Girls wanna have sound

À la rencontre de Vale Poher

Autrice, compositrice et interprète ayant fait ses armes à Lyon

- temps de lecture approximatif de 6 minutes 6 min - Modifié le 09/11/2021 par Luke Warm

Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.

Vale Poher © Sarah Bastin
Vale Poher © Sarah Bastin

Vale Poher est active dans le milieu de la musique depuis maintenant 20 ans, d’abord au sein du groupe Elka Asa puis en solo ou comme moitié de Mensch. Pop, rock, electro, musiques de films, compositions pour l’art contemporain ou le théâtre, featurings, Vale Poher est une touche à tout également investie dans le collectif Barbi(e)turix dont le but est de bousculer les stéréotypes et de promouvoir la culture lesbienne et féminine.

 

Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous arrivée à faire de la musique votre métier ?

Je fais de la musique depuis que je suis ado. J’ai vite écrit mes propres chansons car je n’arrivais pas à jouer celles des autres et c’était naturel pour moi. J’ai ensuite mis tout ça de côté, en poursuivant des études assez longues. J’ai joué dans pas mal de groupes pop rock où je n’ai jamais pu proposer mes compos.

Un jour je me suis lancée avec une amie qui jouait du violon (Marine) et ça m’a emportée.

J’ai mis un pied dans le monde professionnel avec le premier groupe que j’ai monté Elka Asa (avec Olivier à la batterie et Marine au violon) puis j’ai passé le cap en solo.

J’ai enregistré mon premier album en autoproduit Mute en 2005.

Et tout s’est enchaîné à ce moment-là : j’ai dû quitter mon travail car je n’arrivais plus à suivre avec les concerts. Je suis devenue intermittente.

J’ai rencontré d’autres artistes venant du théâtre comme Vincent Roumagnac, ou l’artiste contemporain Saâdane Afif, et j’ai enchaîné les collaborations.

À Lyon, grâce à Dandelyon, la géniale pépinière de musique pop créée par Scalde (Arandel), j’ai beaucoup tourné et bénéficié d’une visibilité rare pour des artistes émergents. Il y avait un vrai élan collectif et une réelle émulation, c’était super.

Puis on a monté Mensch avec Carine Divita (Marilou). On a sorti deux albums chez Tsunami Addiction en 2012 et 2015 (Mensch et Tarifa) qui ont reçu un super accueil. On a beaucoup tourné en France et à l’étranger.

J’ai quitté Lyon pour Paris. J’ai continué parallèlement à faire de la musique en solo en signant des BO (série Fluide sur Arte, films de Vergine Keaton) et en sortant des EP (Pacific PeplumVertige Moderne).

Je termine actuellement un album.

Quelles sont les figures féminines qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Au contraire, y a-t-il des figures qui vous ont manqué dans cette identification ?

Quand j’étais ado, il n’y avait pas beaucoup de figures féminines visibles mais il y en avait quand même. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas mais elles n’étaient pas mises en avant dans les médias. Il n’y avait pas internet et on avait le choix de voir que ce que les médias nous proposaient donc c’était très limité.

Enfant, le premier choc c’est Catherine Ringer. Les Rita Mitsouko étaient au Top50, à la radio, mais c’était quelque chose de différent qui m’attirait. Je ne comprenais pas encore pourquoi. Sa façon de chanter, sa liberté, je voulais faire ça. Chanter comme ça.

Ensuite la figure qui m’a marquée, c’est Janis Joplin. La transe qu’elle dégageait sur scène, sa voix, puis son parcours qui résonnait en moi : issue d’une petite ville perdue, elle avait réussi à faire ce qu’elle voulait. Elle semblait n’avoir peur de rien. Ca me parlait. Elle me disait : tout était possible !

Dans ma chambre en Ardèche, ça m’a portée. Je me suis dit que rien ne m’arrêterait, la musique c’était plus fort que tout !

Après il y a eu Björk, PJ Harvey, les riots grrls, Cat Power

 

En tant que femme, avez-vous parfois éprouvé des difficultés pour faire votre place dans ce milieu musical ?

En tant que femme se faire une place est difficile n’importe où. Les places sont prises par les hommes, ils en ont laissé quelques-unes qu’ils ont choisies pour nous comme appropriées. Il faut rentrer dans leur moule.

Mais depuis quelques temps, les choses changent.

Les femmes sont mieux représentées, et cela dans tous les postes du milieu musical. Mais il y a encore du chemin à faire. Surtout dans les postes décisionnaires. Et la clé est là.

J’ai eu des difficultés comme toutes les femmes, en étant ramenée sans cesse au fait que je sois une femme, en subissant remarques misogynes et préjugés. Mais j’ai connu beaucoup de solidarité et d’entraides, sans ça je n’y serai pas arrivée.

Je pense notamment à Stéphane de S’étant Chaussée Lyon, aux Ladyfest qui m’ont permis de jouer à l’international et de créer un réseau solide, à Stéphane des Femmes s’en mêlent. Mais aussi à des structures alternatives comme le Sonic, ou des salles comme L’épicerie moderne qui ont été importantes pour moi.

live @L’epicerie moderne – Lyon / France – Sept 2010

 

Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. Quel est votre regard sur cette actualité ? Que pensez-vous des initiatives comme D I V A, Paye Ta Note ou Change de disque ?

Je suis très contente de cette libération de la parole et je soutiens à 100% ces initiatives.

Ce n’est pas facile de parler, les femmes qui le font ont beaucoup de courage car le risque d’être blacklistée dans un petit milieu où tout le monde se connait est plus que réel.

Certaines risquent la carrière qu’elles ont mis des années à construire. Mais la peur doit changer de camp.

 

Vous êtes investie dans le collectif Barbi(e)turix qui promeut notamment des programmations largement féminines. Cette démarche découle-t-elle d’un constat d’un manque de représentativité dans les programmations et de l’importance de la sororité pour y répondre ? Pouvez-vous nous parler des actions du collectif ?

Cette démarche s’est faite naturellement. J’évolue aussi dans le milieu queer. On est solidaires, on se serre les coudes et on s’entraide. Il est important que ces soirées existent avec des programmations qui représentent le public et où il peut se sentir safe. La fête est politique aussi. C’est un lieu où les minorités se construisent et existent.

 

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans une carrière musicale ?

Donner des conseils est une grande responsabilité.

Je dirais plus simplement d’écouter toujours son instinct, d’être soi-même et de croire toujours en sa musique quels que soient les remarques et les conseils, justement !

Et penser toujours collectif et solidaire.

 

⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici

Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.

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