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Luc FERRARI “L’oeuvre électronique” (1958-2005)

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 20/04/2024 par GLITCH

Dire de Luc Ferrari (1929-2005) qu’il était compositeur n’est certainement pas faux. Mais il était tout autant plasticien du son, ethnographe du monde audible, réalisateur de paysages sonores.. Car le musicien était d’abord un auditeur, un écoutant. Le matériau, le médium, le format importaient finalement moins que la possibilité de restituer une expérience d’écoute..

ferrari
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Faire entendre son écoute

C’est ce que vient documenter ce coffret paru en 2009, qui rassemble près de 50 ans de travaux. Par défaut, par commodité, il s’intitule L’œuvre électronique. Mais, si ces 10 CD ne contiennent aucune œuvre instrumentale, la trentaine de pièces présentées puisent à de multiples ressources sonores, des machines de studio à la rumeur du monde. Pièces « concrètes » ou électroacoustiques, field recording, théâtre radiophonique ou cinéma pour l’oreille, autant de formes et de genres que croise le travail de Luc Ferrari.

Beaucoup de ces pièces font entendre un véritable travail d’écoute active. Le musicien ne propose pas simplement un matériau enregistré, un collectage naturaliste. Mais au fil de son travail de montage, d’éclairage, de recomposition, il nous rend sensible son expérience singulière d’écoute. Car l’oreille n’est pas une cire neutre ou viennent s’imprimer les sons. L’écoute provoque aussi le souvenir, des associations d’idées, un commentaire intérieur… bref elle suggère autant qu’elle reçoit.

Certaines pièces sont ainsi des interprétations sonores du paysage audible, des re-créations. De même qu’on parle du « regard » du photographe ou de son « point de vue », on pourrait parler de « point d’écoute » ou de « point d’ouïe » au sujet des pièces de Ferrari. Et entendre ces créations comme autant d’arrangements d’un donné sonore initial, comme des commentaires d’écoute qui livrent la perception, la mémoire et l’imaginaire de leur au(di)teur.

Paysages arrangés

Presque rien 1 (1970) est un paysage et une chronologie sonore d’un village en bord de mer. L’oeuvre concentre en 20 min. plusieurs heures d’enregistrement. Mais elle semble se dérouler d’un seul tenant dans une parfaite continuité, par le travail du montage sonore. Un séquençage “invisible”, des plans qui se succèdent ou cohabitent, quelques répétitions, et la richesse, la densité des ces 20 min. qui laissent deviner la “dramaturgie” d’une journée qui s’égrène, et les ciseaux invisibles du monteur.

Presque rien 2 (1977) est le tracé d’une promenade nocturne. La pièce installe progressivement  glissement, tuilage et brouillage entre le relevé sonore et la « musique intérieure » du marcheur..

La série des 3 Far West news (1999) opère comme une “musicalisation” de fragments sonores d’un voyage au sud des USA. Far West n’est pas un simple road-trip audio, mais une vraie (re)composition qui traduit la perspective du voyageur. Le goût de Ferrari pour les langues se traduit par un focus sur les voix, les idiomes et les accents rencontrés. La fatigue, la chaleur semblent déformer certains plans sonores, tandis que d’autres sont amplifiés, surlignés par des sons ajoutés. Sa voix ponctue le parcours, et c’est finalement l’ouïr du voyageur qu’on entend.

Cinéma pour l’oreille

A côté de ces « filtrages interprétatifs » de paysages / séquences sonores, Ferrari compose des pièces mixtes, à partir de matériaux collectés.

Les oeuvres des débuts s’apparentent à la musique concrète. Ce sont d’abord des études de studio, assez typiques des premiers travaux made in GRM. Puis viennent des suites de tableaux composites, abstraits mais denses, très évocateurs, comme Hétérozygote.

L’escalier des aveugles est un “recueil de nouvelles sonores. Chaque nouvelle est construite sur un petit événement : un son, une atmosphère, un mot anodin.” Une suite de “miniatures dynamiques” faites de passages et de frottements entre “le musical, le bruitiste, le réaliste, le synthétique et enfin l’espagnol et le français.”

Les arythmiques (2005) est son oeuvre ultime, et peut-être la plus émouvante. Le musicien confronte les sons et les impressions de ses séances de stimulation cardiaque avec ses enregistrements de voyages.
Dans une sorte de songe éveillé, on entend les secousses et sinusoïdes électriques destinées à traiter le coeur malade, et en surimpression les souvenirs du dehors, les sons du passé. La pièce est d’une densité minimaliste, hyper-attentive. L’oreille du patient se déploie vers le vaste extérieur et les longues couches sonores du passé, alors que le présent se contracte dans les rafales/ impulsions d’électrodes. Parfois le signal électrique crève brusquement la trame acoustique du rêve, comme un réveil en sursaut, puis le voyage reprend.

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