A redécouvrir
Morton FELDMAN : For Samuel Beckett (2006)
Publié le 10/03/2014 à 17:43 - 1 min - Modifié le 27/01/2024 par GLITCH
L'œuvre du compositeur américain Morton Feldman (1926-1987) peut se rattacher aux tentatives qu'a connues le XXè siècle pour s'arracher à l'emprise des grammairiens de la musique, qui à partir de Schönberg et depuis l'Europe donnent le ton de la modernité après-guerre.
Comme ses compères musiciens John Cage ou Earle Brown, et leurs camarades plasticiens (Rothko, Rauschenberg, Pollock…), Feldman abandonne la musique conçue comme une science de l’écriture. Son travail se concentre plutôt sur le matériau et l’expérience d’écoute, dans une quasi-mystique du son et autour d’un langage minimaliste.
Pourtant, le travail de Feldman sonne bien éloigné des formules accrocheuses des boucles. On est loin du phasing et du drone qui feront la célébrité du minimalisme américain. Inexorablement inquiet, presque obscur, son art le rapproche bien plus de Scelsi ou Varèse que de Reich ou La Monte Young.
For Samuel Beckett, pour 23 instruments, fonctionne comme un grand accord fragmenté qui se décompose et se recompose, lentement et sans cesse, sans que l’on puisse identifier un état originel ou une fin quelconque.
Mécanique sans but, impassible et désajustée, chaque groupe d’instruments répète ad libitum le même accord… Mais avec de petites irrégularités, des micro-variations qui insensiblement altèrent la couleur de ce kaléïdoscope liquide, reptilien.
Les sons se suivent et se chevauchent, empiètent, s’éloignent et se rapprochent dans un ample mouvement. Ils font comme un espace qui se contracterait et s’étirerait en même temps. La répétition et la durée donnent à cette pièce une puissance hypnotique, et un parfum d’angoisse. On imagine de vastes pistons cosmiques qui actionneraient de toute éternité la même note sans savoir pourquoi… Avec une obstination lasse, sans jamais s’accorder, frottés par cette houle qui les recale et décale dans une dérive interminable.
Il n’y aura pas d’accord commun à tout l’orchestre, ni d’organisation polyphonique de l’ensemble. Juste des sons isolés dont la communauté est accidentelle. Comme une combinatoire étale dépourvue de la moindre intention, comme un canon indéfiniment manqué.
La métaphore file naturellement avec les thèmes et tonalités qui hantent l’oeuvre de Beckett. L’absurde, l’angoisse, la vacuité, mais aussi la beauté effrayante, sidérale, de cette mécanique sans horloger.
Du 5 mars au 13 avril, la Biennale Musiques en Scène propose Listen profoundly, à voir au Musée d’Art Contemporain : installations et planches extraites du Anecdotes and drawings de Morton Feldman.
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