Girls wanna have sound

À la rencontre de Marie Rudeaux

Une figure historique mais toujours aussi engagée de la radio à Lyon

- temps de lecture approximatif de 5 minutes 5 min - Modifié le 24/09/2021 par Luke Warm

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

Marie Rudeaux
Marie Rudeaux

Marie Rudeaux est directrice de Sol FM basée à Oullins. Impliquée dès la création de la radio en 1982, au début des radios libres, elle défend depuis une démarche indépendante et militante au service des musiques rock alternatives et de l’émergence. Reconnue par un large public qui rayonne au-delà du seul territoire lyonnais et près de 40 ans après sa naissance, Sol FM reste un radio aventureuse, curieuse, passionnée qui contribue largement à la vitalité de la scène rock locale.

 

Quel est votre parcours ? Comment vous a-t-il menée jusqu’au métier que vous exercez aujourd’hui ?

J’ai suivi une formation classique (lycée, université…). J’ai commencé la radio au lycée, je n’ai jamais arrêté… Le hasard…

 

Pourriez-vous décrire votre métier ?

Je suis directrice d’un média indé, de petite taille : 4 salariés, 42 bénévoles. Du coup, la fonction est diverse : gestion de la grille des programmes, choix de programmation, lien avec les partenaires, animation des bénévoles, formation, administration de l’association. C’est la partie administrative qui a été la plus difficile pour moi. Le fonctionnement a toujours été très peu hiérarchisé. Le fonctionnement est collégial et convivial.

 

Quelles sont les figures féminines qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ?

Quelques grandes personnalités féminines m’ont marquée : Beauvoir et Elisabeth Badinter en particulier mais aussi Olympe de Gouges, Gisèle Halimi. Pas de grandes journalistes, je ne me suis jamais sentie proche de ce milieu.

Mais je ne me suis jamais identifiée à de grandes figures féminines ou masculines. Je n’ai jamais pensé “modèle” de construction, sûrement parce que je n’ai jamais eu d’ambition mais de vraies convictions politiques, sociales et culturelles. En musique, j’ai été bercée par Marianne Faithfull, Patti Smith, Pat Bénatar, Pretenders, et même Blondie.

En tant que femme, avez-vous parfois éprouvé des difficultés pour faire votre place dans le milieu de la radio ?

En interne, je me suis toujours sentie protégée. Aucune pression. En représentation pour la radio, dans les réunions, lorsque j’étais jeune, j’étais souvent la seule fille à être directrice de ma structure. J’ai toujours affirmé être directrice d’une radio de punks à roulettes. Pas de frime et pas de misérabilisme. La culture rock a toujours été pour moi une évidence, le fondement de mon activité. Personne n’a jamais remis ça en cause. J’ai toujours argumenté et défendu fermement mes choix. Je n’ai jamais renoncé. J’ai toujours assumé payer le choix de l’indépendance. Ce milieu était un milieu “militant”, c’est à dire sûrement “protégé”. J’ai toujours travaillé en binôme. Je ne sais pas si les choses auraient été différentes si j’avais été seule.

En terme de radio, aucun groupe ne m’a jamais agressée en interview même si certains d’entre eux devaient se demander si une blonde pouvait comprendre leur musique. Ça s’est toujours bien passé. Par ailleurs, en radio, contrairement à la presse écrite, il n’y a jamais de huis clos. Un-e réalisateur-rice est toujours présent-e. De plus, j’ai toujours gardé une distance avec mes invités, je n’ai jamais cherché à instaurer une ambiance amicale. Mais plutôt une ambiance assez concentrée pour marquer qu’il s’agissait d’un entretien professionnel et pas d’une conversation entre potes. La distanciation, la base de mon fonctionnement.

Les seuls moments où j’ai été mal à l’aise, c’est lorsque j’ai travaillé dans un journal quotidien national. Ambition et rapports hommes-femmes malsains faisaient un cocktail que je n’ai jamais pu avaler.

Danko Jones a été le seul artiste à manifester sa mauvaise humeur à être interviewé par une femme.

 

émission Day Off

Est-ce un milieu dans lequel les femmes sont bien représentées, à tous les niveaux de responsabilité ?

Aujourd’hui il y a beaucoup de femmes à tous les niveaux de responsabilité même si dans les radios indé, on préfère parler de “coordinatrices antenne”. Misogynie qui empêche de reconnaitre la fonction réelle des femmes ou volonté d’être raccord avec les conventions collectives ? Les domaines techniques demeurent très masculins.

 

Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. Quel est votre regard sur cette actualité ? Que pensez-vous des initiatives comme D I V A, Paye Ta Note ou Change de disque ?

Oui, bien sûr, il est important que la parole se libère mais il faut aussi que les femmes prennent leur place sans rien attendre ni rien demander.

 

 

Vous êtes responsable d’antenne de Sol FM. Est-ce que la question de la représentativité des femmes est prise en compte dans la programmation et/ou dans l’animation des émissions ? Avez-vous ou souhaitez-vous à l’avenir proposer des actions dans ce sens ?

Oui, il y a des artistes femmes. Et pas seulement des bassistes dans les groupes de métal. Mais je ne suis pas prête à programmer une artiste parce que c’est une femme. Encore aujourd’hui, beaucoup trop choisissent la voie de la chanson plutôt que celle du hardcore… Ça me désole. Ceci dit, oui, comme pour les artistes régionaux, nous apportons une attention toute particulière à la diversité des créateurs. Pas assez de femmes dans les musiques actuelles mais pas assez non plus d’artistes “issus de l’immigration”. Plusieurs radios indé travaillent à mettre en place des “quotas” de femmes. Nous n’avons encore rien tranché à Sol FM. Le rock, culture populaire et engagée, reste encore le fait d’un public “privilégié” issu d’un milieu culturel favorisé.

En ce qui concerne les animateurs, oui, je privilégie les femmes lors de l’embauche. Pour les bénévoles, ce qui me désole, c’est que les femmes bénévoles jettent souvent l’éponge lorsqu’elles ont un enfant ou lorsque leurs carrières démarrent… Comme si, pour les filles, le rock était une folie de jeunesse alors que pour les hommes, c’est leur culture. Pour une femme, faire toute sa carrière dans ce milieu demeure l’exception.

Ce qui me frappe aujourd’hui encore, c’est que les femmes ont gagné leur place dans les syndicats, les fédérations régionales et nationales ; elles ont la parole politique mais trop peu sont de vraies éditorialistes. Elles n’ont pas encore le rôle de prescriptrices culturelles.

 

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans une carrière musicale ?

Vas-y !

 

⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici

Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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