Lectures musicales
La sélection musicale de l’été 2024
Publié le 24/06/2024 à 09:00 - 14 min - Modifié le 25/06/2024 par Juliette A
Nous vous avons concocté collectivement une sélection de livres parus récemment, à emporter dans vos valises pour agrémenter votre été ! Du classique au rock, de la bande dessinée à la biographie, tous les styles sont représentés.
“Instruments voyageurs” – Le Rize Villeurbanne (Libel)
De novembre 2020 à septembre 2021 avait lieu, à la médiathèque du Rize de Villeurbanne, une belle exposition consacrée aux instruments de musique du monde. La parution du catalogue de l’exposition donne l’occasion de découvrir en différé, ou redécouvrir, une collection hétéroclite et attachante et constitue un petit coup de projecteur rétrospectif sur un événement un peu éclipsé par le laminoir du sale Covid. L’évènement fut le fruit de la collaboration de trois structures culturelles villeurbannaises : l’ENM, le CMTRA et le Rize.
Ce qui au départ aurait pu apparaitre comme un fourre-tout un peu rhapsodique fait en réalité tout l’intérêt de la démarche car à chaque fois la présentation des différents instruments est reliée à de vraies personnes, des destins, des histoires de vies. Pour ce projet original pas de collection pré-existante : on demande à des habitants villeurbannais s’ils accepte de prêter leurs instruments. Le collectage tous azimuts rassemble une nuée de pièces inattendues. En feuilletant le catalogue vous pourrez écouter, par l’intermédiaire de QR-codes, les montages sonores réalisés pour l’exposition qui vous permettront de vous plonger dans les récits des habitants.
“Les routes du rap : une cartographie du son” – Yérim Sar (Michel Lafon)
Envie de partie en road-trip à travers le rap français ? Les routes du rap propose une découverte singulière de ce genre musical en voyageant de région en région : interviews, témoignages, lieux emblématiques ou recueil de punchlines, ce livre se veut une fresque vivante du paysage du rap français.
Les illustrations colorées de Florian Schneider et les nombreux visuels d’archives procurent une lecture agréable et divertissante. Yérim Sar nous guide au sein du rap français à travers un ouvrage accessible : chaque région est décrite par le biais de ses rappeurs et propose un lexique (javanais, grignois, etc) pour devenir incollable sur les punchlines, ainsi qu’un répertoire des lieux les plus importants. Pour toujours attiser notre curiosité, chaque chapitre a sa rubrique “Sortie de route” et “Fun fact”.
De Casey à IAM en passant par Kaaris ou SCH, suivez le guide !
“Black Music Justice : une histoire judiciaire des musiques noires” – Fabrice Epstein (La Manufacture de livres)
Dans Black Music Justice, Fabrice Epstein met la justice au centre de son analyse des musiques afro-americaines. Explorant les différents sous-genres musicaux de la “black music” : blues, funk, rock, rap, reggae, soul… Il évoque le plagiat, le pillage, l’emprunt, l’appropriation culturelle… Et cette présentation à travers le prisme juridique dit beaucoup sur la musique et la société. Puisque en se penchant sur quelques affaires retentissantes (ou pas) l’auteur aborde la misère, les droits d’auteur, la délivrance de l’esclavage, les revendications politiques et sociales… Et de Mississippi John Hurt à Jay-Z, de Miles à Michael, de Jimmy Cliff à Hendrix ou de Gainsbourg à MC Solaar ces différentes problématiques sont abordées.
Fabrice Epstein est avocat d’affaires au barreau de Paris et chroniqueur à Rock & Folk. Il a déjà rédigé un ouvrage similaire sur les affaires judiciaires du rock. Et sa connaissance du monde juridique donne à l’ouvrage ce côté précis et étayé. C’est éclairant, pertinent et intelligent. L’auteur propose même une playlist d’accompagnement.
“Le monde fabuleux de Kurt Cobain” – Marc Dufaud (Le Boulon)
Dans son dernier livre, Marc Dufaud nous offre un regard unique et rafraîchissant sur la vie de Kurt Cobain. Contrairement aux biographies traditionnelles, ce livre se démarque en explorant avant tout la passion de Cobain pour la musique, plutôt que de se concentrer sur ses luttes personnelles et sa célébrité.
Dufaud nous plonge dans un univers fascinant, où la culture indie rock des années 90 est mise à l’honneur, loin des projecteurs des grands médias. Cette approche permet de découvrir un Cobain plus authentique, plus passionné qui utilise sa célébrité pour promouvoir les artistes qu’il apprécie. Le lecteur est immergé dans un monde chaotique où Kurt Cobain affronte Axl Rose en direct sur MTV sous le regard amusé de Metallica, joue avec Mark Lanegan, rencontre Daniel Treacy, et embrasse Iggy Pop. Il nous guide à travers cet environnement où la culture indie et la culture cassette ont vu naître des dizaines de labels et le mouvement féministe des Riot Grrrls.
Ce livre est une véritable mine d’or de références et de découvertes pour les amateurs de musique alternative et de la scène indie rock . Enfin, pour prolonger l’expérience et s’immerger encore plus profondément dans l’univers musical de Kurt Cobain, il suffit de scanner le QR code menant à la playlist des chansons de son carnet et de profiter de cette immersion musicale pour redécouvrir l’homme derrière la légende.
« Guignol aime la musique du diable : une histoire du rock à Lyon racontée par ses acteurs » – Alain Garlan (La Rumeur Libre)
On l’attendait depuis longtemps ! Ce panorama du rock à Lyon aurait dû sortir en 2019, le voilà édité en fin d’année dernière sous la forme d’un numéro spécial de la revue littéraire Rumeurs.
Coordonnées par Alain Garlan, entrepreneur culturel, initiateur du collectif d’artistes internationaux Frigo ce sont 66 petites histoires humbles et subjectives qui font la grande histoire du rock à Lyon. Soixante-six personnes de tout horizon qui témoignent à travers textes, photos ou discographies ce qu’a été le rock à Lyon depuis presque 66 ans.
Tous les lieux (mythiques ou non) tous les artistes du rock, du rap, de l’électro (et même du jazz) ou encore les médias créés à Lyon (radios, TV, fanzines…) sont ici décortiqués dans ces souvenirs, parfois flous mais toujours sincères. Et même en connaissant un peu le domaine on apprend beaucoup de choses sur notre ville, notre musique et tous ceux qui les ont fait prospérer.
“Histoire de la pop : quand la culture jeune dépasse les frontières (années 1950-1960)” – Bodo Mrozek (Maison des sciences de l’homme)
Paru en Allemagne en 2019 dans une version originale de 850 pages, voici l’édition française allégée de ce livre fort impressionnant consacré à l’histoire de la culture pop et à son essor, du milieu des années 50 au milieu des années 60.
Il s’agit bien, on l’aura compris, d’un ouvrage consacré à tout un pan de l’histoire contemporaine occidentale, principalement axé autour des deux Allemagnes, du Royaume Uni, de la France et des États-Unis. Cette lecture ambitieuse et polyvalente de l’épiphénomène devenu culture de masse relève autant de la micro-histoire que des cultural studies.
Car ce que décrit si précisément Bodo Mrozek est bien le retentissement considérable de ces nouvelles formes d’expression sur l’ensemble de la société à cette époque – comment le phénomène pop est à la fois la source et le produit d’une nouvelle forme de société organisée par et pour la jeunesse ; et comment une dissonance sonore devient une dissonance sociale.
Cet esprit pop, désinhibant et électrisant, qui conquiert amplement ses jeunes fans et inquiète la société, est vécue par les un.e.s comme une véritable culture de libération et par les autres comme un séisme moral et insurrectionnel.
“Virgin Prunes, une nouvelle forme de beauté” – Thierry F. Le Boucanier (Camion Blanc)
Virgin Prunes, biographie éponyme du groupe de post-punk irlandais, retrace de façon originale la vie de ce groupe sous la direction de Thierry F. Le Boucanier. Témoignages, photos de concerts, lyrics, affiches et bandes dessinées permettent au lecteur une immersion complète au sein de cet univers.
Chaque membre du groupe nous propose le récit de leur rencontre, leurs discordes, leurs premières inspirations… En partant de Bowie et du glam rock puis de la vague punk propulsée par les Sex Pistols en passant par leur amitié teintée de rivalité avec U2, ce livre dépeint brillamment la scène alternative britannique des années 70-80. Des témoignages drôles et touchants nous plonge au cœur de ce phénomène et nous donne un aperçu de ces personnalités hors du commun, selon leurs dires : « Nous ne sommes rien que vous puissiez nommer ».
Une superbe lecture pour les passionnés de cette culture subversive et provocatrice mais également pour ceux qui souhaiteraient la découvrir à travers le prisme d’un groupe inspirant tant par leurs performances musicales que scéniques.
“Taxi-Girl 1978-1981” – Mirwais (Séguier)
Premier volume d’une trilogie intitulée Le Show Business (LSB, comme il aime à l’appeler), Mirwais revient dans “Taxi Girl 1978-1981” sur les débuts du groupe dans lequel il était guitariste et principal compositeur.
Mirwais Ahmadzaï dresse le portrait sans concession d’un groupe sans véritables atomes crochus entres les membres (si ce n’est un certain nihilisme), manipulé par un manager véreux (qu’il n’appelle que sous le sobriquet du Manager) et miné par les drogues que consomment en grande quantité Daniel Dark/Darc, Laurent Sinclair et Pierre Wolfsohn.
Le style de son écriture semble également suivre sa relation aux drogues : seul membre vraiment soucieux de l’avenir du groupe, il arrête rapidement toute drogue, passant dans son récit d’une écriture touffue, hachée, fouillis de cut ups à une forme de fluidité pour raconter les hauts (peu) et les bas (dont les relations vachardes entres les membres), des débuts scéniques dans les sous-sols de l’Olympia au décès par overdose de leur batteur alors même que leur single “Cherchez le garçon” devenait un succès.
Particulièrement sévère vis-à-vis de Daniel Darc ou Pierre Wolfsohn, Mirwais se raconte aussi sans détour entre amitiés trahies, guerre d’Afghanistan (dont il est originaire) et mythes déboulonnés (notamment le Palace) .
“Bandes originales & cinéma de genre : de Psychose à Blade Runner” – Ludovic Villard (Le Mot et le Reste)
200 recommandations en une : cette anthologie explore les bandes originales de 100 films de genre produits entre 1959 et 1983. Et l’auteur de ces lignes de citer la 4è de couverture : « le cinéma de genre vit un âge de prospérité au cours duquel la musique va acquérir un rôle essentiel dans l’élaboration des films. »
On commence par une passionnante remise en contexte, qui fait démarrer l’aventure au 17è siècle avec l’invention de la « lanterne magique », et déroule en parallèle l’histoire de la création du cinéma et sa composante musicale, tout en dessinant les contours de ce qu’on va nommer « film de genre ».
L’auteur Ludovic Villard (aka Lucio Bukowski) chronique ensuite une sélection de cent duos musique/film, dont la synergie est notable et où la musique semble indissociable du film. On y apprend que les chemins possibles pour y parvenir sont multiples.
Des exemples ? Pour Sorcerer de William Friedkin, sorti en 1977, le groupe allemand Tangerine Dream « ne compose pas d’après les images mais va écrire la totalité du score au préalable puis l’envoyer au réalisateur… » Alors que pour Massacre à la tronçonneuse (1974), son réalisateur Tobe Hooper crée avec Wayne Bell la musique du film « en même temps qu’ils effectuent le montage des séquences, le tout dans deux pièces contigües.»
Que vous dire sinon que ce livre donne envie de tout (re)voir et tout (ré)écouter.
Un par jour jusqu’en octobre ? C’est parti.
“A bien märrér hiier souàr” – Bérurier Noir (Archives de la Zone mondiale)
Sous ce titre à l’orthographe pâteuse d’une bonne gueule de bois, se présente une anthologie de dossiers de presses réalisés entre 1983 et 1986. Ces archives reprennent l’histoire du groupe, depuis le seppuku glorieux du proto-Bérurier Noir, jusqu’à la notoriété naissante, les premiers passages en radio et les concerts sous tension.
L’ouvrage s’inscrit dans une forme de patrimonialisation du mouvement punk, perceptible depuis quelques années. Il fait également écho au dépôt des archives bérurières à la Bibliothèque Nationale en 2022, matériau d’une récente exposition.
Pour autant, en dehors d’une rapide préface de François Guillemot, brailleur de toujours du groupe et archiviste maniaque, le livre ne contient que des documents bruts. La maquette reprend les codes du fanzine, des affiches de rue, du dazibao, du flyer et de la BD, qui sont le matériau du bouquin. Elle restitue bien cette esthétique underground du collage, du DIY et de l’autoédition. Les extraits de presse abondent. Presse « mainstream » et surtout fanzines ronéotypés aux noms impayables qui pullulent à l’époque.
Et c’est tout un écosystème alternatif, punk sur le fond et la forme, qui affleure à travers ces chroniques et autres bris de papier, écrits, dessinés ou imprimés. Voici une entreprise originale, à feuilleter comme un album, qui fait écho à la culture « K7 », aux productions sauvages et aux collages plastiques et sonores évoqués récemment à la Bm de Lyon dans l’exposition Contrebande.
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