Le jazz discriminé

Interdit de danser

- temps de lecture approximatif de 3 minutes 3 min - Modifié le 24/09/2024 par Luke Warm

Une loi peu connue en France a pendant des décennies interdit la danse dans les bars new-yorkais

No Dancing Please (by Paul S. / CC BY-NC 2.0)
No Dancing Please (by Paul S. / CC BY-NC 2.0)

En 1926, la Prohibition bat son plein aux Etats-Unis, sans réel succès. Aussi, la Ville de New-York dont le maire est alors Jimmy Walker (qui fréquentait pourtant le 21, speakeasy renommé de la ville), instaure la loi dite des cabarets. Cette loi devait aider la police à contrôler plus facilement les bars et clubs clandestins. Ce texte interdit à plus de trois personnes de danser dans toute « pièce, lieu ou espace » de New York qui vend de la nourriture ou des boissons, à moins que cet espace n’ait une licence de cabaret. Des milliers de bars et clubs sont donc concernés.

Danseurs dans un club de jazz (entre 1938 et 1948) / William P. Gottlieb (The Library of Congress, domaine public)

La Prohibition s’arrête en 1933 mais la loi sur les cabarets perdure pendant des décennies. Jusqu’en 2017, date de son abrogation, il est donc toujours illégal pour plus de trois personnes de danser dans un espace non autorisé à New York.

La dérive raciste de la loi

Plusieurs amendements à cette loi vont au fil des décennies en faire une loi ciblant plus particulièrement les clubs de jazz, les musiciens et leur clientèle afro-américaine.

Dans les années 40, les musiciens de New York doivent obtenir une « carte de cabaret » pour se produire dans les boîtes de nuit ou dans des établissements similaires où l’on servait de l’alcool. Soit les principaux lieux où les musiciens de jazz gagnaient leur vie. Les musiciens devaient se rendre au service des licences du NYPD pour prendre leurs empreintes digitales, être photographiés et être soumis à des interrogatoires sur leur vie personnelle – principalement axés sur leur consommation potentielle de drogue – avant de pouvoir être autorisés à jouer. Les cartes devaient être renouvelées tous les deux ans et les autorités étaient libres de révoquer ou de refuser leur renouvellement à leur guise.

La Cabaret Card d’Ella Fitzgerald

Beaucoup de grands noms du jazz ont vu leur carte retirée : Charlie Parker, Thelonious Monk, Billie Holiday, Miles Davis (dont la mésaventure est relatée dans Black Music Justice de Fabrice Epstein), … jusqu’à que, sur notamment la pression de Franck Sinatra (qui refusa de jouer à New-York à cause de cette démarche qu’il considère comme humiliante), cette loi soit abrogée en 1967.

En 1971, un autre amendement visant spécifiquement les musiciens de jazz s’ajoutait à la loi. Connu sous le nom de Règle des trois musiciens (Three-Musician-Playing-Rule), il interdisait aux groupes de plus de trois musiciens de jouer dans un lieu sans licence de cabaret. La loi limitait également les instruments autorisés au piano, à l’orgue, à l’accordéon, à la guitare ou à tout instrument à cordes, laissant de côté les incontournables du jazz comme les vents (notamment le saxophone), les percussions (comme la batterie) et les cuivres. Ces dispositions touchaient bien évidemment le plus les clubs et les groupes de jazz de Harlem.

En 2017, date à laquelle cette loi des cabarets fût abrogée, seuls entre 100 et 130 établissements new-yorkais (sur les 15 000 à 20 000 que comptait alors la ville) disposaient de cette licence de cabaret.

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