L'art de la pochette
Publié le 19/11/2011 à 00:00 - 9 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux
L’esthétique graphique doit donner envie de découvrir l’album et faire de la pochette un souvenir mémorable.
On sera sans doute attiré par de belles illustrations, les tons, les coloris. Néanmoins, certaines pochettes aux assemblages saugrenus ou ridicules, sont graphiquement peu inspirées.
Le graphiste américain Alex Steinweiss (1917-2011) est engagé en 1939 par la maison de disques Columbia records. Il lance l’idée d’habiller la jaquette du disque d’une illustration artistique « pour la rendre accrocheuse ».
C’est en 1949 que la carrière d’Andy Warhol (1928-1987) avait commencé dans le graphisme des pochettes de disques. Ses talents s’appliquaient au concept, à la réalisation artistique pour des albums allant du classique au folk, et finalement au rock’n’roll. Après l’image immortelle de la banane du Velvet Underground & Nico, la pochette la plus célèbre d’Andy Warhol restera aussi celle des Rolling Stones pour Sticky fingers.
A partir de 1963, Warhol s’entoure d’assistants dans son atelier, la Factory, poussant ainsi à son paroxysme le caractère industriel de son travail. Il se consacre alors au cinéma ainsi qu’à l’organisation, vers la fin des années 60, de performances multimédias avec le groupe de rock le Velvet Underground dont il est le producteur.
Ludovic Houplain et Antoine Bardou-Jacquet, fondateurs du bureau de création graphique
H5 ont réalisé des dizaines de pochettes de disques vinyles pour de petits labels ou de grandes maisons de disques (Sony, V2, BMG, Naïve, Virgin Music, Source, Solid, Record Makers, Pamplemousse, Diamond Traxx, Island).
Hipgnosis est le nom d’un collectif de graphisme britannique fondé en 1968 par Storm Thorgerson et Aubrey Powell. Leur association prospère et ils sont rejoints par Peter Christopherson en 1974. Ils réalisèrent la majorité des couvertures d’albums des Pink Floyd (la 1ère étant celle de leur 2e album A saucerful of secrets, 1968) et de nombreux autres groupes : Led Zeppelin, Peter Gabriel…
Le studio a été dissous en 1983 mais Storm Thorgerson continue à illustrer pour des groupes comme Audioslave, Muse.
Peter Saville, graphiste attitré d’un des labels les plus importants de la new wave, a réalisé diverses pochettes
pour Factory.
L’esthétique du label est particulièrement marquée par le design graphique minimaliste de Peter Saville : des pochettes n’indiquant parfois pas le nom du groupe, ni même le titre de l’album. C’est un pionnier dans son approche de la conception des pochettes comme oeuvres d’art. Il a travaillé pour ces groupes ayant le plus de publications sur Factory : Joy Division, New Order, Happy Mondays, Durutti Column, A Certain Ratio…Le label employait une technique d’inventaire unique en numérotant non seulement ses disques mais également ses artworks et autres objets.
Vaughan Oliver (alias 23envelope puis V23) est un designer et graphiste anglais vivant à Londres. Depuis 1983, son parcours est lié à l’histoire du label londonien 4AD co-fondé par Ivo Watts Russell.
Sous l’égide de Vaughan Oliver, 4AD acquiert une identité visuelle forte et distincte en parfait complément avec la musique atmosphérique de cette époque.
Certains graphismes les plus accomplis de V23 ornent les pochettes d’artistes enregistrant pour 4AD tels que les Pixies, Dead Can Dance, Cocteau Twins, les Breeders…
Les auteurs de bandes dessinées ont souvent été invités à intervenir pour illustrer un album. La pochette de l’album Cheap Thrills de Big Brother & The Holding Company, qui fit connaître Janis Joplin a d’ailleurs été réalisé par Robert Crumb, un des plus grands dessinateurs de comics underground des années 60 jusqu’à aujourd’hui…
C’est cette connivence peu banale entre musique et bande dessinée que nous raconte Christian Marmonnier dans cet ouvrage.
L’esthétique des pochettes est aussi liée à un style musical ou à une période.
Quelques livres à découvrir.
Progressive rock vinyls : histoire subjective du rock progressif à travers 40 ans de vinyles
Psychedelic vinyls : 1965-1973
Rock vinyls : histoire subjective du rock à travers 50 ans de pochettes de vinyles
Les pochettes inspirées d’oeuvres artistiques
Certaines pochettes d’albums sont la copie conforme d’une oeuvre d’art car bien souvent aucun changement n’a été apporté. En revanche, d’autres ont été aisément transformées ou modifiées. En voici quelques-unes issues de tableaux célèbres.
Mi-pochoir, mi-sérigraphie, cette peinture fut réalisée pour illustrer la couverture d’un album des Guns N’Roses sorti en 1991, Use your illusion.
Il s’agit d’une fresque les plus connues de la renaissance italienne, l’École d’Athènes de Raffaelo Sanzio dit Raphaël retravaillée par Mark Kostabi qui ne représente qu’une partie de celle-ci.
Beck-ola, le deuxième album du Jeff Beck Group, sorti en 1969 est empaqueté dans une toile de René Magritte (1898-1967), La chambre d’écoute (1952).
En 2008, sur leur premier album, les Fleet Foxes ont sélectionné un tableau du XVIème siècle du célèbre peintre flamand Pieter Bruegel. Il s’agit, d’une œuvre en six parties, Les proverbes flamands (1559) : à la place d’une suite de proverbes, on voit apparaître un tableau parfaitement orchestré comportant une centaine de proverbes et dictons.
C’est une oeuvre champêtre qui fait écho à la pastoralité des chansons des Fleet Foxes.
Le Bal du Moulin de la Galette peint en 1876 par Auguste Renoir (1841-1919) illustre la pochette de Rod Stewart, A night on the town (1976).
C’est la bougie peinte en 1982 par l’artiste contemporain allemand Gerhard Richter (1932) qui illustre Daydream nation (1988) de Sonic Youth. La pochette fait référence au titre, Candle, le neuvième morceau de l’album.
Sa version vinyle contient deux disques et la pochette présente deux chandelles (Kerze, 1982 et 1983).
1993, les canadiens de Crash Test Dummies se sont appropriés une peinture de la renaissance de 1523, Bacchus et Ariadne de Tiziano Vecellio, dit Titien pour leur deuxième album God shuffled his feet.
Pour illustrer Viva la vida or death and all his friends, le groupe, Coldplay a choisi un tableau de l’artiste français Eugène Delacroix (1798-1863), La liberté guidant le peuple (1830). La pochette est en outre taguée de l’inscription Viva la Vida, début du titre de l’album.
Le Veteran dans le nouveau champ (1865) de Winslow Homer (1836-1910) a été choisi en guise de pochette sur l’album de Tom Petty, Southern accents (1985).
Shane MacGowan et sa bande préparent leur deuxième album, Rum, sodomy & the lash (1985). Les Pogues sont fascinés par une œuvre majeure dans la peinture française du XIXe siècle, Le Radeau de la Méduse, peint par Théodore Géricault entre 1817 et 1819 qui fait référence à un fait divers le naufrage de la frégate Méduse en 1816 près des côtes du Sénégal, avec à son bord plus de 150 soldats. Le peintre a voulu illustrer l’espoir d’un sauvetage. Ils décident de le détourner pour leur nouvelle pochette ; mais en revanche, les têtes des membres du groupe sont placées sur celles des personnages du tableau.
Bien d’autres groupes ont choisi cette peinture afin d’illustrer leurs albums : Ahab sur The divinity of oceans, Great White sur Sail away…
La toile de Mati Klarwein orne la pochette de Carlos Santana sur Abraxas (1970). Cette impressionnante peinture de 1961 s’intitule L’Annonciation.
Sur l’album, Power, corruption & lies (1983) de New Order, la couverture est illustrée par une peinture de l’artiste français Henri Fantin-Latour (1836-1904) ; Peter Saville y juxtapose son propre code couleur.
Ce bouquet de roses est en décalage totale avec l’esthétique de la new wave souvent austère.
La pochette de See jungle ! See jungle ! Go join your gang yeah ! City all over, go ape crazy ! (1981) de Bow Wow Wow, groupe de la vague new wave des années 80 qui s’est reformé en 1997, est une reproduction copiant le tableau d’Edouard Manet (1832-1883), Déjeuner sur l’herbe (1863). Cette pochette sera d’ailleurs interdite en Angleterre et aux Etats-Unis, en raison de la nudité de la chanteuse adolescente.
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