Girls wanna have sound

À la rencontre de Jenny Demaret

Violoniste, nyckelharpiste et pédagogue

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 29/09/2021 par Agnès

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

Crédit P-J Muet
Crédit P-J Muet

Violoniste et nyckelharpiste, Jenny Demaret est spécialisée dans les musiques scandinaves, le bal folk et les musiques traditionnelles celtiques. Elle se produit en concert avec plusieurs formations : le duo Merline (avec le percussionniste Jérôme Salomon), le duo Varsagod (avec l’accordéoniste Elisabet Brouillard) et le trio Merline (avec la violoncelliste et nyckelharpiste Elodie Poirier et le percussionniste Jérôme Salomon).
Elle est également pédagogue. Elle enseigne le violon, la musique traditionnelle, le nyckelharpa et l’éveil musical dans une école associative depuis 2018 à Saint-Germain au Mont d’Or.

Quel est votre parcours, comment vous a-t-il menée jusqu’au métier que vous exercez aujourd’hui ? Comment êtes-vous entrée dans le milieu musical (choix des parents ? choix personnel ?), avez-vous fait des études musicales ?

J’ai commencé la musique assez tard. J’avais fait quelques années de piano lorsque j’étais à l’école primaire. Et puis j’ai arrêté, et j’ai commencé le violon à 18 ans, par choix personnel. J’allais danser dans les bals et ateliers folks de ma région et je voulais jouer cette musique qui faisait danser le public. J’ai appris le violon traditionnel lors de stages, principalement en transmission orale. Je souhaitais au départ en faire une pratique amateure. J’étais étudiante à l’université en littérature et civilisation slaves et ça me passionnait, je me destinais plutôt à être enseignante-chercheuse. Mais en 2007, je suis littéralement tombée amoureuse de la musique suédoise. Tout est allé très vite, j’ai commencé le nyckelharpa et je suis partie vivre en Suède pour apprendre à jouer cette musique au violon et au nyckelharpa.

C’était la première fois que je faisais une formation intensive en musique et que j’avais une relation quotidienne avec mes instruments. Plus tard, je me suis intéressée aux musiques des violoneux du Limousin et d’Auvergne et j’ai fait un DEM de musique traditionnelle au conservatoire de Limoges. L’enseignement m’intéressait depuis longtemps, j’ai alors passé le DE de musique traditionnelle au cefedem de Lyon en 2019. Et en ce moment je continue à approfondir d’autres cultures musicales dans le cadre du master en ethnomusicologie de Genève-Neuchâtel.

Finalement je suis toujours plus ou moins en formation musicale… donc je n’ai pas attendu de finir des études pour être musicienne et enseignante. Je suis intermittente du spectacle depuis 2012 et j’enseigne régulièrement depuis 2010. Les bals, les concerts, les stages, les festivals, les formations… tout cela crée un réseau et permet effectivement d’entrer dans certains milieux musicaux, même si l’on n’est pas très investi dans la communication par exemple.

Vous jouez du nyckelharpa et du violon dans plusieurs formations. Vous êtes par ailleurs pédagogue dans une association. Pouvez-vous décrire vos métiers ?

Ce sont des métiers très diversifiés en réalité. Jouer en concert, jouer pour un atelier de danse et jouer pour un bal est très différent. De même donner cours à un groupe d’adultes en transmission orale et donner cours à des enfants débutants est très différent, donner cours au sein d’une association de musique traditionnelle ou au sein d’un conservatoire également. Et bien sûr il y a les coulisses des métiers : travailler son instrument, ses arrangements, et tout ce qui est de l’ordre de la représentation en public, préparer les cours, communiquer, organiser, écrire des projets, fédérer des équipes, et j’oublie plein de petites et grandes missions qui relèvent du métier de musicien-enseignant.

C’est difficile à décrire dans le sens où personnellement, je n’ai jamais réussi à mettre en place des formes de routines. Je fonctionne par phase en fonction des projets, que ce soit en tant que musicienne comme en tant qu’enseignante. Lors de la préparation d’un nouveau programme de concert par exemple, vont se succéder différentes phases qui constituent la création : le choix du répertoire, parfois la composition, la mise en place des arrangements, des répétitions régulières. Une fois que la création est faite, c’est une autre phase à laquelle il faut se consacrer : le jeu en live bien sûr, mais aussi le démarchage, la communication (je précise que ce sont des choses que je faisais il y a plusieurs années, mais maintenant je laisse faire), et puis la consolidation de la création. Dans l’enseignement c’est pareil, il y a des phases de mise en confiance, de transmission de technique et de répertoire, d’orchestration d’ensemble, de préparation de concert, de partage en live, selon les projets.

Quelles sont les figures qui vous ont marquée dans votre parcours ? Celles auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Au contraire, y a-t-il des figures qui vous ont manqué dans cette identification ?

Depuis que je me suis intéressée à la musique suédoise, il y a une quantité incroyable de musiciens et de musiciennes qui m’ont bouleversée. Je ne sais pas si j’ai vécu un processus d’identification avec chacun, mais ce sont des figures que j’ai admirées, qui m’ont remplie d’émotion, des musicien-nes que j’ai plaisir à voir et à entendre, que je trouve très inspirants et qui me remotivent dans ma pratique. Je ne pourrais pas les citer tous, mais il s’agit d’une multitude de personnes que j’ai fréquentées lors de stages, formations, rencontres et festivals de musique traditionnelle, en particulier en Suède. En tous cas, comme je suis arrivée assez tardivement dans le monde de la musique, j’avais conscience que je ne deviendrais jamais suédoise et que je ne pourrais que rester moi-même. J’étais aussi intéressée par vivre plein de choses en dehors de la musique et que cela pourrait produire des moments de distance.

Ce qui a compté, ce sont les marques de bienveillance et les encouragements. J’en ai reçu beaucoup lorsque je me suis lancée dans la musique. Elles étaient exprimées de différentes manières, et de la part de différentes personnes : ma famille et mes amis proches qui me découvraient musicienne, le luthier Jean-Claude Condi et la nyckelharpiste Eléonore Billy qui m’ont confirmé dans mes choix de jouer de la musique suédoise et de partir me former en Suède, puis lorsque je vivais en Suède, j’ai rencontré Elisabet Brouillard qui m’a bien accompagné dans l’apprentissage de ces musiques et qui est ma compagne de jeu depuis maintenant plus de dix ans. A l’époque je prenais cours avec des « monuments » de la musique traditionnelle, des personnes en réalité très accessibles et super encourageantes à mon égard : Rickard Näslin, Kjell-Erik Eriksson, Kalle Almlöf, Björn Stabi.

Lors de mes études musicales en France, j’ai eu la chance de fréquenter des musicien-nes qui m’ont également guidée, parfois sans le vouloir, à découvrir des sensations, des sons, des nouveaux mondes musicaux. Je pense en particulier à Françoise Étay et Philippe Ancelin, mais aussi à des amies musiciennes que j’ai rencontrées à Limoges.

Je pense n’avoir manqué de rien si ce n’est d’oser davantage ou d’ambition, mais ce sont des traits de caractères qui n’ont rien à voir avec les gens que l’on rencontre.

Avec le mouvement #musictoo on parle beaucoup de la situation des femmes dans le milieu musical, de leur manque de visibilité et des discriminations qu’elles subissent : le milieu folk semble épargné, et est peu cité dans ces débats. Le monde du nyckelharpa est-il genré ? Existe-t’il en Suède des femmes nyckelharpistes reconnues ?

Personnellement je trouve que les femmes ont leur place sur la scène folk / trad. Elles sont visibles, en tant que professionnelles et amateures.

Je ne dirais pas que le nyckelharpa attire plus de femmes que d’hommes. Peut-être en France, mais ce n’est pas forcément le cas en Suède. L’inégalité de genre dépend parfois du contexte. En contexte pédagogique et en contexte de concert ce n’est pas la même proportion de femmes que d’hommes que l’on constate par exemple. Les hommes qui se produisent sur scène sont sans doute plus nombreux que ceux qui enseignent dans le monde du nyckelharpa.

Dans les stages de nyckelharpa en France, il y a, je crois, plus de femmes stagiaires que d’hommes. Mais cela ne veut pas dire que plus de femmes en jouent. C’est simplement que plus de femmes s’inscrivent aux stages, c’est-à-dire que les femmes cherchent peut-être plus à se former auprès d’une structure ou d’un-e professeur-e. Les hommes jouent plus immédiatement en se formant par eux-mêmes peut-être.

Ensuite, les pédagogues du nyckelharpa en France sont presque exclusivement de genre féminin. Les enseignements sur cet instrument en France (à ma connaissance) sont donnés principalement par Eléonore Billy et moi dont c’est le métier. D’autres femmes enseignent plus ponctuellement pour le moment : Louise Condi, Chloé Chaumeron, Florence Desvignes. Et pour les hommes, il y a le luthier Jean-Claude Condi qui aime enseigner aux grands débutants car il développe des explications sur l’instrument, occasionnellement Laurent Vercambre a donné des stages aussi.

En Suède, il y a des femmes nyckelharpistes reconnues. Il s’agit surtout des nouvelles générations, je pense en particulier à Emilia Amper, Josefina Paulsson et Cecilia Osterholm qui sont d’ailleurs venues plusieurs fois en France. Ce sont également de grandes pédagogues, peut-être plus que les hommes, sans doute parce que la transmission est moins liée au prestige que l’activité scénique. C’est assez caricatural, mais je crois que les femmes se sentent bien dans la transmission car elles n’ont pas de souci à travailler dans l’ombre », elles le font même avec plaisir. Pour avoir fait de nombreux cours et stages avec des suédois.es, je dirais que les femmes sont moins dans la retenue pédagogiquement, elles livrent tout ce qu’elles peuvent, et vont être particulièrement attentives à l’interprétation, la production d’émotions, la fabrication et la qualité du son, la douceur, alors que les hommes vont aller plus « droit au but » en livrant des mélodies, du répertoire. C’est un peu binaire mais c’est un sentiment qui m’est apparu de manière récurrente alors que j’étais en position d’élève, ou d’observatrice-participante à un cours.

Votre duo Varsagod est exclusivement féminin puisque vous jouez avec l’accordéoniste belgo-suédoise Elisabet Brouillard. Comment est né ce duo et comment est né votre album « Battements d’air » sorti en 2014 sur le label Bémol. Avez-vous, en tant que femme, rencontré des difficultés pour le produire puis le faire vivre sur scène ?

Ce duo Jenny Demaretest né en Suède, en 2008. Nous nous sommes rencontrées dans un cours de musique traditionnelle dans le nord de la Suède, près d’Östersund. L’album de 2014 était déjà notre troisième disque, les deux autres avaient été réalisés en auto-prod. Avant cet enregistrement, nous avions travaillé un programme de concert et bal pour deux petites tournées effectuées dans les Vosges, nous avions envie d’enregistrer chez Aurélien Tanghe car nous aimions les disques qu’il enregistrait et mixait. Nous n’avons pas enregistré d’autres disques depuis, nous y pensons mais il y a toujours d’autres priorités qui nous retardent.

Depuis quelques années, nous jouons principalement pour des ateliers de danse et des stages, assez irrégulièrement. Cela est dû à nos vies bien occupées par ailleurs et à nos personnalités. Avec Elisabet nous sommes toutes les deux partagées entre diverses activités qui ont toujours un rapport à la musique de près ou de loin. Elisabet est aussi professeure de suédois en Université, elle lit, elle écrit, elle dessine, elle passe beaucoup de temps à se promener dans la nature…. Et de mon côté, ces dernières années, j’ai suivi des études musicales, je me suis consacrée un temps aux musiques du Massif Central, j’ai suivi ensuite une formation au cefedem de Lyon pour passer le DE de musique traditionnelle, j’ai fait un enfant, et je poursuis maintenant des études universitaires en ethnomusicologie qui me prennent pas mal de temps… bref, la musique se fait pour nous de plein de manière, et pas toujours en répétant, jouant sur scène ou en enregistrant des disques. Mais il me tarde de rejouer plus régulièrement avec elle. C’est une musicienne joviale et fiable, elle sert modestement la musique autant que ses partenaires de jeu, et elle a développé un jeu d’un lyrisme rare.

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans la musique et plus particulièrement devenir violoniste ou nyckelharpiste ?

Il faut y aller, sans hésiter ! Ce sont des grandes émotions assurées, de belles rencontres, un monde de son à découvrir… et puis c’est un super créneau, cet instrument est vraiment très séduisant pour le public, pour les musicien-nes, et il ne demande qu’à s’adapter à plein de cultures musicales différentes.

Le violon, c’est plus compliqué. On a l’impression que tout le monde en joue, et pourtant c’est tellement plus difficile. Peut-être est-ce plus facile de se construire une « personnalité musicale » au nyckelharpa, seulement parce que c’est un instrument plus généreux et plus immédiat que le violon.

Quelle est votre actualité musicale ? Vos projets ?

Cette année je vais essentiellement me consacrer à des recherches ethnomusicologiques. Je donnerai quand même des cours et des stages de musique suédoise et de nyckelharpa à Genève, dans le Doubs, la Nièvre, le Puy-de-Domes et la région lyonnaise.

Niveau concert, même si beaucoup de dates restent à confirmer, j’ai quelques concerts prévus avec le duo Varsågod et le trio Merline tout au long de la saison.

Je serai le 14 novembre à la Médiathèque de Roanne et le 19 février 2022 à la Fête du violon de Luzy dans la Nièvre.

Pour suivre l’actualité de Jenny Demaret :

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Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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