Girls wanna have sound
À la rencontre de Lucile, Alexia, Alya et Antoine
Étudiant-es en Bachelor Chef-fe de Projet Culturel
Publié le 25/10/2021 à 09:00 - 7 min - Modifié le 28/09/2021 par Juliette A
Dans le cadre de l’événement "A corps et à cris" proposé par le réseau de la Bibliothèque municipale de Lyon nous avons souhaité mettre à l’honneur les actrices du milieu musical lyonnais, avec une publication régulière de portraits durant toute la période de l’événement. Cette série d’interviews espère concourir à la visibilité de leur parcours, de leurs réalisations et donne à voir la multiplicité des métiers qu’elles occupent. Les femmes sont là, et nous leur avons donné la parole, en les questionnant notamment sur leur place dans ce milieu. Cette série de portraits est non exhaustive, mais nous aurions souhaité pouvoir toutes les interviewer.
Lucile, Alexia, Alya et Antoine sont quatre étudiant-es suivant une formation à Lyon pour devenir chef-fes de projet culturel : durant leur bachelor, ils ont réalisé un projet professionnel (fictif) en deux volets, théorique et pratique. Le sujet qu’ils ont souhaité traiter est celui de « La Place des Femmes dans les Musiques actuelles », Lucile a répondu à nos questions sur ce travail réalisé durant plusieurs mois.
Pouvez-vous vous présenter, et nous expliquer quelle formation vous êtes en train de suivre ?
Nous avons suivi une formation de Bachelor en Chef-fes de Projet Culturel, nous avons été formé-es par des professionnel-les de divers domaines culturels et artistiques. Ceci nous a permis de voir des métiers liés à la communication, la production ou encore la médiation.
Durant votre formation, vous aviez une gestion de projet à mener, ainsi qu’un mémoire : pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi de travailler sur la place des femmes dans les musiques actuelles ?
Personnellement, ce sujet m’est venu très naturellement. Hors études, je me suis toujours beaucoup renseignée et intéressée à toutes ces questions, à travers des femmes que j’admire : Simone de Beauvoir, Patti Smith, Lizzo, Mona Chollet, Pénélope Bagieu et tellement d’autres…
En tant que femme et aussi musicienne dans les musiques électroniques, j’ai toujours été confrontée à certaines inégalités dès mon plus jeune âge. Par exemple, ma pratique des synthétiseurs m’a amenée dans un domaine qui est majoritairement masculin (et qui est d’ailleurs plus largement le cas au sein des musiques actuelles). Tous ces facteurs ont donc contribué un à un à construire ce mémoire et ce projet de festival en parallèle, faisant écho à tout ceci. L’école nous demandait de travailler en groupe pour amener en deux volets, théorique et pratique, un sujet culturel qui nous intéressait. C’est ainsi que l’idée de parler de la place des femmes dans les musiques actuelles à travers un festival avec une programmation exclusivement féminine nous est venue.
Une étude du CNM sur la visibilité des femmes dans les festivals de musique vient de paraître : le constat global est net, les femmes sont bien moins programmées que les hommes, qu’elles soient artistes solo ou musiciennes dans des groupes (seulement 14% des artistes programmées en 2019). Ce n’est pas la première étude sur le sujet, et on peut dire que c’est un des enjeux dont les salles de concerts et festivals devront s’emparer, ou se sont déjà emparés. Dans le projet professionnel que vous avez réalisé pour votre bachelor, vous avez travaillé sur la mise en place d’un festival avec une programmation 100% féminine : avez-vous connaissance d’autres initiatives de ce type, et pourquoi avez-vous fait ce choix ?
Nous savions que cet enjeu et ce choix de programmation 100% féminine serait à double tranchant entre celleux (=celles et ceux) qui comprendraient pourquoi nous faisions ceci et celleux qui nous reprocheraient d’encore davantage creuser ces inégalités. Pourtant, nous sommes parti-es d’un constat très simple comme le montrent toutes ces études que nous avons lues et épluchées : les femmes sont moins programmées que les hommes. Nous sommes donc remonté-es aux prémices, nous avons cherché les racines de ces inégalités à travers plusieurs volets notamment d’un point de vue historique et sociétal. Nous voulions comprendre où étaient les fractures qui ont empêché cette évolution égalitaire et qui ont davantage contribué à creuser un écart entre les femmes et les hommes de manière générale mais aussi dans le monde de la musique et actuellement au sein des musiques actuelles.
Nous avons pu constater que les femmes apprennent à vivre dans une société patriarcale basée sur un plafond de verre leur laissant donc peu de place pour s’exprimer par rapport aux hommes. Elles sont conditionnées à se mettre davantage en retrait par rapport à eux. Certaines études sociologiques montrent, par exemple, qu’une petite fille et un petit garçon commençant la musique en même temps n’évolueront pas forcément pareil. En effet, plus tard et professionnellement, les écarts se creusent davantage. Pourquoi ? Car il est prouvé que les femmes se sentent moins légitimes de se professionnaliser dans la musique que les hommes. Celles qui ensuite passent outre ceci vont être encore confrontées à d’autres problèmes, comme le fait d’être beaucoup moins programmées que les groupes composés principalement d’hommes.
Plus nous étudiions ce sujet et plus cela nous confortait dans cette idée de faire une programmation exclusive aux femmes et donc de faire ce qu’on appelle de la discrimination positive. Si la société n’est pas égale, alors il faut en arriver là pour ensuite essayer de trouver un certain juste-milieu. C’est pourquoi nous avons pu voir aussi éclore de nouveaux dispositifs et de nouvelles initiatives avec cette même politique : les collectifs et ateliers en non-mixité. Tout ceci est extrêmement important pour donner aux femmes une place qu’elles devraient avoir depuis longtemps. Ces nouveaux dispositifs font parfois parler d’eux négativement dans le sens où on parle directement d’exclure certaines personnes, mais il faut aussi en comprendre le sens et ce pourquoi il est important. Par exemple, vous ne pouvez pas demander à une femme ayant subi des violences, des abus, des discriminations ou encore du sexisme de se sentir en sécurité ou en confiance dans un groupe composé d’hommes, cela ne va pas l’aider à avancer, ni à avoir confiance, à prendre la parole ou à se mettre en avant.
Pour votre projet vous avez rencontré différentes actrices et musiciennes, qui vous ont fait part de leur expérience, mais aussi parfois de leur engagement. Avez-vous pu constater qu’une forme de sororité se créait entre les femmes du milieu musical, et selon vous quel impact cela pourrait-il avoir sur la situation actuelle et sur les générations futures ?
La sororité a été l’un des points les plus positifs de ce travail. Les collectifs et associations féministes sont de plus en plus nombreux pour combattre ces inégalités. Et si ceux-ci se créent davantage et en nombre, alors cela veut dire qu’il y a encore trop de discriminations. Le constat est malheureusement là, pour la plupart, les artistes et intermédiaires culturelles ont souvent été confrontées à des problèmes liés au fait d’être une femme, à un sexisme ambiant et contraignant. Sur toutes les femmes avec qui nous avons échangé, toutes sans exception, ont témoigné avoir déjà été victimes de sexisme.
Mais nous avons surtout rencontré des femmes admirables, courageuses et très fortes qui nous ont consolidés dans ce travail. Cela fait du bien d’entendre que ce que nous faisons est important. Plus nous serons nombreuses dans ce combat, dans cette sororité, plus ceci sera une immense force.
Le hashtag #musictoo est régulièrement à la Une ces derniers mois : la parole se libère pour dénoncer des situations de harcèlement sexuel très installées dans certains milieux. On espère qu’après l’écoute viendront des évolutions pérennes, et on voit déjà des prises de positions et des actions pour répondre à ces faits. Quel est votre regard sur cette actualité ? Peut-on être optimiste pour le futur ?
Malheureusement, cette actualité a énormément alimenté notre travail… En effet, le monde des musiques actuelles a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps. Je suis contente que cela sorte tout de même de l’ombre, que le collectif #MusicToo ait été créé et que ces problèmes qui persistent dans ce milieu soient vus aux yeux de tous-tes. Historiquement, le monde de la musique est resté trop longtemps dans un système très machiste et sexiste et ce milieu n’a pas forcément beaucoup évolué depuis toutes ces années, donc il est grand temps que tout cela sorte.
Quand j’ai commencé à m’intéresser au premier travail de la sociologue Susan McClary (datant donc des années 1980) parlant du sexisme et des inégalités entre femmes et hommes dans la musique, j’avais l’impression qu’elle faisait un bilan de notre société actuelle. Quarante ans après, certaines choses n’ont absolument pas évolué et c’est ceci qui me fait le plus peur.
Je pense qu’il est important de toujours rester optimiste, c’est ce pourquoi nous nous battons encore et encore mais je comprends aussi que certaines femmes aient perdu cet optimisme quand on voit tout ce qui sort, quand on voit que les femmes qui ont le courage de parler ne sont pas considérées ni même écoutées. Alors il faut puiser dans nos ressources, c’est important, mais c’est aussi dramatique car nous avons cette impression que malgré nos combats, nos efforts et notre volonté, certaines choses sont de marbre et ne sont pas prêtes de bouger.
En travaillant sur ce sujet, quels conseils voudriez-vous donner à une femme qui souhaiterait se lancer dans le milieu musical ?
Qu’il ne faut jamais abandonner si c’est son projet, son rêve. Mais que la route sera sûrement sinueuse et qu’il faudra s’armer encore et encore pour y arriver. Je pense que trop de femmes ont baissé les bras à cause de ces problèmes et qu’il faut que cela cesse car chaque personne a autant sa place dans ce monde, qu’importe son sexe.
Vous arrivez à la fin de vos études, vers quels métiers allez-vous vous orienter ? Est-ce que de vous intéresser à ce sujet vous a donné envie de travailler dans ce milieu et de vous y faire une place ?
Je m’oriente dans des métiers liés à la production et à la communication. Je sais que je veux être dans le milieu de la musique, plus particulièrement des musiques actuelles et surtout dans une structure qui a des valeurs qui me correspondent. Je pense que d’avoir travaillé sur ce sujet m’a davantage confortée dans cette envie de me démener et de toujours aller plus loin car le fait d’être une femme ne doit pas changer quoi que ce soit. Trop de femmes admirables, formidables et incroyables restent dans l’ombre, il est temps que cela change et c’est à nous, les intermédiaires culturelles de demain de faire évoluer ceci.
⇒ Retrouvez l’intégralité des interviews ici
Cet article fait partie du dossier GIRLS WANNA HAVE SOUND !.
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