Lectures musicales

La sélection musicale de l’été 2023

- temps de lecture approximatif de 16 minutes 16 min - par Luke Warm

Nous vous avons concocté collectivement une sélection de livres parus récemment, à emporter dans vos valises pour agrémenter votre été ! Du classique au rock, de la bande dessinée à la biographie, tous les styles sont représentés.

Image par wydawca de Pixabay
Image par wydawca de Pixabay

Hardcore” – Simon Reynolds (Audimat)

Couverture du livre titré Hardcore de SImon Reynolds

Célèbre journaliste musical anglais, Simon Reynolds, déjà auteur de livres essentiels sur le post-punk (Rip It Up and Start Again : Post Punk 1978-1984), le rock et le hip-hop (Bring the noise – 25 ans de rock et de hip-hop), le glam rock (Le choc du glam), offre avec Hardcore un recueil d’articles parus sur plus de 20 ans sur les musiques électroniques anglaises.

Simon Reynolds s’attache à nous parler de ces musiques électroniques typiquement anglaises (au point que certaines n’arriveront jamais à s’exporter réellement), réponse insulaire à la house et à la techno américaine. Nées dans l’undergound, à Londres mais aussi à Bristol, Sheffield, Leicester, Nottingham…, ces musiques ont pour point commun le goût des breakbeats et des basses et un rapport très particulier à la vitesse. Souvent issues des classes populaires, elles sont fortement influencées par le reggae, le dancehall, le dub… musiques de la diaspora anglo-jamaïcaine.

On parle donc ici de hardcore, UK rave, jungle, darkcore, speed garage, 2 step, grime, drum & bass, bleep’n’bass, bassline house, dubstep … Autant de genres que Simon Reynolds regroupe sous le terme de continuum hardcore et pour lesquels il s’enflamme dans une démarche à l’opposé de son livre Rétromania (comment la culture pop recycle son passé pour s’inventer un futur).

Comme il s’agit ici d’une anthologie de ses articles écrits principalement pour le magazine The Wire, l’auteur relate en temps réel, ne bénéficie d’aucun recul et nous livre quasiment en direct un témoignage de première main que le temps ne viendra pas relativiser ou aseptiser.

On redécouvre ainsi (pensez à garder votre smartphone à proximité) avec l’enthousiasme de la nouveauté des morceaux légendaires ou oubliés qui datent pour certains d’il y a 30 ans.


Chanter le crime : canards sanglants et complaintes tragiques” – Jean-François Heintzen (Bleu Autour)

Raconter le crime ou le fait divers sensationnel est une vraie passion sociale. Du Nouveau Détective à Faites entrer l’accusé, de Pierre Bellemare à BFM, le cadavre est une valeur sûre de la chose médiatique. Mais comment faisait-on avant la presse, la radio, Internet et la télé ?

C’est à cette glauque et passionnante question que répond Chanter le crime. Car, avant que la presse ne devienne un média de masse et la lecture un savoir partagé, la chanson a longtemps tenu le haut du pavé médiatique, grâce aux fameux « canards ». A savoir une feuille volante à deux sous, imprimée sauvagement, qui collectait plus ou moins fidèlement événements édifiants, farcesques ou tragiques. Les faits étaient souvent tournés en chansons afin de mieux « imprimer » les esprits.

Un des genres de prédilection du canard était la complainte criminelle. Un texte en vers sur un air connu, écrit dans la foulée des événements, maudissant le criminel et pleurant ses victimes. Ancêtres boiteux de nos canards de kiosque, ces publications étaient largement colportées, lues, chantées ou déclamées, vendues et échangées..

Le livre dresse une incroyable revue de presse populaire, dont l’auteur remonte les traces avec un luxe d’illustrations et d’archives inédites. Un ouvrage hyper visuel, qui se lit comme un polar d’anecdotes. Et un rappel du rôle médiatique fondamental de la chanson dans l’Histoire.
Enfin, l’auteur, Jean-François Heintzen a versé près de 1300 complaintes (textes complets en fac-similé, résumé des événements..) dans la base de données de Criminocorpus.


Chill : à l’écoute de la détente, de l’évasion, de la mélancolie” – Ouvrage collectif (Audimat)

Mantra par excellence des vacances, le «Chill» est à l’honneur de ce petit recueil d’articles compilés par Guillaume Heuguet pour Audimat. Ecrit par des journalistes et universitaires, ils proposent une mini généalogie musicale d’un mot presque devenu une injonction. Truffé de références et d’anecdotes, on s’y plonge avec plaisir pour découvrir des pans entiers méconnus de l’histoire de la musique contemporaine.

Derrière le «Chill» se cache davantage un concept sonore qu’un style musical bien défini. L’idée, originale, déplace le curseur habituel de l’exploration d’un genre (rap/rock/techno etc.) vers celui d’une sensibilité. Même si transformer un affect en fil rouge de lecture n’est pas chose aisée…

Mais c’est peut-être là la grande richesse du livre qui parvient à déployer sa réflexion sur le temps long tout en mobilisant des exemples aussi riches que variés. On navigue entre l’easy listening des fifties et les voix autotunées des rappeurs de la scène cloud rap de la dernière décennie. Des liens se tissent entre musique d’ascenseur et chaines Youtube « lo-fi hip-hop» qui diffusent en continu une musique faite pour se relaxer ou étudier (cf. la célèbre Lofi girl et ses millions d’auditeurs).

Avec ce petit survol en 7 articles, c’est l’histoire de la détente en musique qui nous est contée, son rôle mais aussi ses fonctions. Qu’elles relèvent d’une posture esthétique ou qu’elles soient produites pour « rester productif sur son tableau Excel » ces ambiances musicales, souvent discrètes, sont révélatrices de bouleversements sociétaux et technologiques. Ses expressions les plus populaires telles que le soft rock 70’s, PNL ou encore les Chainsmokers ne seraient finalement que différents avatars d’une formule qui n’a eu de cesse de se ramifier et renouveler ses significations…


Philosophie de la chanson moderne” – Bob Dylan (Fayard)

Philosophie de la chanson moderne / Bob Dylan

Le titre peut paraitre pompeux, voire arrogant (où humoristique). Mais nous le comprenons suivant la définition du Robert : “Philosophie : Ensemble des questions que l’être humain peut se poser sur lui-même et examen des réponses qu’il peut y apporter“. Ici les questions que se pose  Bob Dylan concernent des chansons populaires anglo-saxonnes du XXème siècle. Et il nous livre ses réponses.

Avec Philosophie de la chanson moderne le récipiendaire du Prix Nobel propose néanmoins plus qu’une playlist, mais aussi sa vision de la musique populaire, voire de la vie. Fixant la lumière sur des chansons et des auteurs qui ont éclairés son chemin. Il raconte, commente et fait des liens. C’est intelligent, pertinent et original.

Bien que la sélection soit essentiellement américaine, apparaissent quelques britanniques (The Who, The Clash, Elvis Costello) mais ni les Beatles, ni les Stones, ni les Kinks… Et alors que sont évoqués de sirupeux crooners américains : Perry Como, Bing Crosby, Dean Martin… seulement quatre chanteuses sont créditées (Cher, Judy Garland, Rosemary Clooney, Nina Simone)

On trouve bien entendu des références à Woody Guthrie, Pete Seeger et Hank Williams figures majeures des références Dylaniennes… Mais des questions se posent aussi : pourquoi cette chanson moins connue de cet auteur plutôt que celle-ci mondialement célèbre et emblématique d’une époque. Et c’est là que Bob Dylan nous éclaire. Ainsi le sous-titre de cet ouvrage pourrait être : Dis-moi ce que tu écoutes, je te dirai qui tu es. Enfin ces 66 chapitres sur 66 chansons sont illustrées de visuels choisies par Bob Dylan lui-même (pochettes, publicités, photos, dessin, peinture, BD…). Pour conclure l’ouvrage se révèle le parfait livre de plage : des chapitres courts et pertinents que l’on peut compulser dans le désordre au gré de son envie et en toute réflexion.


À contre-courant : l’épopée du label 4AD” – Martin Aston (Allia)

Ce livre est une formidable immersion dans l’univers céleste et abyssal du label britannique 4AD. Soit en version française publiée chez Allia, 800 pages consacrées à l’esthétique 4AD et ses méandres.

Ivo Watts Russell a 25 ans lorsqu’il s’élance dans le microcosme des labels indépendants. En 1980 sortent les premiers singles labellisés 4AD ainsi que deux albums – dont In The Flat Field de Bauhaus. Ce premier prestige sera suivi de beaucoup d’autres.

Pendant les premières années paraissent les références les plus expérimentales. La coldwave spectrale selon 4AD s’impose discrètement comme l’un des sillons mystérieux du post punk. Vient l’âge d’or dès 1984 avec la parution de Treasure de Cocteau Twins, tandis que chaque découverte du label est un choc pour les oreilles curieuses du moment – et un ravissement pour les yeux, tant le travail visuel de Vaughan Oliver s’avère fantastique et essentiel.

Martin Aston traite à part égale les groupes aux succès confidentielx, cultes ou injustement tombés dans l’oubli et ceux qui sont célébrés et ont durablement marqué de leur empreinte, au-delà de la seule musique indépendante – Cocteau Twins, Dead Can Dance, Pixies, pour ne citer que ceux-là.

Le journaliste a rencontré la plupart des protagonistes de cette épopée souterraine et livre un document foisonnant et fascinant jusque dans ses moindres détails ; il n’élude ni les passages à vide et les échecs, ni les faux-espoirs et les déceptions.

A force de continuité autant que de ruptures, 4AD réussit à se renouveler avec brio, avec un catalogue de deux-cents artistes. Et l’éther fertile dont les alchimistes du label conservent le secret œuvre encore aujourd’hui – Grimes, U.S. Girls ou Dry Cleaning sont parmi les signatures révélatrices de la précieuse contribution de 4AD à la pop contemporaine la plus audacieuse.


Si on savait ! Dans les coulisses de la grande musique – Bruno Giner (Bleu Nuit éditeur)

Ce mince ouvrage, semi-poche tous terrains (mais attention au sable et aux frites, quand même, SVP) est idéal pour la vacance estivale. Les auteurs (Giner et Porcile), musiciens classiques de leur état, nous régalent d’une palanquée d’historiettes et anecdotes en tous genres. Le ton est à la plaisanterie bien entendu. Sidérantes, saugrenues, édifiantes ces brèves de grande musique sont à classer dans les catégories « authentique /  vraisemblable / légendaire »  (on espère en effet que certains détails ne sont pas avérés).

Les rubriques incluent, entre autres : l’écriture des œuvres célèbres, la musique en concert et les aléas loufoques ou cruels du direct, les coulisses interlopes de l’opéra, les minauderies des salons, des histoires vachardes de critiques, des jeux de mots laids et calembours en pagaille … Et bien entendu, last but not least, son lot d’histoires de Q. d’artistes qui ne manquent pas d’R. et n’y vont pas avec le dos de la Q.I.R.

Si vous êtes friands de grande musique et de petite lorgnette, de bullshit et médisances diverses, de bons mots et de mauvais esprit, si vous cherchez le Diable dans le détail musical et vous réjouissez d’apprendre des choses passionnantes et carrément inutiles, ce petit livre indispensable est pour vous. 


Tangerine Dream : Les visiteurs du son 1967-1987” – Emmanuel Saint-Bonnet (Le Mot et le Reste)

Le groupe allemand de rock « planant » Tangerine Dream encore actif aujourd’hui, a connu divers line-ups et peut-être un âge d’or entre 1967 et 1987, période sur laquelle choisit de se concentrer l’auteur de l’ouvrage.

1967 : le début du projet, porté par Edgar Froese qui en sera le pilier jusqu’à son décès en 2015.
1987 : fin de sa collaboration avec Christopher Franke, aux percussions et aux claviers depuis 1970.
Les albums s’enchaînent depuis 1970 au rythme de près d’un par an, une discographie qui donne sa structure à ce « Tangerine Dream : les visiteurs du son 1967-1987 ».

Ce livre est une belle occasion de se (re)plonger dans leurs 20 premières années discographiques, emplies d’expérimentations et de paysages sonores remarquables de modernité. Citons aussi, dans les anciens membres notables du groupe durant cette période : Klaus Schulze, Conrad Schnitzler et Peter Baumann. Tangerine Dream a depuis ses débuts suivi l’évolution des technologies et des outils électroniques. Il est ne serait-ce qu’à ce titre passionnant d’en suivre l’aventure : de synthétiseur en synthétiseur, les compositions évoluent, inspirent et dessinent un parcours cohérent et riche.


B.O ! Bandes originales : une histoire illustrée de la musique au cinéma – Thierry Jousse (EPA / France Musique)

Journaliste, critique de cinéma (les Cahiers du cinéma, les Inrockuptibles) et réalisateur, Thierry Jousse se passionne depuis longtemps pour la musique au cinéma.

Dans cet ouvrage très illustré il passe en revue dans 19 chapitres, les différents aspects qui ont fait de ce couple artistique un genre musical en soi. Il alterne son angle de vue entre compositeurs indispensables, genre musical (le rock au cinéma, le jazz au cinéma) ou genre cinématographique. On y croise les grands couples réalisateurs-compositeurs (Hitchcock-Hermann, Morricone-Leone ou Truffaut-Delerue) les géants du genre (qu’on ne cite plus) mais aussi Jonny Greenwood, Michel Magne ou encore Joe Hisaishi.

Ces petites vignettes bourrées d’anecdotes sur la composition à l’image se lisent facilement et indépendamment les unes des autres de telle sorte que vous pouvez ouvrir le livre à n’importe quelle page et découvrir l’univers d’un film, d’une composition ou d’un réalisateur.

Pour conclure il consacre un petit chapitre, qui en dit long sur la situation des compositrices dans ce domaine. « Où sont les femmes ? », cite rapidement une vingtaine de grandes oubliées de la B.O, de la pionnière Germaine Tailleferre à Mica Levi, récompensée pour ses musiques des films « Under the skin » et « Jackie ».

Comme dans tout bon livre musical chaque chapitre se termine avec une playlist très fournie. Une playlist plus courte est disponible sur le site de Radio France.


Hot Stuff “- Milan Dargent (Le Mot et le Reste)

On peut penser que tout a déjà été dit et écrit sur les Stones… et c’est sans doute vrai ! D’ailleurs, ce livre ne vous dévoilera aucune anecdote, aucun secret qui aurait réussi l’exploit de passer sous les radars pendant plus de 60 ans.

L’originalité de celui-ci, ce qui en fait un parfait bouquin à emporter dans vos valises cet été, vient sans aucun doute de la plume de son auteur… Milan Dargent, écrivain lyonnais, reconnaissable à son ton caractéristique, a en effet déjà écrit plusieurs ouvrages et à chaque fois, on retrouve cette ironie, cet humour pince sans rire et cette (auto)-dérision qui lui est propre. Car oui, au fil des pages, tout le monde en prend pour son grade. Même les Stones dont il est pourtant un fervent admirateur et dont il nous avait déjà longuement fait part de sa passion dans un ouvrage intitulé «soupe à la tête de bouc»  paru en  2002 chez Le Dilettante

Bien que Milan Dargent en connaisse donc un rayon sur les Stones, il ne cherche pas avec « hot stuff » à faire une biographie, ni même un ouvrage de référence sur le sujet. Le but est ailleurs… Avec cet ouvrage, il donne surtout son interprétation de ce qui pourrait expliquer l’engouement général pour les Stones. Qu’ont-ils fait pour devenir ce groupe mythique ? Jusqu’à quel point leurs fans sont-ils prêts à tout leur pardonner ? … Car oui, à de nombreuses reprises, les Rolling Stones, ont été « très limites ». Parfois vulgaires, souvent outranciers et pourtant… toujours admirés et pardonnés ! Avec Hot Stuff, Milan Dargent s’attache donc à expliquer en 18 leçons ironiquement ponctuées par des références académiques les raisons de notre attachement à ce groupe plutôt que d’en faire une énième biographie !

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