Genre musical

Prélude

- temps de lecture approximatif de 12 minutes 12 min - Modifié le 27/04/2024 par Civodul

Le prélude, comme son nom l’indique, est une pièce instrumentale censée précéder une autre œuvre, lui servir d’introduction. Ce qui était vrai à l’origine mais a perdu cette singularité systématique avec le temps. Sa forme n’est pas clairement définie, en matière de caractère ou de tempo. Il ne dure généralement que quelques minutes, permettant au compositeur d'explorer la matière musicale et expérimenter au clavier - un peu comme le quatuor pour les cordes. De ce laboratoire miniature germent des expressions multiples. Depuis ses débuts et jusqu'à nos jours le prélude n'a cessé d'inspirer les compositeurs. Mais alors dans cette catégorie un peu fourre-tout, que trouve-t-on au juste ? Ce bref aperçu se limitera à la musique pour claviers.

CC BY-SA Joe Lewis
CC BY-SA Joe Lewis CC BY-SA Joe Lewis

 

 

Les origines

Dès la chanson polyphonique du xve siècle, le prélude se rattache toujours étroitement à l’élément vocal qu’il précède, les instruments jouent prélude, interlude et postlude.

A l’origine le prélude est essentiellement une pièce fonctionnelle qui permet de se préparer à jouer.

  • Soit en vérifiant l’accord de l’instrument. Ainsi l’intonazione désigne aux xvie – xviie siècles dans la musique italienne, le bref prélude chargé de donner aux chanteurs ou à l’assemblée le ton de la pièce vocale qui la suit. De même le tastar de corde du luthiste qui  n’est pas une pièce à proprement parler mais un ensemble de notes exécutées par le musicien pour accorder son instrument. On est donc proche d’une musique d’improvisation, un peu codifiée par sa fonction. Cette séquence est primordiale pour les instruments qui se désaccordent très vite, tels le luth :
  • Soit en essayant un instrument, dont l’accord est certain, sur lequel on va jouer, pour les clavecinistes et les organistes. Cette courte improvisation a également pour fonction l’échauffement des doigts. Le tastar suivi d’un ricercare représente les prémices du prélude et fugue. Les premières tablatures d’orgue d’Adam LLeborgh contiennent cinq préludes, brefs, mais d’une extraordinaire liberté et invention, « héritage probable d’une tradition ancienne ».

Une genre libre

Du fait de sa proximité avec l’improvisation le prélude est dans les premiers temps d’un style assez libre,  au point de s’affranchir souvent des notations de mesure. Cela peut se comprendre pour une courte pièce préliminaire, destinée surtout à se mettre en doigts. Ainsi le prélude introductif aux pièces de clavecin de Rameau ne présente aucune barre de mesure. Les valeurs de notes disparates (la « ronde » n’équivaut pas à 4 temps) invitent à une expression personnelle fluide, surtout si l’on y ajoute ses propres ornements en plus de ceux notés.

(Un autre, facétieux, bien plus tard, aura lui aussi le prélude non mesuré et le mot pour rire. Mais c’est une autre histoire.)

Dans son Dictionnaire de musique, à l’article « préluder », Jean-Jacques Rousseau souligne l’importance de cet acte musical :

« C’est surtout en préludant que les grands musiciens, exempts de cet extrême asservissement aux règles que l’œil des critiques leur impose sur le papier, font briller ces traditions savantes qui ravissent les auditeurs. C’est là qu’il ne suffit pas d’être bon compositeur ni de bien posséder son clavier, ni d’avoir la main bonne et bien exercée, mais qu’il faut encore abonder de ce feu de génie et de cet esprit inventif qui fait trouver et traiter sur le champ les sujets les plus favorables à l’harmonie et les plus flatteurs à l’oreille. »

Jean-Jacques Rousseau – Dictionnaire de musique, Londres, 1756, p. 377.

La période baroque

Pendant la période baroque le prélude précède souvent la fugue ou une suite de danses. La référence en la matière demeure le clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach. Chacun des deux livres qui le constituent propose un prélude et une fugue dans chacun des 12 demi-tons de la gamme chromatique, soit 24 préludes et 24 fugues pour chacun des deux livres. L’objectif est à la fois musical, théorique et didactique. Chaque livre débute par la tonalité de do majeur, se poursuit par celle de do mineur, suivie de do# majeur, etc., jusqu’à avoir parcouru toute la gamme chromatique des 24 modes majeurs et mineurs. Soit le prélude constitue une introduction, soit il présente un caractère volontairement contrasté à la fugue qu’il introduit.

La vingtaine de petits préludes est bien connue des élèves de clavier. Ces préludes ont été composés à différentes époques et sont extraits de divers recueils. Leur (relative) simplicité, leur valeur pédagogique : certains, tels BWV 933 à 938 sont explicitement présentés comme « à l’usage des commençants », ainsi que leur beauté, leur confèrent une valeur particulière. Voici l’un des plus connus, BWV 999 (à l’origine écrit pour luth) à la guitare, puis au piano :  

Durant la période classique le prélude se fait discret, la préférence des compositeurs allant plutôt vers des formes plus developées telles que la sonate. On continue cependant, marginalement, à préluder avec élégance.

La période romantique

Genre romantique par excellence, le prélude va s’épanouir durant cette période. Sa forme brève permet au compositeur de donner libre cours à son expressivité. Encore lié à ses fonctions, apprendre à improviser et moduler dans toutes les tonalités, il tend cependant à s’affranchir de ce cadre pour accéder au statut d’oeuvre autonome. Du coup, alors même que le prélude sera devenu un genre à part entière le principe des 24 préludes (dans toutes les tonalités ou pas) demeurera vivace jusqu’à nos jours.

  • Alors, influencé par John Field, vient Chopin, dont on connait les célébrissimes préludes. Le numéro 15 de l’opus 28, dit “de la goutte d’eau” aurait été – parait-il – ainsi baptisé par George Sand.
  • Même si le piano se taille la part du lion, on compose également pour d’autres claviers :

 

La fin du XIXe et le XXème siècle

 Le genre devenu totalement autonome a acquis ses lettres de noblesse. La période est particulièrement riche en préludes, de tous styles. La liberté de la forme incite les compositeurs à adopter les caractères les plus variés, du plus méditatif au plus fougueux, au plus passionné :

  • Cette belle pièce d’Alexandre Scriabine (1871-1915) présente la particularité d’être écrite pour la main gauche seule :
  • En hommage aux 24 préludes de Chopin, Claude Debussy compose entre 1909 et 1913 ses deux livres de préludes. Bien que les titres, précis et poétiques, laissent supposer une musique à programme, les préludes sont plutôt considérés comme une invitation au voyage et à la rêverie et représentent un sommet de la musique impressionniste.
  • Les Préludes sont un cycle de neuf pièces pour piano de Gabriel Fauré composées en 1909-1910. Le compositeur confia : « dans la musique pour le piano, il n’y a pas à user de remplissages, il faut payer comptant, et que ce soit tout le temps intéressant ».
  • Répondant à une commande du Conservatoire de Paris, Maurice Ravel compose en 1913 ce court prélude comme pièce de lecture à vue pour un concours de piano. Du Ravel pur jus.

 

  • Les Préludes, op. 36 de Louis Vierne (1870-1937) forment un ensemble de douze pièces brèves pour piano. Vierne qui était organiste et fut titulaire du grand orgue de la Cathédrale de Paris a également composé des préludes pour orgue.
  • Datant de 1926, les trois préludes de George Gershwin (1898-1937) illustrent magnifiquement la musique américaine du début du XXème siècle, fortement influencée par le jazz.
  • Le compositeur français d’origine russe Ivan Wyschnegradsky publie en 1932 le Manuel d’harmonie à quarts de ton. Il compose en 1934 les 24 préludes dans tous les tons de l’échelle chromatique diatonique à treize sons. L’oeuvre est destinée à 2 pianos, dont un est accordé à 440 hz et l’autre 1/4 de ton plus bas. Le compositeur a d’ailleurs commandé, dès 1927, un piano à 1/4 de tons doté d’un double clavier chez le fabricant de pianos allemand Foerster. On se plait à imaginer ce que Bach eût pensé d’une telle innovation.
  • Les Préludes, op. 38 de Dmitri Kabalevski sont un ensemble de 24 pièces de piano sur le modèle des préludes de Chopin. Chacun des préludes est basé sur un chant populaire et chacun est écrit dans une tonalité différente en suivant le cycle des quintes, chaque tonalité majeure étant suivie de sa relative mineure. Ils ont été composés dans les années 1943-1944 et sont dédiés à Nikolaï Miaskovski, son professeur.
  • Emblématiques de la musique écrite dans les 24 tonalités et hommage à Bach les préludes et fugues de Dmitri Chostakovitch parcourent les 24 tonalités dans l’ordre des quintes, en alternant tonalités majeures et mineures, ils datent de 1950-51.
  • Les 24 Préludes de York Bowen, le “Rachmaninov anglais” sont certes moins célèbres que ceux de Chopin mais les mélomanes point rétifs à ce post-romantisme tardif y voient une oeuvre majeure du XXème siècle.
  • Toujours venant de l’est, voici les préludes du compositeur arménien Haro Stepanian (1897-1966), au charme modal et nostalgique.
  • A l’orée du XXIème siècle le genre a encore de beaux jours devant lui …

Pour les curieux ayant envie d’explorer le répertoire, voici une partition empruntable dans nos collections :

Piano preludes [Partition] : 63 preludes by 16 composers from the baroque to the 20th century / Isaac Albéniz, Charles Valentin Alkan, Johann Sebastian Bach … [et al.] : pour piano solo

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