Girls wanna have sound
À la rencontre de Lyne Robert
Manageuse et bookeuse
Publié le 29/10/2021 à 09:00 - 11 min - Modifié le 03/11/2021 par Alfons Col
Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.
Trésorière de la FDMA (Fédération des Développeurs et Managers d’Artistes), Lyne Robert est manageuse du duo folk Yannick Owen et accompagne le groupe de rock en français Nadejda dans leur développement depuis plusieurs années.
Quel est votre parcours, comment vous a-t-il menée jusqu’au métier que vous faites aujourd’hui ?
J’ai fait des études de psychologie du travail, et j’ai dans une première phase de mon parcours accompagné des entreprises sur des dynamiques d’amélioration, en tant que consultante. Ça touchait à pas mal de secteurs : le recrutement, l’organisation du travail, la gestion des compétences, et la sécurité.
En 2017 je crois, quand j’en ai eu marre de ne pas changer le monde en étant psychologue du travail, la structure Jaspir Prod basée dans le Nord Isère cherchait un chargé de diffusion, c’est à dire quelqu’un pour vendre des spectacles. J’ai été encouragée par plusieurs de mes proches, dont certains qui bossaient dans le secteur. J’ai tenté le coup. Et du jour au lendemain je n’étais plus psychologue du travail mais chargée de diffusion. Avec des artistes qui attendaient de moi que je leur trouve des dates de concert. Ça a été un long combat ensuite, et ce n’est pas fini, pour monter en compétences, trouver le rôle et les partenaires qui me convenaient.
J’ai donc fait un an et demi chez Jaspir Prod, la structure qui m’a permis de mettre le pied à l’étrier. La suite, je l’ai complètement façonnée (après une bonne année de doute) pour arriver à la façon dont je travaille aujourd’hui. J’ai beaucoup appris avec l’équipe de la SMAC des Abattoirs. Sans qui je ne serais probablement pas en train de vous raconter ça aujourd’hui. Ils m’ont permis de continuer à me former, et j’y ai rencontré de futurs collaborateurs.
Pouvez-vous décrire votre métier ?
Je peux essayer ! Mais déjà il faut préciser que j’ai plusieurs casquettes (ou chapkas, ça dépend). Je fais de la vente de spectacles, comme je le faisais lorsque j’étais chez Jaspir Prod. Ce métier consiste à repérer parmi les organisateurs de concerts ceux qui sont susceptibles de s’intéresser aux artistes avec qui tu travailles. Cela peut être des festivals, des salles de concerts, des services culturels. Et ces gens-là sont très sollicités par énormément d’artistes. Donc ton boulot c’est de réussir à les intéresser à ta proposition. Et c’est là qu’on rejoint le côté « conseil et management » car ce qui va intéresser ces personnes qu’on appelle les programmateurs, c’est un artiste qui a une bonne stratégie par ailleurs : qui a une communication attrayante, de belles vidéos, une identité visuelle, mais aussi des relais dans les médias, une présence sur les plateformes de streaming…
Donc la vente de spectacles c’est une finalité mais il y a une réalité derrière qui est bien plus large.
Soit l’artiste gère cette réalité en autonomie. Soit il a un manager. Moi j’ai pris l’habitude de m’investir beaucoup sur cette partie là. D’abord avec Nadejda que j’accompagne depuis plusieurs années. Et avec Yannick Owen qui est un duo de pop/folk originaire de l’Ain pour qui j’ai eu un énorme coup de cœur et dont je suis devenue l’heureuse manageuse. Concrètement, les artistes (Lilie et Yannick dans ce projet) apportent la matière musicale, leurs personnalités, leur talent. Moi je cale avec eux les objectifs de travail, les étapes du planning, et je fais du suivi. Lorsqu’on a une difficulté pour avancer, quelle qu’elle soit, j’amène des pistes pour solutionner. Je n’ai pas toujours la réponse. Souvent même je ne l’ai pas car les problèmes sont innombrables et toujours différents. Mais il faut la trouver. Et c’est moi qui remue ciel et terre jusqu’à leur apporter une réponse. C’est un rôle un peu subtil car je ne décide rien pour eux. Mais je me dois de ne pas les laisser seuls face à leurs décisions.
La musique était-elle une passion avant de rentrer dans le monde musical ?
Un jour (j’avais 12 ans à peu près) j’ai entendu un truc à la radio qui a énormément impacté ma vie. Le morceau s’appelait « Losing my Religion ». Il est magnifique. Aujourd’hui encore quand je l’écoute, ça me bouleverse. Je pense que c’est ce groupe, R.E.M., qui a créé ma vocation, véritablement.
Et ça a continué… A 17 ans, je faisais les vendanges avec une copine dans le Beaujolais. Et un soir on est passées devant une gare, où il y avait une affiche qui disait que Muse jouait à la Halle Tony Garnier le lendemain. On s’est enfuies des vendanges pendant la nuit, pour aller là-bas. Je me marre encore quand j’y repense, on a fait nos valises et on s’est tirées sur la pointe des pieds en pleine nuit, pour aller voir Muse le lendemain. C’était trop cool. J’ai commencé à être addict aux concerts à partir de là. Au début je faisais surtout des gros concerts. Puis j’ai découvert les petites salles, les cafés concerts. Et ma vie s’est cristallisée autour de ce monde-là.
Le constat sur la place des femmes dans la musique est assez net : en 2019, 14% seulement d’artistes femmes étaient programmées dans les festivals français. Selon vous, est-ce qu’il y a un enjeu à avoir davantage de parité au sein des labels, que ce soit en terme d’artistes représentées, que de postes décisionnels occupés par des femmes ? S’il y avait plus de femmes dans les labels est-ce que ça concourrait à une plus grande visibilité des projets artistiques menés par des femmes ?
Il y a peu d’artistes féminines sur les scènes, et il y a également peu d’artistes féminines dans les locaux de répétition. Déjà dans l’accès à cette pratique, qu’elle soit amateure ou professionnelle, on remarque de grosses inégalités. J’ai écouté un excellent podcast d’une table ronde organisée par PRESAGE, un programme de recherche sur le genre de Sciences Po, où une intervenante disait qu’en 2018, il y avait 17 % de femmes seulement parmi les sociétaires de la SACEM.
A tous les niveaux, et par une discrimination structurelle et omniprésente, les femmes se font décourager dans ce secteur. Et il y a de quoi se décourager quand on se lance en tant qu’artiste, déjà. Mais il y a encore plus de barrières à franchir pour les femmes. Le Syndicat national des artistes musiciens a réalisé une enquête en 2019 auprès de 328 musiciennes qui dépeint ces réalités là. On trouve des exemples récurrents de chantage sexuel à l’embauche, des discriminations liées au physique. Sans parler d’un sexisme quotidien, ordinaire car banalisé, qui revient sous des messages dévalorisants.
Et ensuite, comme vous l’évoquez, les postes à responsabilités dans l’industrie musicale sont occupés majoritairement par des hommes. Ce qui impacte les visions, les choix, les croyances. Dans le podcast que je citais, il y a une personne d’Universal Music France, une femme, qui est la seule directrice de label à l’époque (2019) qui explique qu’il n’y a aucune femme parmi les directeurs artistiques, très peu de femmes aux postes de direction marketing, et par contre un nombre important de femmes sur le poste de cheffe de projet qui est hiérarchiquement celui d’en dessous. C’est un poste plus opérationnel qui nécessite d’être très en lien avec les artistes et de piloter beaucoup de choses. Les femmes y sont nombreuses, très efficaces, mais ne passent pas à l’échelon supérieur comme s’il y avait le fameux plafond de verre qui limite l’accès à davantage de leadership.
Source :
Pour notre projet d’interview nous avons eu beaucoup de mal à trouver des femmes manageuses de groupe : pourquoi est-ce si rare de voir des femmes sur ce type de profil ? Quels sont les freins qui empêchent leur accès à ces postes ?
Sur ce métier spécifiquement, je n’ai pas les chiffres mais j’ai écouté dernièrement un podcast où la question était posée. Les manageuses qui témoignaient (elles étaient deux) expliquaient qu’il y avait en fait pas mal de femmes sur ces missions. Ça correspond peut-être à ce que j’évoquais tout à l’heure sur les cheffes de projet. C’est assez opérationnel de faire du management, il y a une part importante de relationnel avec les artistes et d’orchestration qui nécessitent beaucoup d’assiduité et d’organisation. Beaucoup de maîtrise de soi et d’abnégation aussi. Peut-être (je dis bien peut-être) qu’à ce jeu-là, les femmes savent s’y prendre.
Mais pour être certaine de te parler uniquement de ce que je connais, il y a des manageuses autour de moi. Ce qui fait peut-être qu’on ne les repère pas nécessairement, c’est qu’elles ont souvent plusieurs activités. Donc l’info est distillée. Ou rendue un peu opaque par le fait qu’on a parfois une posture de management, sans administrativement l’officialiser par un mandat.
Que pensez-vous des initiatives comme Mewem, le programme de mentorat de la FELIN, qui vise à accompagner les entrepreneuses de l’industrie musicale dans leur projet professionnel ? Faut-il être proactif pour accélérer l’égalité femme/homme dans ce milieu ?
J’ai découvert le MEWEN par une collègue qui fait partie du programme cette année, et dans un esprit proche il existe aussi le dispositif WAH! sur lequel j’ai d’ailleurs candidaté. Je n’ai pas été retenue mais une autre collègue fait partie des mentorées, cela me convient tout autant !
Ce sont des initiatives qui me plaisent par leur caractère très concret, et par l’état d’esprit tourné sur le partage, la transmission et la bienveillance qu’elles proposent. C’est un espace où tu peux échanger sur tes préoccupations professionnelles sans craindre un jugement, et être dans une sincérité de témoignage qui à la fois rassure, libère, et permet de prendre du recul. Je suis convaincue que pour évoluer dans ce milieu et le faire évoluer il faut des systèmes d’entraide. Soit tu réussis à les mettre en place seul(e) et ce n’est pas simple. Soit tu peux les trouver dans ce type de dispositifs.
Je vous renverrais volontiers vers une très bonne interview de Lorette Vuillemard de la Salle Léo Ferré et Sophie Broyer des Nuits de Fourvière. Elles font un retour d’expérience de leur parcours dans ce dispositif en tant que mentore et mentorée. Et ça parle bien plus que ce que je pourrais en dire, notamment sur la question de la non-mixité de ces démarches. Je cite Sophie Broyer, ouvrez les guillemets : « Bien-sûr, ils sont les bienvenus dans nos réflexions, mais j’aimerais qu’ils se parlent entre eux et qu’ils agissent aussi pour effacer ces inégalités ».
Merci à ceux qui le font déjà. J’en connais quelques-uns.
On entend depuis peu le #Musictoo qui dénonce le harcèlement sexuel dans le milieu de la musique. On espère qu’après l’écoute viendront des évolutions pérennes, et on voit déjà des prises de positions et des actions pour répondre à ces faits. Quel est votre regard sur cette actualité ? Peut-on être optimiste pour le futur ?
Pour le futur je ne sais pas, notamment car ce sont les mêmes constats que l’on retrouve depuis plus de 10 ans. Ce qui amène à se demander quand et comment on va finir par faire évoluer les choses.
Pour te répondre de façon plus personnelle, ces derniers mois le sujet est beaucoup revenu dans les conversations avec des collègues ou des amis. Je suis allée récemment à une conférence dans le cadre du salon Diskover. Et l’une des intervenantes, Domitille Raveau qui agit en faveur de la prévention des agressions sexuelles en milieu festif (avec l’association Consentis) a expliqué un truc qui m’a marquée. Elle disait que souvent on peut avoir peur de l’agression la nuit par un inconnu dans un parking. C’est l’imaginaire assez partagé du contexte dans lequel ont lieu les agressions. Alors qu’en fait, elle a plus de chance de se produire avec un gars que tu connais. Peut-être même un gars qui a l’air cool, qui a des qualités par ailleurs. Et ça vraiment il a fallu que j’ai pas loin de 40 ans pour prendre conscience de ça.
Du coup là où ça m’interroge, c’est sur la façon de se donner des outils pour piger ça, sans tomber dans une parano parce qu’il pourrait y avoir de quoi si on intègre cette idée. Et réussir à se donner des moyens de réfléchir ensemble à la notion clé qu’est le consentement. Qui plus est le consentement en état d’ébriété, dans des contextes festifs qui rendent la communication plus lacunaire encore que dans d’autres situations.
Dans mon ancien métier, on avait une méthodologie de travail pour analyser les causes d’un incident en entreprise. C’est un axe fort des démarches de sécurité au travail : analyser les incidents pour éviter les accidents. On ne peut pas travailler sur les accidents, car par définition ils sont plus graves. Et quand c’est grave, qu’il y a blessure ou pire, tu ne peux plus analyser. C’est une rivière d’affects qui vient se déverser et la recherche du coupable, toujours. On a le même phénomène ici. Je pense que l’analyse de la situation sous un angle factuel est nécessaire. Non pas pour remettre en question des émotions qui ont bel et bien existé, mais pour pouvoir éviter une reproduction des situations. Car c’est les contextes qu’il faut repérer et comprendre. Les émotions, elles, c’est les entendre et les recevoir qui compte.
Quelles sont les figures qui vous ont marquée dans votre parcours ? Auxquelles vous avez pu vous identifier, ou qui ont compté dans votre construction personnelle ? Au contraire, y a-t-il des figures qui vous ont manqué dans cette identification ?
Hé bien c’est en répondant à ces questions qu’à un moment j’ai réalisé une chose. Je me suis levée pour la vérifier : j’ai une petite collection de CD chez moi. C’est les artistes que j’ai écouté entre mes 18 et 25 ans plus ou moins. Il n’y a aucune femme dans les artistes représentés. Que du rock’n roll de bonhommes.
Ceci étant dit, je vais revenir sur la question. J’ai du mal à identifier des figures marquantes, à part bien sûr le groupe R.E.M. dont j’ai déjà parlé. Mais je n’ai aucune idée de pourquoi je suis têtue comme ça, de pourquoi je me suis mis un challenge pareil à vouloir défendre des projets artistiques émergents plus que tout. Enfin si, sûrement parce que je suis consciente de ce que ça m’a apporté à moi, d’avoir la musique dans ma vie. Et que je souhaite à tout le monde de ressentir ce que je ressens face à ça.
Sinon parmi les personnes que j’admire, il y a plutôt des altermondialistes, des militants écologistes, des lanceurs d’alerte. Je pense à Jean-Baptiste Libouban qui est l’un des initiateurs du mouvement des Faucheurs d’OGM et qui est décédé récemment, je ne l’ai jamais rencontré mais oui, ces personnes-là m’inspirent. Merci à lui. Il y a aussi Jean Ziegler pour son combat contre la faim dans le monde. Marie Monique Robin (une femme, enfin!) qui, elle, est journaliste et a notamment dénoncé Monsanto dans son documentaire « Le Monde selon Monsanto ».
Et les personnes qui représentent le Mouvement de la Communication Non Violente, je pense à Marshall Rosenberg et à Thomas d’Ansembourg qui sont pour moi des personnes incroyables pour qui j’ai un grand respect, qui m’inspirent et pourraient en inspirer beaucoup je crois. Allez voir les conférences disponibles sur le web, elles sont enrichissantes et faciles d’accès. Cela fait du bien et donne des perspectives.
Quels conseils donneriez-vous à une femme qui aimerait se lancer dans les métiers du son ?
Je cherche (depuis plusieurs jours).
Déjà : bienvenue ! Ce n’est pas un conseil mais c’est hyper important.
Et de (bien) s’entourer. Ce n’est pas facile au début car chacun est dans ses petites (ou grandes) affaires en train de gérer une masse d’urgences qui n’en finit pas. Mais il y a des moments où du lien peut se faire avec un collègue, avec un partenaire, avec un artiste. On a besoin de cette transversalité, c’est un terme que j’emprunte pour faire un clin d’oeil à un collègue qui m’a justement aidée, Fabien. C’est entre autre sous son impulsion que l’on a créé, avec d’autres collègues, la FDMA. Si je parle de ça c’est pour insister sur la nécessité de ne pas s’isoler, car seule ou seul on avance beaucoup moins bien. Il va y avoir des moments où pour dépasser certains blocages, c’est les autres qui auront les solutions. Et en prime c’est agréable d’avoir des collègues. J’en profite pour remercier le mien, Lionel avec qui je collabore depuis presque 2 ans via Vibrations sur le Fil. Et ce sera le mot de la fin, il le mérite bien.
⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici
Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.
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