Girls wanna have sound
À la rencontre de Héloïse Jacquemond
Disquaire et bien plus encore
Publié le 05/11/2021 à 09:00
- 8 min -
Modifié le 03/11/2021
par
Luke Warm
Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.
Après une formation dans le graphisme et la communication et différentes expériences dans le monde de la musique, Héloïse Jacquemond rejoint l’équipe du disquaire Tiki Vinyl il y a maintenant deux ans et demi, intégrant un milieu où les femmes sont plutôt rares.
Quel est votre parcours ? Comment vous a-t-il menée à être aujourd’hui disquaire ? Pouvez-vous décrire votre travail ?
J’ai commencé mes études supérieures avec un BTS en graphisme, j’ai toujours été attirée par le milieu créatif en général et principalement par tout ce qui est de l’ordre du visuel. Après cette formation, j’ai réalisé plusieurs stages pour découvrir diverses manières de travailler et pratiquer mon métier dans des secteurs variés. Mais ce que je voulais le plus c’était de créer des visuels pour des projets culturels. C’est donc pendant ces stages que j’ai fait mes premiers pas au Tiki Vinyl Store.
J’ai ensuite repris mes études pour une formation en communication afin d’élargir mes domaines de compétences. Le temps de cette formation j’ai continué à aider la boutique de vinyles avec quelques visuels par-ci par-là. Une fois mon diplôme en poche, j’en ai profité pour voyager un peu et développer mon anglais. J’ai donc passé un peu plus d’un mois dans le label de musique écossais, Scotch Bonnet Records.
J’étais à l’époque déjà proche du vinyle, je réalisais des macarons de disques pour un label lyonnais, plusieurs personnes de mon entourage sont des collectionneurs.
De retour de mon voyage, je continuais mes prestations ponctuelles pour le Tiki et les besoins du shop étaient de plus en plus importants. J’ai donc suggéré qu’il m’emploie pour que je puisse m’occuper de tout cela de manière régulière, et c’est comme ça que j’ai trouvé ma place au Tiki.
Au départ mes missions concernaient uniquement l’aspect communication et les créations visuelles pour la boutique. Puis petit à petit d’autres missions m’ont été confiées. Aujourd’hui en plus de la communication, je m’occupe de l’évènementiel, je contacte les labels/artistes pour organiser des showcases ou séances de dédicaces. Je m’occupe aussi des rentrées de stock, je prépare les commandes clients, je les préviens à la réception, je tiens régulièrement la boutique et m’occupe de la vente.
J’alimente les réseaux sociaux, je mets en scène les vinyles, je les prends en photos et les mets en avant sur Facebook ou Instagram. Je crée des visuels pour nos accessoires, supports de merchandising, mais aussi pour mettre en avant nos sélections « Coup de Cœur », « Artiste d’avenir », « Indispensables » …
On travaille aussi ensemble sur des projets de digitalisation. Enfin tout un tas de mission bien variées. C’est aussi ça de travailler dans un commerce indépendant.
Quelles sont les figures féminines qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Au contraire, y a-t-il des figures qui vous ont manqué dans cette identification ?
J’ai grandi dans une famille nombreuse : 5 frères et une sœur. Ce sont donc ma mère et ma sœur qui ont été les figures féminines les plus présentes dans mon quotidien.
Quand j’étais enfant ma mère n’était pas des plus « conforme » par rapport aux standards de féminité, mais elle répondait tout à fait au modèle social de l’époque tout en ayant toujours eu un discours très féministe. Elle n’était pas du genre à se maquiller ou à perdre beaucoup de temps à choisir une tenue. Elle faisait dans l’efficacité et l’utilité. Il faut dire qu’elle n’avait pas trop le temps pour ça avec le nombre d’enfants qu’elle avait à charge.
C’était une mère au foyer, qui s’occupait de l’éducation de ses enfants, de les emmener à l’école, aux activités extra-scolaires, c’est elle qui s’occupait du ménage, de faire à manger. Mais elle nous a appris très vite à tous, autant garçons que filles, à participer aux tâches de la vie quotidienne.
Ma sœur, elle, tirait une grande partie de ses influences de nos grands frères.
Concernant mes influences culturelles j’étais de ces enfants biberonnés aux films Disney, une grande fan de princesses comme beaucoup de petites filles de mon époque. Je découvrais dans ces univers tout ce que je n’avais pas l’habitude de voir dans mon cercle familial.
À mon avis toutes ces influences m’ont permis d’avoir un regard assez critique sur le modèle féminin et de me faire une idée de ce que je voulais ou au contraire de ce que je ne voulais pas.
Mais plus jeune je pense qu’une artiste telle qu’Angèle, et son discours engagé, aurait pu être une source d’inspiration et d’influence pour moi.

Logo Tiki Vinyl Store par Héloïse Jacquemond
Le milieu des disquaires est un milieu très masculin, est-ce que le fait d’être une femme, jeune de surcroît, a pu être un obstacle pour vous faire votre place ? Avez-vous eu à subir des remarques ou attitudes sexistes de la part d’interlocuteurs (collègues, labels, distributeurs,…) ou de clients ?
Je ne pense pas que le fait d’être une femme ait été un obstacle pour obtenir mon poste actuel, cependant je dirais que mon jeune âge l’a été. À 21 ans je me retrouvais déjà à rechercher du travail. Il aura fallu laisser passer les années et trouver le moyen de me faire de nouvelles expériences entre temps pour solidifier mon CV et réussir à obtenir une place quelque part. Mais en y réfléchissant être une femme et être jeune m’ont sûrement amenée à devoir justifier bien plus de mes capacités et de mon expérience pour pouvoir être crédible que si j’avais été un homme, je pense.
En effet, je me suis retrouvée plusieurs fois face à des remarques sexistes. Il y a eu des commentaires à répétition sur mon physique, mes vêtements, des blagues misogynes, des remarques déplacées. Des choses qui mettent mal à l’aise, là où peu d’hommes ont à vivre cela, à mon avis.
Il y a eu des périodes assez compliquées pour moi, mais j’ai un caractère assez fort et dans ces moments-là je ne suis pas du genre à me laisser faire. Je privilégie la discussion quand cela est possible. Plusieurs fois j’ai eu à faire de la pédagogie.
Une phrase que j’ai entendue souvent c’est « on ne peut plus rien dire ». Alors à chaque fois j’explique que ce n’est pas vraiment ça le problème, c’est plutôt qu’il s’agit de savoir juger avec qui et dans quel contexte on peut dire certaines choses. L’humour n’est pas interdit bien évidemment. Mais il faut savoir le doser et se poser parfois la question de ce qui différencie l’humour d’une réflexion déplacée ou misogyne.
Je pense que je peux compter sur les doigts d’une seule main le nombre de fois où le ton a dû vraiment monter. Avec le temps je vois des améliorations, mais c’est un travail de longue haleine, il faut expliquer, se répéter, souvent, et parfois on perd patience, c’est vrai. Mais on est dans une période de transition, du moins je l’espère, et avec le temps les mentalités évolueront.
La discussion est ma manière de contribuer à cette transition à mon échelle. C’est un « combat » quotidien. Et dans le milieu du vinyle il y a autant de professionnels masculins que de clients masculins. Mais petit à petit on voit de plus en plus de femmes entrer dans cet univers et ça c’est une bonne chose.
Dans les autres milieux musicaux, nous avons pu constater grâce à nos interviews que les femmes se mettaient en réseau pour s’épauler, et qu’une forme de sororité existait dans ces métiers. Est-ce que c’est une dimension qui existe dans votre spécialité ?
Alors dans le milieu des disquaires je ne crois pas, en tout cas pas à ma connaissance.
Mais comme vous l’avez dit il y a peu de femmes disquaires. Mais ça pourrait bien changer dans les années à venir.
Personnellement je ne me suis rapprochée d’aucune association ou autre structure officielle, mais je remarque qu’avec mon entourage professionnel et personnel, on a tendance à pouvoir en parler ensemble plus facilement entre femmes et bien sûr à s’épauler. C’est important. On se sent moins seule et ça fait beaucoup de bien. On se soutient, on se redonne confiance mutuellement.
Parce que c’est aussi un des effets des comportements sexistes que de faire douter les femmes, qu’elles se remettent en question en permanence et qu’elles viennent à douter d’elles-mêmes. Alors on a besoin de pouvoir compter les unes sur les autres.

Tiki Vinyl Store par Héloïse Jacquemond
Le milieu du disque valorise à la fois des figures féminines fortes et au succès important (Beyoncé, Angèle, Billie Eilish, Dua Lipa,…) mais les artistes féminines ne représentent qu’une minorité des disques édités. Quel est votre point de vue sur cette situation et à votre échelle est-ce que vous avez proposé ou souhaitez proposer à l’avenir des actions pour valoriser les projets d’artistes femmes ?
Bien sûr que les femmes sont sous-représentées et ce dans la majorité des secteurs.
A mon sens la vraie question c’est pourquoi il y a plus d’hommes artistes/musiciens connus que de femmes ?
On a fait des femmes des objets de sexualisation. Elles ont été réduites à de simples images et souffrent d’un manque de crédibilité pour pouvoir être représentées comme les égales du genre masculin. Mais cela aussi évolue. Aujourd’hui elles représentent de plus en plus leur personnalité, des valeurs, des convictions.
Je pense que pour continuer dans ce sens, dans la chaîne de l’industrie musicale, c’est en amont de l’étape de l’édition que le travail le plus important est à faire. L’édition du disque est une des dernières étapes de cette chaîne et si la valorisation des artistes féminines était réalisée équitablement entre hommes et femmes dès le départ on se rendrait compte qu’il y a tout autant d’artistes féminines de qualité que d’artistes masculins.
Il pourrait être intéressant de réaliser un évènement du type Disquaire Day consacré aux artistes féminines.
De notre côté à la boutique nous avons autant de coups de cœur sur des groupes féminins, mixtes ou masculins. L’important pour nous c’est la qualité. Nous faisons en sorte de mettre en avant les groupes locaux ou internationaux, quel que soit leur genre.
Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. Quel est votre regard sur cette actualité ? Que pensez-vous des initiatives comme D I V A, Paye Ta Note ou Change de disque ? Avez-vous eu à subir vous-même des attitudes déplacées ou des pressions à vous conformer à un modèle féminin ?
Je trouve que c’est une bonne chose que la parole se libère. La vague meetoo a réveillé les esprits, bousculé les mentalités. Ce qui en ressort est bénéfique car il y a beaucoup de milieux qui même longtemps après se mettent à parler. Que ce soit dans la musique, le sport, le cinéma, ou bien le quotidien.
Comme je te le disais j’ai déjà eu à faire à des attitudes déplacées. En tant que femme je suis soumise quotidiennement à la pression de correspondre à un modèle féminin, comme toute femme. Mais je travaille dans une boutique indépendante où j’ai la liberté d’être qui je suis et qui je veux être mais pour autant j’ai subi des comportements qui objectifiaient ou qui invisibilisaient ma personne en tant que femme aux yeux de certains clients.
Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans une carrière de disquaire ?
La première chose que je lui dirais c’est « fais-le !».
Ensuite, je lui rappellerai qu’il faut être consciente qu’à un moment ou à un autre, elle sera confrontée à des situations d’inégalité, que ce soit auprès des clients, ou des professionnels. Il est important pour cela de savoir trouver dans son entourage professionnel comme personnel, des personnes qui sauront te soutenir et t’accompagner. Il faudra aussi peut-être faire bien plus d’efforts que si tu étais un homme pour faire ta place. Mais il ne faut surtout pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de personnes bienveillantes dans ce milieu comme dans les autres.
Enfin, bienvenue à toi !
⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici
Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.
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