Girls wanna have sound

À la rencontre de Marion Bondaz

Accordeuse de piano chez Transmusic-Concert

- temps de lecture approximatif de 9 minutes 9 min - Modifié le 08/12/2021 par Juliette A

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

Marion Bondaz - Transmusic Concert

Marion Bondaz pratique le piano depuis l’enfance. Après avoir suivi des études dans la gestion culturelle, elle devient bibliothécaire d’orchestre à l’Auditorium de Lyon pendant cinq ans. Attirée depuis toujours par le métier d’accordeuse de piano, elle choisit de se reconvertir professionnellement et se forme en atelier au sein de l’entreprise familiale Transmusic-Concert, fondée en 1982. Elle y répare, accorde et entretient des pianos pour les concerts ou pour la vente. 

Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours, et comment vous a-t-il menée à votre activité actuelle ?  

Passionnée par la musique et plus particulièrement par le piano que je pratique depuis mes 6 ans, j’ai toujours su que le milieu musical était celui dans lequel je souhaitais m’épanouir professionnellement. Après avoir obtenu mon baccalauréat littéraire option Musique au lycée Jean Moulin dans le 5ème arrondissement de Lyon, j’hésitais déjà énormément à m’orienter vers la formation d’accordeur de pianos, mais j’ai préféré partir à la découverte des autres métiers du spectacle vivant en me tournant vers des études de gestion spécialisées dans le spectacle vivant en faisant un I.U.T GACO Arts (Gestion Administrative et Commerciale des entreprises culturelles et du spectacle vivant). Cette formation universitaire m’a permis d’apprendre les bases de la gestion culturelle tout en ayant un tiers temps me permettant de continuer une pratique artistique intensive du piano et de la guitare.

À la suite de ce diplôme, je me suis perfectionnée dans la gestion culturelle avec une licence professionnelle AGEC qui a été une année de formation professionnelle très enrichissante car elle m’a permis d’intégrer l’Auditorium-Orchestre national de Lyon pour un stage de fin d’études au service de la Production et de la Bibliothèque d’orchestre. J’ai alors découvert le beau métier de bibliothécaire d’orchestre que j’ai d’abord exercé en tant qu’assistante puis au poste de bibliothécaire quelques années plus tard. C’était une chance et un plaisir immense de pouvoir travailler au sein d’un orchestre national pendant près de 5 ans, mais l’appel du piano et mon rêve d’apprendre à accorder les pianos résonnaient en moi de plus en plus fort, j’ai donc décidé de sauter le pas et de me reconvertir dans le métier d’accordeuse/réparatrice/restauratrice de pianos, au sein de l’entreprise familiale. J’ai depuis plus de deux ans, la chance de me former au métier directement avec le chef d’atelier et les accordeurs de l’entreprise.

Photos de Ganses de marteaux - Crédits : Transmusic-Concert

Ganses de marteaux – Crédits : Transmusic-Concert

Est-ce qu’il y a des figures qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ?

J’ai toujours été très touchée par la pianiste Martha Argerich que j’ai eu la chance d’écouter plusieurs fois. Sa virtuosité, son jeu, ses éblouissantes et étonnantes interprétations me laissent toujours sans voix car elle semble toujours parvenir à pénétrer dans les entrailles les plus profondes du piano pour aller y chercher les couleurs et les plus belles nuances que l’instrument peut lui offrir. Il y a toujours une atmosphère de magie qui plane au-dessus d’elle lors de ses concerts. Son rapport à la musique et sa philosophie me touchent aussi énormément car cette pianiste a toujours fait le choix de vivre la musique et le piano de la manière la plus simple et légère possible, en gardant toujours près d’elle l’envie de faire ce métier pour le simple plaisir de jouer et de partager. Lorsque j’ai pris la décision de devenir accordeuse, le but que je me suis fixé est celui d’avoir l’immense privilège de préparer et d’accorder le piano de concert sur lequel Martha Argerich jouera lors de son prochain passage à Lyon. Affaire à suivre… !

Vous êtes aujourd’hui accordeuse de piano, pouvez-vous nous décrire votre métier ? Qu’est-ce qui vous a poussée vers cette activité ?

Mon père a créé l’entreprise Transmusic-Concerts en 1982, en lien avec ma mère qui s’occupe de toute la partie administrative, Transmusic est un peu comme le premier enfant de la famille car j’ai grandi au milieu des pianos dès ma naissance. Nous sommes une petite TPE de 6 salariés permanents, comprenant un poste administratif.

L’activité principale de l’entreprise est la location de pianos de concerts, nous sommes un service concert « Steinway & Sons » et assurons l’intégralité de la prestation ; de la préparation du piano en atelier, jusqu’à la livraison et les accords sur place pour les répétitions et les concerts. Notre rayonnement nous amène à travailler dans toute la grande région Auvergne Rhône-Alpes et l’été est la période la plus stimulante car de nombreux festivals font appel à nos services. Lorsque j’avais 14 ans, mon père m’emmenait l’été sur les festivals sur lesquels il travaillait, notamment sur le festival triennal des Choralies de Vaison-La-Romaine, avec qui nous travaillons depuis plus de trente-cinq ans. C’est pendant cet été-là, en observant les accordeurs travailler sur les 40 pianos livrés par nos soins sur différents endroits du site, que j’ai commencé à rêver au métier d’accordeuse de pianos. Les années sont passées, ce projet était toujours dans mon esprit mais j’ai d’abord décidé de m’intéresser à un aspect plus administratif de l’entreprise avant de réaliser quelques années plus tard que le métier d’accordeuse de pianos était fait pour moi. C’est d’ailleurs en retournant sur ce festival pendant l’été 2019, près de 14 ans après, que ma décision était prise et que j’ai entamé un apprentissage intensif de l’accord du piano.

Photo d'un accordage de piano

Accord – Crédits : Transmusic-Concert

Je pourrais dire que mon métier se dessine sous plusieurs aspects, d’abord avec mes missions dans le cadre de notre atelier de réparation où l’on accueille des pianos « malades » que nous réparons pour des clients, ou bien pour notre showroom où nous exposons et vendons uniquement des pianos d’occasions sélectionnés et réparés par nos soins. Nous sommes un des derniers ateliers de réparation de la région. En tant que réparatrice de pianos, ma mission principale est d’accueillir un instrument qui, parfois n’émet plus de son, pour le remettre en état de forme et de fonctionnement. Le piano est composé d’une multitude de matières vivantes qui bougent avec le temps. La réparation d’un piano demande une extrême minutie et une régularité sans faille car il s’agit de reproduire le même geste pour que le mécanisme des 88 touches du clavier soit régulier lorsque le pianiste joue. Après les réparations, il y a entre 30 heures et 40 heures de travail pour un réglage complet du piano, et ce qui me fascine toujours est que plus l’on avance dans ces réglages, plus l’on se rapproche du son, de la musique, le piano retrouve son timbre et sa voix d’origine et c’est pour moi tout ce qui fait la beauté de ce métier.

Photo d'une réparation terminée

Réparations terminées – Crédits : Transmusic-Concert

Je suis également amenée à restaurer des pianos. Il est question ici de pianos anciens où nous changeons l’intégralité des pièces d’usure, comme une nouvelle vie pour l’instrument. Le piano est intégralement démonté et nous travaillons autant l’aspect esthétique en travaillant sur le meuble (ponçage, revernissage…) que sur l’aspect technique de l’instrument en refeutrant et/ou en changeant toutes les pièces, en restant toujours dans les règles de l’art, en respect et en accord avec sa fabrication d’origine. Il faut environ trois mois pour la restauration complète d’un piano. C’est très passionnant de découvrir les mécanismes et le son de l’époque en fonction de l’année d’un piano, de sa fabrication. Il n’y a jamais de routine dans ce métier car chaque piano que je rencontre est unique, je ne sais jamais réellement à quoi m’attendre en démontant l’instrument.

Photo d'une Restauration d'un Steinway - Crédits : Transmusic Concept

Restauration d’un Steinway – Crédits : Transmusic Concert

photos d'Axes marteaux - Crédits : Transmusic-Concert

Axes marteaux – Crédits : Transmusic-Concert

Le deuxième aspect de mon métier s’organise plus au niveau de l’accord pur du piano, pour les concerts et pour les particuliers ou les écoles de musique. Pour les concerts, il s’agit de préparer l’instrument en l’amenant au maximum de ses possibilités, qu’elles soient techniques ou sonores, il s’agit réellement de se mettre au service de l’exigence du pianiste afin de lui offrir un instrument très haut de gamme, au maximum de ses capacités techniques et sonores. L’été est le moment propice aux festivals en plein air, et j’ai pu cet été travailler sur plusieurs festivals en Ardèche et en Drôme où mon rôle était donc d’accorder les pianos sur toute la durée du festival où des pianistes jouaient chaque jour. Ce sont de très beaux moments de rencontres et de partage, et aussi de challenge car le piano est un instrument très sensible aux fluctuations de température et aux changements d’hygrométrie, les concerts en plein air demandent donc une précieuse assistance de la part de l’accordeur qui doit pallier ces variations extérieures pour permettre aux pianistes de jouer dans les meilleures conditions possibles.

Accord Crédits : Transmusic-Concert

On imagine que ce milieu est plutôt masculin : est-ce difficile de s’y faire une place ? Comme d’autres métiers techniques et physiques (ingénierie son et lumière par exemple), ça peut être une dimension qui peut faire peur aux aspirantes à ces carrières. Quelle est votre expérience à ce sujet, et quels conseils donneriez-vous à des femmes qui aimeraient se diriger vers ce métier ?

Ce métier d’accordeuse/réparatrice de pianos est assez peu pratiqué par les femmes. Dans mon entourage, je connais seulement une accordeuse qui a fait un stage de découverte au sein de notre entreprise et qui a ensuite décidé de se lancer dans le métier en Haute-Loire. Les réactions peuvent être assez curieuses lorsque l’on me voit venir accorder sur un concert, on me demande souvent quel est le féminin du métier d’accordeur, en ajoutant que cela sonne étrangement.

Il est vrai qu’il est plus courant de voir des hommes dans ce métier car outre l’aspect très technique voire mécanique d’un piano, le métier peut parfois demander une certaine condition physique que ce soit dans sa manipulation ou dans les positions parfois peu ergonomiques sur des temps longs lorsque l’on répare ou règle un piano. Le poids de la mécanique d’un piano à queue se situe autour des 30 kgs, et lorsque l’on règle ou harmonise un piano, la manipulation de la mécanique survient très régulièrement. Le tout étant de trouver des combines pour tenter de se faciliter le travail.

Axes marteaux - Crédits : Transmusic-Concert

Axes marteaux – Crédits : Transmusic-Concert

J’encourage réellement toutes les femmes qui peuvent être intéressées par ce métier à ne pas s’arrêter à l’image que l’on peut en avoir, car il est important aussi de souligner que ce métier demande une grande sensibilité tactile, musicale, auditive qui a autant son importance que les aspects physiques du métier. Le centre de formation est l’ITEMM (Institut technologique Européen des Métiers de la Musique), des journées portes ouvertes y sont organisées pour présenter le métier d’accordeur/réparateur de pianos. La formation initiale est d’une durée de deux ans mais peut également être réalisée en accéléré avec une formation très intensive pendant un an.

Votre parcours est très varié : avant d’être accordeuse de piano vous étiez bibliothécaire d’orchestre, pouvez-vous nous décrire ce métier ?

Le premier métier que j’ai exercé est donc celui de bibliothécaire d’orchestre au sein de l’Orchestre national de Lyon. Mon rôle était de préparer et mettre à disposition les partitions pour les musiciens et chefs d’orchestre pour chaque série de concerts. Il y a un travail de recherche en amont des productions une fois que la saison a été décidée par la direction artistique : recherches musicologiques sur les différentes versions des œuvres, recherche d’effectifs de chaque œuvre, achat, location ou recherche des partitions dans le fonds de la bibliothèque d’orchestre. Puis il y a des missions de terrain pendant les répétitions d’orchestre afin d’être sûr que chaque musicien a les partitions qu’il lui faut sur son pupitre pour le concert. Ce métier aujourd’hui m’accompagne encore car j’ai pu comprendre le fonctionnement complexe d’une entreprise culturelle, structures avec lesquelles je collabore aujourd’hui.

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui souhaiterait s’orienter vers ce métier ?

Je pense que même si l’aspect colossal de l’instrument (avec ses 500 kgs et la tension des 220 cordes pouvant parfois atteindre 28 tonnes sur les grands pianos à queue) peut être impressionnant, cela ne doit pas être un frein dans l’envie d’exercer ce métier de passion qui, outre la compétence, demande beaucoup plus de savoir-être comme la patience, la minutie, la curiosité, la persévérance, que la force. Même le transport de piano qui peut être quelque chose d’effrayant est de nos jours réellement facilité grâce à des méthodes et des machines/chenillettes permettant de ne pas s’abîmer le dos, ce qui n’existait pas il y a encore quelques années.

Préparation des réglages Crédits : Transmusic-Concert

Préparation des réglages Crédits : Transmusic-Concert

 

⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici

Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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