Willem : rire du pire
Willem, artiste singulier
Publié le 11/10/2023 à 19:00
- 8 min -
Modifié le 21/11/2023
par
T.O.
Dans le cadre de l’exposition "Willem : rire du pire" nous vous invitons à découvrir la personnalité de ce dessinateur dont liberté de ton ne semble pas avoir de bornes.
Artiste des paradoxes
Le dessin comme une arme
Né aux Pays-Bas en 1941 sous le nom de Bernhard Willem Holtrop, Willem fut rapidement attiré par le dessin et plus généralement par les images des magazines qu’il feuilleta assidument dès sa jeunesse. Parmi les événements qui forgèrent sa pensée, Willem fut également profondément marqué par la guerre. Né sous l’occupation allemande, son père, résistant, fut torturé et interné dans un camp durant plusieurs mois. Antimilitariste convaincu, le dessinateur porte depuis un regard corrosif sur les conflits internationaux, attaquant avec acidité les luttes armées et raillant les situations géopolitiques les plus épineuses.
Le goût pour la contestation est né tôt chez Willem. Etudiant, il prit part au mouvement anarchiste et écologiste Provo né à Amsterdam en 1965. Le premier numéro de son magazine God, Nederland & Oranje critiquant la famille royale fut immédiatement censuré.

A la question « Peut-on rire de tout ? », l’auteur répond par un oui franc que ses dessins viennent attester. Willem aborde les thèmes les plus sensibles de la politique internationale, depuis les conflits armés dont il ridiculise régulièrement les acteurs stratégiques, jusqu’aux religions dont il se moque indifféremment, en passant par le système capitaliste. Pour ce faire, l’auteur donne libre cours à une expression qui n’admet pas la retenue.
Pour lui en effet : « il faut d’abord sortir tout ce qu’on a dans la tête et dessiner. C’est une hygiène. Ensuite on fait le tri1 ».
Un chroniqueur néerlandais en France
Installé en France à partir de 1969, Willem travailla avec les grands dessinateurs satiriques de l’époque, parmi lesquels Cabu, Siné et Cavanna. Regardant le monde de son œil néerlandais, cette pente de regard le distinguera au sein des dessinateurs de presse français. Willem publie dans le magazine Hara-Kiri, journal bête et méchant fondé par François Cavanna et le Professeur Choron.

Ses planches écrites dans une langue que l’auteur, récemment arrivé en France, ne maîtrisait pas encore parfaitement contenaient parfois des fautes d’orthographes que Cavanna veillait à conserver à l’édition. La rubrique de Willem intitulée « Cronique d’une vache espagnole » appuya la singularité du dessinateur à travers ses analyses sociétales et politiques caustiques mais également ses tournures de phrases originales. « Je parlais et écrivais mal le français, mais Hara-Kiri s’en foutait et moi aussi…2» résume t-il. A l’école, Willem se demandait pourquoi apprendre le français puisqu’il pensait ne jamais avoir à l’utiliser, ce que l’avenir démentit. Loin de l’empêcher de s’exprimer, son usage du français constitue aujourd’hui l’un des éléments forts de ses récits.
Routines et fulgurances

La carrière de Willem se caractérise par une fidélité aux organes de presse auxquels il contribua, mais également par des routines de travail. Publiant dans un grand nombre de journaux, Charlie Hebdo et Libération représentent ses deux histoires éditoriales les plus longues. Le dessinateur passa pas moins de 40 années à chroniquer quotidiennement dans le dernier. Quittant le journal en 2021, le quotidien lui consacra à cette occasion une édition spéciale.
Travailleur sans relâche, les routines quotidiennes de Willem consistent à capter le pouls du monde par le biais de différents médias, presse bien sûr mais également télévisuels et radio. Ses dessins, envoyés après une matinée de travail auront caricaturé les dernières décisions politiques et mis en images les phénomènes sociaux de l’époque. Cette discipline quotidienne, d’une grande constance, contraste avec la fulgurance de ses dessins. « Si je réfléchis trop à un dessin, je ne le fais pas. C’est une urgence, un besoin, une humeur, quelque chose que je dois faire sortir, évacuer, avant que ça ne s’envenime. Une fois que c’est fait, je passe à autre chose et je n’aime pas y revenir3. » affirme-t-il. Formé en graphisme et en publicité, l’efficacité visuelle de ses dessins et des messages qu’il souhaite faire passer participe de son style. Précis, direct, son trait illustre plus largement sa manière d’envisager le dessin de presse. Pour Willem en effet « un dessin doit se comprendre en deux secondes » et être « le plus lisible possible, les gens doivent l’absorber vite4. »
Le style Willem
Inspirations

Le rapport engagé que Willem entretient avec le monde permet de brosser les contours d’une famille d’artistes qui lui ressemble. On pense naturellement à Honoré Daumier, caricaturiste libertaire du XIXe siècle qui aura lui aussi dessiné les grands personnages politiques et ridiculisé la figure du bourgeois.
Willem a également été marqué par certains mouvements et projets issus de collectifs. C’est le cas de la revue littéraire et artistique Bizarre, créée par Michel
Revue Bizarre n°19, 1961
Laclos en 1953. D’inspiration surréaliste, la revue n’hésite pourtant pas à faire un pas de côté face à la vision du surréalisme véhiculée par André Breton jugée trop rigide. Plaçant la notion de « bizarre » sur un piédestal, elle aborda des thèmes et des genres chers à Willem tels que l’humour noir ou encore l’absurde. La revue compta parmi ses dessinateurs ceux que l’auteur estimait et avec lesquels il travaillera plus tard. C’est le cas de Wolinski, de Siné qui y publia des dessins anticléricaux au style corrosif ou encore de Roland Topor, co-fondateur du mouvement Panique. Ce mouvement fondé également par Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky cultivera quant à lui à partir de 1962 un art de la contradiction, abolissant toute hiérarchie, se réclamant « de toute morale ».
La lettre au service du dessin
Willem ne prendra pas le tournant numérique et continuera à dessiner à l’encre et à fabriquer ses planches artisanalement. Collant éléments graphiques et blocs de textes sur la page, à l’appellation d’artiste il préfère celle d’artisan qui « doit faire son petit truc tous les jours, comme le boulanger fait son pain5 ».

Dans ses compostions, le texte s’avère être un élément important. Tandis que l’auteur évoque la nécessité d’un dessin « sans texte si possible » et ajoute qu’« un dessin, c’est pas de la littérature6 », les éléments typographiques sont nombreux et interviennent sous les mêmes modalités que les éléments graphiques : précis, directs, le message est délivré en un minimum de mots comme il est délivré en un minimum de traits.

Sa formation en graphisme, son goût pour le dialogue entre image et texte lui feront manipuler la lettre et expérimenter. Dans plusieurs de ses bandes dessinées ainsi que dans ses revues de presse, les titres introduisant chaque nouvel épisode se composent de lettres représentant des personnages. L’imbrication entre la lettre et le dessin se retrouvera également dans l’album Dictionnaire analphabète publié en 2014 qui présente des mots personnifiés sur un album entier.
Plus que le dessin de presse
Connu pour ses dessins de presse, Willem a également parcouru le monde muni d’un carnet de croquis. Dans les villes de New-York, Moscou, Pékin, Ouagadougou, Riga, Belfast, ou Rome pour n’en citer quelques-unes, le dessinateur a retranscrit l’atmosphère et les cultures locales par le biais d’anecdotes et de faits signifiants. Ces récits correspondent à des bandes dessinées de voyage, genre situé entre le reportage journalistique et la fiction graphique, mis en avant par le journal Hara-Kiri.

Ses planches de bandes dessinées mettent quant à elle en scène des anti-héros tels que Pipaul la populiste, Dick Talon ou encore le détective Gus van Dalen. Ces personnages placés dans des récits se distinguent par leur naïveté ou par leur méchanceté. A travers ces différents genres et biais de diffusion, la manière “politique” d’appréhender l’événement, de grossir les détails jusqu’à les faire exploser aux yeux du lecteur restera un trait caractéristique des dessins de Willem.
Lauréat de plusieurs prix attribués pour son travail de dessinateur de presse, il recevra également le Grand Prix du festival BD d’Angoulême 2013.
Willem interprète le monde politique de son infatigable coup de crayon depuis cinquante ans, faisant rire des situations les plus délicates et des conflits les plus ancrés. Artisan-dessinateur, il est avant tout un auteur singulier et libre qui aura marqué le dessin de presse de façon indélébile.
Pour aller plus loin
– Willem, rire du pire. Exposition à la bibliothèque de la Part Dieu du 12 octobre 2023 au 3 février 2024.
– Un album de voyage parmi tant d’autres : Ailleurs. Editions Cornélius, 2022.
– Un album de presse parmi tant d’autres : Elections surréalistes. Editions Les Requins Marteaux, 2002.
– Une bande dessinée parmi tant d’autres : Dick Talon touche le fond. Editions Les Requins Marteaux, 2016.
– Complet ! La revue de presse de Charlie-Hebdo. 1969-1981. Editions les Humanoïdes associés, 1983.
– Le pire de Hara-Kiri : 1960-1985. Editions Hoëbeke, 2010.
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