. Bricolage encore, même amour du bancal, de la dissonance à tout prix : du Daniel Johnston français en quelque sorte. Là encore une vingtaine de K7 sont produites sur la période qui nous intéresse. Ces deux compilations retracent assez bien le parcours K7 du groupe.
Ce duo est aussi l’occasion de créer d’autres collaborations, notamment avec l’anglais Al Seamless.
Al & Del (pour Al Seamless et Deleted) est une collaboration à distance, Al écrivant des textes quelque part en France et Deleted composant ici. Là encore le service postal fait le lien pour unir les deux artistes. Le label italien Snowdonia a réédité en CD une partie de leurs travaux initialement sortis sur deux k7 dans les années 1990. “Poppies of Fourteen” hommage autant aux Beatles, aux Who à Brian Eno qu’à un certain…Daniel Johnston.
Pour aller plus loin :
Le site internet de Christophe Petchanatz
Le bandcamp de Klimperei
Des albums à télécharger sur archive.org
In Aeternam Vale
Au départ projet expérimental et punk, le trio In Aeternam Vale se forme en 1983 à Lyon à l’initiative de Laurent Prot et Pascal Aubert. Un trio conventionnel (guitare, basse, boite à rythme) qui va devenir très vite le projet solo de Laurent Prot. Ce dernier délaisse peu à peu les instruments classiques du rock pour s’aventurer dans l’utilisation de synthés en tout genre. Il produit alors une musique industrielle qui va évoluer vers la techno puis la trance.
Ces productions originales éditées uniquement sur format k7 sont devenues maintenant introuvables. Le fonds « Mémoire des musiques lyonnaises » n’a hélas aucune k7 de cette époque.
Voici les deux premières k7 sorties sur son propre la bel “Garde au Sol productions” en 1984.
Il serait certainement tombé dans l’oubli si le label new-yorkais Minimal Wave ne l’avait pas remis sur le devant de la scène. Minimal Wave défriche depuis 2005 les scènes synth-wave et expérimentales européennes en rééditant les plus méritants.
Quand Veronica Vasicka, fondatrice du label, contacte In Aeternam Vale à la fin des années 2000, le projet a déjà vingt ans d’existence et il a produit dans l’ombre de son studio lyonnais une trentaine de cassettes. Ayant récupéré l’une d’entre elles, elle tombe sous le charme et réédite plusieurs de ses titres.
D’abord en 2009 sous forme d’une compilation éponyme des premiers titres de IAV initialement sortis entre 1983 et 1986. On y trouve une musique minimale et sombre voire apocalyptique entre synth-wave et musique industrielle.
Ce deuxième volume intitulé DUB pour Dust Under Brightness sort en 2012 s’intéresse à des titres sortis entre 1985 et 1988. Même si il contient beaucoup de titres DIY et post punk, on sent une certaine envie de se rappocher des dancefloors.
Minimal Wave ne s’arrête pas là, considérant l’artiste lyonnais comme un de ces “french chouchous”. Quatre maxis vinyles vont être encore édités qui montre cette progression vers une techno sombre plus adaptés aux festivals qu’aux squat.
Dust Under Brightness / Highway Dark Veins (2012)
Ce single présente une version longue du titre hypnotique « Dust under brightness » datant de 1988 couplé à Highway Dark Veins (1987) un morceau plus techno qui flirte avec les productions du label britannique Warp.
La Piscine (2012)
Ce E.P. contient deux longues plages instrumentales datant de 1989 et 1990. In Aeternam Vale est entré alors dans une phase typiquement techno, froide et minimale et pourtant addictive. Ces titres pourraient être joués en club en 2023 sans qu’on s’aperçoive de leur très grand âge.
Machine à laver (2013)
Ici encore ses deux titres illustrent la modernité des productions de IAV. Produits en 1990, la face A s’oriente vers le dub electro tandis que la face B est un bijou de tek-house.
Gnd Lift (2014)
Ce quatrième E.P. présente quelques travaux différents d’IAV. La face A plage présente un titre de quatorze minutes d’une techno industrielle et sombre toute en progression, tandis que la face B propose deux titres plus anciens que l’on pourrait qualifier de synth-punk !
Depuis, Laurent Prot n’a pas cessé de produire et est même invité dans les plus grands festivals de musiques électroniques.
La plupart des oeuvres de ces deux artistes sont consultables sur Numelyo (la bibliothèque numérique de la BmL) dans l’enceinte de l’établissement.
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3 thoughts on “Klimperei et In Aeternam Vale : deux compositeurs lyonnais dans l’exposition contrebande”
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petite précision : Al est français, en fait
merci pour cet article !!!
Merci ! je corrige
Bonjour
Le concert In Aeternal Vale, Mauvais Garçons et Totentanz a eu lieu le 14 juillet 1987, dans un squat effectivement, une ancienne synagogue désaffectée dans laquelle on entrait par un trou dans le mur de la maison mitoyenne…. Avec un poele a bois en plein milieu de la salle
Dispo sur le bandcamp d’Underground Productions