Girls wanna have sound
À la rencontre de Tachka
Autrice, compositrice et interprète lyonnaise
Publié le 08/11/2021 à 09:00 - 17 min - Modifié le 09/03/2023 par Julie
Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.
Tachka fait ses débuts sur la scène lyonnaise en 2010. Pianiste à l’origine, elle compose également à la guitare et au ukulélé. Ses textes se veulent poétiques, ironiques avec parfois des pointes d’humour mordant…
Quel est votre parcours, comment vous a-t-il menée jusqu’aux différents projets que vous avez aujourd’hui ?
Je n’ai pas un parcours “typique” dans la musique, par cela j’entends que je n’ai pas suivi de réelle formation académique. Je l’ai eue sous d’autres formes en suivant un parcours de Master Recherche LLCE en Anglais, puis en passant quelques années plus tard l’agrégation d’anglais. J’écris de la musique depuis l’adolescence et pourtant ce n’est qu’aujourd’hui à l’âge de 31 ans que je me sens légitime de dire que je suis musicienne et que j’ose faire le pari d’en vivre. En pleine pandémie, ça s’appelle choisir son timing. Adolescente, j’ai suivi des cours de piano, un peu en dilettante car je me reposais beaucoup sur le déchiffrage auditif. J’ai suivi à la même période des cours de chant qui m’ont permis d’explorer ce dont j’étais capable vocalement. Ma voix est pour moi ma grande force. Peu de choses me font peur quand il s’agit de chanter et je pense que cela nourrit beaucoup mon éclectisme, dans mes compositions et le choix de mes projets. Cela fait 10 ans que je suis autrice-compositrice dans Tachka, mon projet le plus ancien et le plus personnel avec lequel j’ai sorti deux albums en autoproduction “Balbutiar” (2014) et “Volcan”(2019). Je fais partie du collectif “Portraits de voix”, collectif de chanteuses lyonnais transdisciplinaire. Je chante dans The Vintage Music Club qui reprend des standards rock des années 50 et 60 et travaille à la création de chansons pour un nouveau groupe de rock punk, pour l’instant très mystérieux puisqu’il n’a pas encore de nom.
Quelles sont les figures qui vous ont marquée dans votre parcours ? Celles auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Au contraire, y a-t-il des figures qui vous ont manqué dans cette identification ?
Ma mère a beaucoup joué dans ma construction de femme et de musicienne. Elle m’a toujours encouragée à faire de la musique mais aussi à faire, oser, tout simplement. C’est très précieux d’avoir quelqu’un auprès de soi qui ne doute pas de nos capacités à accomplir des choses alors qu’on est soi-même pétrie de doutes! Mes amies de longue date m’ont toujours encouragée dans ce que j’entreprenais et cette sécurité émotive m’a également aidée à prendre confiance en ce que je faisais.
Musicalement parlant, je me rends compte que j’ai toujours cherché des modèles féminins forts avec des voix singulières ou puissantes. A l’adolescence, je n’écoutais presque que des femmes. Ce n’est sûrement pas un hasard que je sois devenue lesbienne! (Rires) Les Spice Girls, Shania Twain, Christina Aguilera et Britney Spears m’ont littéralement appris à parler anglais. Regina Spektor et Fiona Apple m’ont appris qu’on pouvait se libérer des formats traditionnels de chansons et qu’on pouvait jouer avec les dissonances, les bruitages, en somme que le “laid” pouvait être beau. Nina Simone et Billie Holiday m’ont appris qu’on pouvait faire parler un silence, jouer avec le relief d’un mot et décupler sa force. Karen O des Yeah Yeah Yeahs, Sallie Ford (Sallie Ford & The Sound Outside), Merrill Beth Nisker des Peaches, Annie Clark de St Vincent m’ont montré qu’on pouvait être chanteuse, musicienne, excentrique et revendicative. Plus récemment, je suis le travail de Noga Erez et de La Chica car j’adore la façon dont leurs univers musicaux et visuels s’entremêlent.
Parmi ces artistes, seule La Chica est française (franco-vénézuélienne pour être précise) et elle fait partie de mes découvertes récentes. J’ai peiné à trouver des modèles équivalents en France, tout du moins chez les musiciennes qui ont reçu une reconnaissance médiatique à grande échelle. J’ai rarement découvert des artistes féminines aux univers artistiques réellement affirmés et singuliers à part peut-être Mylène Farmer (que j’ai aussi beaucoup écoutée) ou Maïdi Roth et son album “Polaroïd” qui est passé complètement inaperçu, même à l’époque de sa sortie. Je connais aujourd’hui l’existence d’Anne Sylvestre, Catherine Ringer, Brigitte Fontaine mais je n’ai pas grandi avec alors l’impact n’est pas le même. Je note quand même qu’à l’échelle lyonnaise, je connais aujourd’hui plein de musiciennes talentueuses et inspirantes qui possèdent leur univers propre. Je pense entre autres à Lily Luca, Karine Daviet, Ultramoule, Bess of Bedlam, Erotic Market, Camille des Black Lilys, Juliette des Nazca, Melba, Claire Days, Rosemarie… Pomme aussi est lyonnaise! Je suis vraiment fière qu’on compte toutes ces pépites rien qu’à l’échelle locale.
Le milieu musical reste un milieu plutôt masculin (production, programmation de spectacle, ingénieur du son…) votre genre (sexe/appartenance sexuelle?) vous a–t-il à un moment de votre parcours semblé être un obstacle ?
Enfant, j’étais peu consciente que mon genre pouvait m’entraver dans quoi que ce soit. Aucun de mes parents ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas faire quelque chose à cause de mon sexe. Malgré tout, à l’adolescence, plutôt que d’assumer mon envie de faire de la musique, je me suis tournée vers les études anglophones, puis vers l’enseignement, un parcours traditionnel dans lequel les femmes dominent les bancs de fac. C’était, je pense, ma première manifestation d’auto-censure. Avec l’entourage dont je disposais, je suis sûre qu’on m’aurait soutenue si j’avais insisté pour entamer un cursus professionnalisant en musique. Mon approche intuitive de la musique m’a convaincue qu’un tel parcours n’était pas pour moi puisque j’associais l’apprentissage de la théorie de la musique aux maths et que même en travaillant, mes résultats étaient passablement mauvais dans cette matière. Je me suis dit que le Conservatoire devait ressembler à une prépa de maths. C’est dommage car je sais aujourd’hui avec le recul que la musique n’est pas qu’une suite logique de calculs. Je n’ai même pas fait de recherches sur les parcours que j’aurais pu faire, j’étais convaincue que je n’y arriverais pas, que ce n’était pas pour moi. Je trouve que c’est révélateur du manque de confiance qui prédomine chez les femmes. Dernièrement, j’ai écouté un podcast sur “le syndrome de l’imposteur” sur Louie Media qui m’a aidée à comprendre ce comportement d’auto-sabotage. Si le syndrome de l’imposteur n’est pas réservé uniquement aux femmes, il me semble qu’il est plus répandu chez elles, notamment lorsqu’elles cherchent à intégrer des milieux majoritairement occupés par des hommes. Mes idoles musiciennes de l’époque étaient trop distantes et immatérielles pour constituer une passerelle vers un parcours professionnel concret dans mon esprit.
J’ai malgré tout continué à jouer de la musique en parallèle de tout ce que j’ai fait par la suite. En repensant à mon parcours d’artiste-indépendante-pas-complètement-assumée, je me demande s’il ne m’a pas, de façon indirecte, préservée d’une partie du sexisme présent dans l’industrie de la musique. Oui, j’ai eu des remarques lourdaudes et des conseils que je n’avais pas demandés de la part d’hommes mais cela me paraît mineur par rapport à ce que vivent certaines. Je crois que cela s’explique en partie par le fait que j’ai toujours financé mes projets moi-même, j’ai toujours pu choisir avec qui je collaborais pour mes enregistrements, mes tournages, mes shootings et j’ai toujours pu démarcher les lieux qui m’intéressaient. Je n’ai jamais été dépendante financièrement d’une structure ou forcée d’accepter des projets à contre-coeur pour valider une intermittence car j’avais une source de revenus secondaire à côté. J’ai donc évolué dans un environnement assez sécurisant puisque j’en écrivais globalement les règles. Jusqu’à aujourd’hui. On en reparlera dans un an (Rires) ! J’ai conscience d’avoir eu de la chance jusque là car je n’ai pas besoin de chercher bien loin des récits rapportés de musiciennes devant se conformer à la “vision” de leur label et/ou de leur manager, des hommes en l’occurrence, qui s’immiscent en toute bonne conscience à chaque étape de leurs créations, musicales ou visuelles sous prétexte de “connaître le métier”. Je trouve ça complètement insupportable.
Pensez-vous qu’il soit plus facile de se faire prendre au sérieux et respecter dans ce milieu quand on est homme ?
Je pense que la plupart des hommes doutent moins que les femmes de leur légitimité à occuper une place dans l’espace public. Il est indéniable que l’entre-soi masculin qui existe dans le milieu de la culture a un impact sur la façon dont on évalue les compétences des femmes, tant en tant que professionnelle dans le milieu de la culture qu’en tant qu’artistes. Des hommes collaborant en permanence avec d’autres hommes accorderont instinctivement plus de crédit à des projets portés par des hommes par mimétisme. Cela n’a rien d’étonnant. Je sais que je suis plus sensible à la musique portée par des femmes et je n’ai pas de problèmes à le reconnaître. Ce qui est agaçant c’est que cette partialité soit rarement reconnue, plus encore lorsqu’il est question de redistribuer l’argent public. L’évaluation soi-disant “objective” du talent n’existe pas et pourtant on nous dit encore que l’absence de femmes résulte du fait que les hommes étaient tout simplement plus compétents. J’aime beaucoup cette citation de Reine Prat qui avait déjà en 2009 signalé la faible représentation des femmes dans les instances culturelles lors de la publication de son rapport. Je la cite un peu librement : elle explique qu’au XXIe siècle la croyance du talent inné persiste (et donc assurerait la qualité du travail) alors que c’est faux. Pour une écrasante majorité d’artistes, c’est le soutien financier et/ou l’accompagnement logistique qui nous donne la possibilité de créer, de prendre le temps de perfectionner nos œuvres. Si les hommes reçoivent en majorité des financements des pouvoirs publics, qu’ils sont sur-représentés dans les programmations culturelles, qu’ils bénéficient des accompagnements artistiques les plus prestigieux, je pense qu’on peut dire sans l’ombre d’un doute qu’il est plus facile de se faire prendre au sérieux et respecter dans ce milieu quand on est un homme et que cette disparité est très problématique. Le dernier rapport d’HF Auvergne-Rhône Alpes publié en 2020 montre que ces disparités persistent encore largement.
Qu’auriez-vous envie de dire à ces hommes qui vous entourent et qui utilisent le mansplaining (mecsplication)?
Je leur demanderais de faire moins d’affirmations, de (se) poser plus de questions, d’essayer parfois de se taire et voir ce qui se passe. Pour moi, le mansplaining est le résultat d’un manque d’empathie doublé d’un manque d’humilité. Ce sont des qualités qu’il faut cultiver activement chez tout le monde si on souhaite tous-tes oeuvrer pour une société plus juste et égalitaire. Je pense que cela demande un certain effort de travail sur soi, souvent désagréable mais toujours nécessaire, et de développer un regard critique sur la construction de la masculinité. Je trouve que le podcast “Les couilles sur la tables” de Victoire Tuaillon est une belle entrée en la matière et aborde ces questions en rendant justice à leur grande complexité.
Dans votre reportage sur Youtube « Histoire de salop.e » (cf vidéo youtube ) vous dites que vous avez beaucoup pleuré en écrivant “Salop.e” et que ce mot n’est que synonyme de douleur pour de nombreuses femmes… alors quelle a été votre motivation pour écrire une chanson dessus ?
Deux évènements ont impulsé l’écriture de “Salop.e”. Le premier était une publicité pour une chaîne de salons de coiffure que j’ai vue dans la rue. Elle représentait une Barbie torse nu avec un bandeau promotionnel au niveau de la poitrine sur lequel il était écrit “A poil les prix”. Nous sommes exposées en permanence au sexisme dans la pub, je ne sais pas pourquoi celle-là m’a plus interloquée plutôt qu’une autre. Tout était que je suis rentrée chez moi avec l’image de la Barbie nue qui servait comme argument de vente. J’ai écrit une première version de la chanson dans laquelle mon personnage de Barbie se contentait de se complaire dans ce rôle de faire-valoir commercial. Je n’étais pas convaincue, j’ai mis la chanson de côté. Jusqu’à l’affaire Weinstein et l’émergence du mouvement #MeToo. J’ai été bouleversée par le nombre de témoignages qui résonnaient avec le mien, notamment sur la question du viol qui est une expérience douloureuse avec laquelle j’ai moi aussi dû apprendre à vivre. J’ai ressorti mon texte, l’ai remanié bien des fois avant d’arriver à un résultat où l’ironie me semblait bien dosée. C’est à cette étape que le mot “Salope” est sorti tout seul lorsque je m’enregistrais en improvisant. Au début, je me suis dit “Non, quand même, tu ne peux pas dire ça ! Personne ne va comprendre d’où ça sort cette violence !” Au final, j’ai senti qu’il était plus important pour moi de donner de la visibilité à cette réalité plutôt que de préserver mon confort personnel.
Plutôt que la censure du mot vous avez préféré la répétition excessive (112 fois dans la chanson) et vous dites qu’à force de le répéter, de le chantonner, il a fini par se vider de son sens et à devenir artistique. Pour l’avoir écouté plusieurs fois, il est vrai que ça semble fonctionner !! (Tout comme vous quand je l’entends je pense maintenant aux cordes à sauter !) … On se pose donc la question de savoir si les campagnes dont vous parlez également dans ce reportage et qui utilisent la censure ne sont pas contre-productives? Avez-vous eu des retours d’associations féministes sur votre chanson et sur ce reportage ?
Je n’aurais pas la prétention de dire que les campagnes de sensibilisation aux violences sexuelles faites aux femmes sont contre-productives. Elles sont vitales car elles donnent de la visibilité à une réalité dont l’envergure est souvent minimisée et constituent par ailleurs une passerelle efficace vers les structures d’accueil pouvant aider les femmes sujettes aux violences sexistes. En 2017, les TCL lançaient une campagne de sensibilisation au harcèlement sur le réseau avec des slogans tels que “Une main baladeuse…un pied en prison”, “Il agit en prédateur…nous réagissons”. Je ne suis pas sûre de la portée pédagogique d’une telle campagne mais elle reste à mon sens bonne à prendre car elle a au moins le mérite de mettre des mots sur un phénomène nocif et réel. Mon choix de répéter tant de fois le mot “salope” était pour moi une manière de l’épuiser complètement de son sens, de le décrédibiliser. C’était comme de dire à mes agresseurs passés ou futurs: “Tu pensais que ça allait me faire quelque chose? Je m’en fous moi, ce mot j’ai du le dire plus de 5000 fois maintenant! Il ne t’appartient plus!” Je pense que nos attaques contre le patriarcat peuvent et doivent être multiples, créatives et surprenantes pour avoir un réel impact. Pour ce qui est de retours d’associations féministes, je n’en ai pas eu mais j’avais envisagé que cela arrive. Je conçois que ce choix artistique puisse déranger et être considéré comme contre-productif. Je pense honnêtement que l’absence de retours réside dans le fait que je ne sois pas exposée sur la grande scène médiatique. Cela m’a été confirmé lorsque le site d’information “Mr Mondialisation” (1,5k d’abonnés) a relayé mon clip quatre mois après sa sortie en le présentant comme “la chanson engagée de la semaine”. Si j’avais été plutôt préservée de réactions violentes jusque là j’ai, en l’espace de 24h, essuyé une ribambelle de commentaires haineux. Malgré cela, j’étais quand même contente de voir que la chanson suscitait des réactions. Je me suis dit que si l’internet n’offrait pas la place pour des discussions productives sur le sujet, elles auraient peut-être lieu ailleurs de vive voix.
Généralement vous écrivez et chantez en anglais. Était-ce pour vous une nécessité que d’écrire celle-ci en français ? Pensez-vous que ce type de harcèlement à l’encontre des femmes est plus marqué en France ? D’ailleurs vous avez vécu un an au Canada, les choses étaient-elles différentes ?
Oui, c’était une nécessité de l’écrire en français. Elle s’est présentée de façon évidente en français, comme tous les textes que j’ai écrits à la même époque qui émanaient d’émotions vives. Je pense que j’avais besoin d’être comprise à 100%. Il m’arrive souvent d’être ironique en anglais comme en français. Je voulais que cette dimension transparaisse et que, paradoxalement, les ambiguïtés soient parfaitement limpides.
Mon année au Canada m’a effectivement appris beaucoup de choses, notamment que le harcèlement sexuel n’était pas forcément une fatalité dans l’espace public. En arrivant, j’ai été surprise que les femmes sortent en boîte en robe ultra-courte, sans collants et même sans veste pour éviter de payer le vestiaire alors qu’il faisait -10°C dehors. J’ai aussi été surprise de voir que les hommes étaient généralement plus respectueux et attentifs à mon consentement. Je n’étais pas habituée. La situation en France est moins confortable. Dans beaucoup d’échanges avec d’autres femmes, je retrouve toujours cette prise en charge mentale de ce qui pourrait nous arriver dans l’espace public. Ne pas emprunter telle rue, ne pas attirer l’attention, ne pas porter telle tenue, enfiler les clefs autour du poing. Au cas où. On parle de harcèlement sexuel mais il n’est pour moi qu’une manifestation vivante du patriarcat. Si tout le monde condamne globalement le harcèlement sexuel, je trouve qu’il est difficile de créer le même consensus autour de la nocivité du patriarcat. J’en fais l’expérience régulièrement dans des discussions avec des hommes et des femmes qui peuvent se sentir personnellement visés lorsqu’on aborde la question et ses conséquences néfastes sur les femmes. Je trouve que la remise en question est un exercice compliqué en France car elle est presque systématiquement associée à un aveu de faiblesse ou à une concession humiliante d’avoir commis une faute alors qu’elle est pour moi au contraire synonyme d’intelligence émotionnelle. Lorsque j’entends la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal s’offusquer qu’on fasse la chasse à “l’homme blanc” en caricaturant grossièrement les propos de certaines chercheuses féministes, ça me fatigue. On nous pousse dans des antagonismes grossiers, des oppositions binaires alors que la réalité est juste complexe. Ecouter les minorités, et donc se remettre en question, est perçu comme une menace de l’ordre existant. Et c’est tellement vrai! Mais la remise en question est nécessaire dès lors que l’ordre patriarcal existant exclut, sans s’en inquiéter réellement, les femmes mais aussi les personnes racisées, LGBTQ+ et les personnes à mobilité réduite.
C’est la première fois que vous écrivez sur un thème en relation avec la condition féminine. Pourquoi en avez-vous ressenti le besoin à ce moment-là ? Pensez-vous que les mouvements qui se développent actuellement (me too/ balance ton porc/music too…) aient pu en être un élément déclencheur ? Et plus largement, pensez-vous que ces mouvement participent à donner une force collective aux femmes qui sont victimes de ces situations ?
A vrai dire ce n’est pas la première fois que j’écris sur les femmes! ‘Balbutiar”, “Three Daughters” et“Pumpkin Pie” relatent des histoires de femmes. De façon moins percutante peut-être, quoique “Pumpkin Pie” raconte très concrètement la détermination implacable d’une femme des suburbs américains à remporter le concours de la meilleure tarte. Ironie, quand tu nous tiens. Je pense qu’il est important et passionnant que les femmes se réapproprient leurs propres histoires.
Comme pour d’autres, les mouvements #MeToo et #Balancetonporc ont été déterminants pour moi en tant que femme et artiste. Il ont permis une passerelle entre le privé et le public qu’on a toujours un peu peur de mélanger en France. Le débat pesant sur la dissociation entre l’homme et l’artiste est une des manifestations de cette crainte. Je me réjouis que des femmes rebondissent sur ce moment incroyable de libération de la parole pour le faire perdurer dans le temps. Je pense que ces récits ont donné de la force à beaucoup de femmes au moment de l’émergence du mouvement mais je pense aussi qu’ils ne sont pas une fin en soi. #Metoo et #Balancetonporc ont été un exutoire pour beaucoup d’entre nous mais la dimension collective virtuelle a des limites. On peut vite retourner dans notre train-train quotidien et se remettre à intérioriser des violences. Rejoindre des cercles de femmes, ponctuels ou réguliers, m’a personnellement fait un bien inimaginable car ils me permettaient non seulement de parler de situations violentes ou frustrantes auxquelles j’étais confrontée mais aussi d’entendre ces mêmes récits dans la bouche de femmes que je ne connaissais parfois même pas. On se sent tellement moins coupable quand on se rend compte que nos épreuves sont dues à un problème systémique et non à un problème isolé et individuel dont on doit assumer toute la charge mentale!
Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans la musique?
Echanger avec d’autres musiciennes et ne pas hésiter à provoquer les rencontres. Ne pas hésiter à demander conseil ou à s’inviter mutuellement à prendre un café même si on ne se connait que de loin. Ces partages d’expériences sont toujours enrichissants. A plus large échelle, rencontrer d’autres musicien-nes à travers les concerts, les collectifs d’artistes, permet d’aborder d’autres problématiques auxquelles nous sommes tous-tes confronté.es. Il existe aussi des réseaux professionnels (Dispositif Avant-scène, Lobster etc…) qui permettent de mettre en lien les pros et les artistes mais aussi les artistes entre eux. Les stages et les ateliers, qu’importe le thème, sont également de bons moyens de faire la connaissance d’autres musiciens. Je trouve vraiment cela rassurant de se rendre compte que l’on n’est pas seule. Le temps que l’on consacre en tant que musicien-nes aux réseaux sociaux augmente l’effet de comparaison et le sentiment de ne pas en faire assez, de ne pas avoir assez de vues, de ne pas avoir assez d’actus etc… Rencontrer d’autres personnes partageant le même ressenti permet de désamorcer certaines appréhensions par le partage d’expériences mais aussi de rester en lien avec le réel.
⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici
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03/12/2021 – A Thou Bout de Chant pour la release party de ‘”Volcan”
Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.
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