Chostakovitch, musicien du siècle
Publié le 20/09/2006 à 23:00 - 4 min - Modifié le 04/03/2021 par GLITCH
Il y a cent ans naissait le compositeur russe Dimitri Chostakovitch. Un peu à l'écart des fastes mozartiens, cet anniversaire commémore une musique sombre et tourmentée, indissolublement liée aux tragédies du XXè siècle. Compositeur officiel et renégat, toujours sur le fil d'une censure prompte à traquer toute esthétique dissidente, il crée une œuvre multiforme (concertos, mélodies, musique de film, opéras ...) délimitée par ces deux massifs que sont les 15 symphonies et les 15 quatuors.
Musicien du régime, lauréat du Prix Staline, il célèbre les espérances du socialisme soviétique (Symphonie « Octobre »). “Chosta” dépeint les affres de la guerre et la résistance du peuple (Symphonie « Léningrad »), illustre le cinéma de propagande.
Compositeur réfractaire aux canons du réalisme socialiste, il est censuré pour le « formalisme » et le pessimisme de la Huitième symphonie. On lui reproche le « galimatias musical » et la « laideur gauchiste » de l’opéra Lady Macbeth, les saillies grotesques de la neuvième symphonie …
Pourtant, pas de schizophrénie marquée dans l’œuvre : le souffle des symphonies se dépare rarement d’une profonde noirceur et d’une ironie acide. Il faut écouter le finale glaçant de la quatrième symphonie, les emballements affolés de la cinquième, le lamento funèbre de la treizième ou les sarcasmes grinçants de la neuvième pour comprendre la posture tragique du compositeur dans son pays et de l’homme dans son temps.
Cette tension inquiète s’exprime de façon plus personnelle dans ce journal intime que constituent les quatuors. Ici l’histoire et ses convulsions passent par le prisme du sujet, l’angoisse y est dépouillée, à hauteur d’homme. Composés pour la plupart en secret, loin de la raideur un peu pompière qui empèse certaines de ses œuvres « officielles », ces quatuors (n°3, n°8…) sont un poignant témoignage et une balise du genre.
L’œuvre de Chostakovitch n’est pas celle d’un musicien spéculatif, d’un défricheur d’horizons compositionnels nouveaux -c’est ainsi que Boulez le taxe de « Mahler troisième pression ». La musique est chez lui toujours signifiante, enracinée dans l’expérience politique et existentielle. Pourtant son style est très caractérisé, bien trempé, et il touche, il emporte. Sous la baguette des Kondrachine, Mravinsky, sous l’archet des Borodine, le pathos amer de Chostakovitch est irrésistible. Un anniversaire difficile à … « fêter ».
Dimitri Chostakovitch, Krzysztof MEYER, Fayard
Enrichissant une énorme documentation de ses propres souvenirs, l’auteur fait se dérouler d’oeuvre en oeuvre l’épopée du musicien. S’y mêlent inextricablement la vie privée, la vie publique et la création d’un homme « si intimement attaché à la Russie que l’on a peine à imaginer que son talent ait pu s’épanouir hors des frontières de sa patrie ».
Chostakovitch et Staline, par Solomon M. VOLKOV, Editions du Rocher
L’auteur nous en avertit dans l’avant-propos de son ouvrage :
on n’y trouvera pas d’analyses détaillées de la musique de Chostakovitch (1906-1975). Plutôt le portrait d’un artiste dans la paume de Staline, attendant que cette puissante main se referme pour le broyer.
Les symphonies vol. 1, par Kyrill KONDRACHINE, Melodiya
L’intégrale historique de Kondrachine, malheureusement indisponible aujourd’hui en CD, reste sans doute la plus engagée. Incontournable pour qui souhaite prendre Chostakovitch de plein fouet.
Les quatuors à cordes, par le Quatuor BORODINE, Chandos
Avec le Quatuor Borodine, l’auditeur est véritablement au coeur de l’univers de Chostakovitch, sans artifices. Du presque haydnien Quatuor n° 1 au funèbre Quatuor n° 15. L’extrême violence de ses accents, poussée aux confins du « techniquement possible », et la rigueur de l’architecture mettent parfaitement en lumière le caractère oppressant et inéluctable qui sous-tend l’ensemble des Quatuors.
Notes interdites : scènes de la vie musicale en Russie soviétique, par Bruno Monsaingeon, Idéale Audience
Evocation de la période stalinienne en Union Soviétique à travers les rapports entretenus par le pouvoir avec les grands interprètes et compositeurs russes de l’époque : Oïstrakh, Richter, Rostropovitch, Prokofiev, Chostakovitch
Le destin russe et la musique, par Frans C. LEMAIRE, Fayard
L’auteur met en évidence des figures dont il raconte la trajectoire, toutes emblématiques d’une attitude face au régime. Rachmaninov émigre, Stravinsky, qui avait quitté la Russie avant la révolution, reste en Europe. Le cas de Prokofiev est plus troublant. Aussi cosmopolite que Stravinsky, il retourne en URSS où il ne jouit pas de la liberté qu’il avait imaginée… Mais le compositeur auquel Frans C. Lemaire s’attache avec le plus de zèle est Chostakovitch. Son œuvre et sa vie reflètent avec tant de douleur toutes les difficultés auxquelles pouvaient être confrontés les musiciens en URSS.
Les dossiers d’AltaMusica : Chostakovitch l’essentiel, site Internet
Biographie, analyses historiques, musicologiques, discographiques …
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