La Fabrique de l'Info
Produire l’information en période de confinement 3/3
De la liberté d'informer
Publié le 15/07/2020 à 12:16 - 5 min - Modifié le 10/07/2020 par simon.magron
Durant cette période de crise sanitaire, certaines professions ont été placées en première ligne pour nous soigner, nous nourrir, nous permettre de vivre correctement et bien sûr, nous informer. Alors que les informations sur le coronavirus ont envahi notre quotidien, à travers nos télévisions, nos radios, nos réseaux sociaux, il y a, derrière nos écrans et journaux, des journalistes qui ont vu leurs conditions de travail changer du tout au tout, et qui ont dû s’adapter pour continuer de travailler. Changement de format, danger sur le terrain, précarité, pourtant la nécessité d’informer et le sens du devoir sont intacts. Après une première partie consacrée à la pratique des journalistes durant le confinement, suivie d'une seconde sur les effets de la crise sur la réception et la production de l'information, nous nous intéresserons plus particulièrement ici au principe fondamental de la liberté d'informer.
L’épidémie a continué de révéler de manière flagrante la nécessité d’être informé. Le déluge d’informations contradictoires, erronées, falsifiées focalisées sur la Covid, la présence croissante des experts désignés ou autoproclamés sur les plateaux des médias et les réseaux sociaux n’ont fait que confirmer les travers d’une information débridée. L’expression de chacun constitue-t-elle l’information ? Le journaliste doit -il s’effacer devant le scientifique en cas de crise sanitaire ? Qui peut se faire juge de la qualité d’une information ? Cette démarche ne comporte-t-elle pas un risque de censure de l’information ?
La qualité de l’information : un défi qui perdure
Le challenge pour les médias durant l’épidémie était d’autant plus important que cette crise sanitaire survient dans un contexte de défiance des médias. Selon un rapport de l’ODI (Observatoire de la Déontologie de l’Information), cette défiance s’est accrue en 2018. Cette étude a identifié plusieurs phénomènes mettant en péril la liberté de la presse : attaques verbales de la part de personnalités politiques, menaces et intimidations, par exemple lors des mouvements des Gilets Jaunes, blocage de la parution de quotidiens, pressions rédactionnelles internes…
Le CLEMI rappelle que pour le journaliste, la liberté d’expression définie dans la DDHC de 1789 et la DUDH de 1948, va de pair avec d’autres principes tels que : « la recherche de la vérité, l’exactitude, l’indépendance, l’impartialité, le respect du public et la responsabilité. » Malgré ces principes fondamentaux, la qualité de l’information a été malmenée par le flux d’info déversé pendant l’épidémie, tant celui-ci a été abondant. Comme le rappelle le politologue Henri Maler dans son article “Le droit à l’information, ses conditions et ses conséquences“, « la qualité de l’information ne peut être garantie quand elle est subordonnée à une concurrence commerciale effrénée qui dicte la recherche par tous les moyens d’une audience maximale »
La crise sanitaire justifie-t-elle qu’un gouvernement se fasse juge de l’information dit “fiable” ?
Cette crise sanitaire historique a largement favorisé l’explosion des fausses informations. Pour répondre aux « infox » liées au Covid-19, le gouvernement a tenté de réagir en mettant en ligne le 23 avril sur son site internet la page « Désinfox coronavirus », dans le but de référencer des sites identifiées comme « fiables ».
Dans son tweet annonçant la création de ce site, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye jugeait « nécessaire de se fier à des sources d’informations sûres et vérifiées » étant donné le contexte de circulation massive des fake news. Cette action n’a pas manqué de provoquer un tollé, et des réactions de la part de journalistes et du SNJ (Syndicat National des Journalistes).
Le 2 mai ont été signées une tribune commune à environ 30 médias et une tribune du SNJ. Le 4 mai, le SNJ a demandé au gouvernement de retirer cette page, ce qui fut acté le lendemain : pour le SNJ, ce référencement constituait en effet une atteinte au « principe de pluralisme dans l’expression des opinions et de neutralité des autorités publiques » Il explique qu’en prenant une telle mesure, le gouvernement n’est plus neutre, se fait juge de notre manière de lire la presse et nie “l’autonomie imprescriptible de la société”.
Pourquoi cela a-t-il posé problème ?
Tout d’abord parce la sélection des sources et des articles ne peut en aucun cas se faire sans hiérarchie ni explication ; la démarche analogue de Décodex avait déjà en son temps essuyé de nombreuses critiques. Le fait que certains médias comme le Figaro, les Echos, Mediapart, l’Humanité ou encore les journaux de la presse quotidienne régionale soient écartés par cette instance gouvernementale pose naturellement question, voire constitue une alerte au regard du respect des principes de pluralisme et de liberté d’informer.
Il s’avère également qu’aucune enquête critiquant l’État n’était exposée dans le site de référencement, comme par exemple les articles portant sur la gestion des masques. alors même que cette mesure sanitaire, a eu un impact très fort sur la considération du gouvernement par l’opinion publique. Les annonces contradictoires du gouvernement au sujet d’une pénurie de masques fut en effet si lourdes de conséquences pour le milieu médical, qu’elles ont fortement entaché sa crédibilité et ouvert les vannes d’une méfiance croissante des citoyens à l’égard de la communication de l’exécutif.
Pour le professeur de communication Arnaud Benedetti, cette opacité dans le discours étatique caractérise « l’escalade de l’engagement, où une structure ne parvient plus à enrayer la mécanique de déni qu’elle a enclenché. ». En toute logique, on pouvait donc s’interroger sur leur capacité à choisir, analyser et diffuser des informations fiables.
Rendre aux journalistes la mission qui leur appartient
Le débat sur la nouvelle loi de 2018 sur les fake news a refait surface pendant l’épidémie : Comme l’explique Salomé Kintz dans son ouvrage “Décoder les fausses nouvelles et construire son information avec la bibliothèque, ce nouveau pouvoir accordé au CSA laisse sceptique car il représente un danger pour la liberté d’expression. Alors que la loi de 1881 soumettait la personne ou le journaliste ayant diffusé, publié ou reproduit la fausse nouvelle à prouver la véracité de son enquête et de ses dires, celle de 2018 laisse un juge décider si l’information est vraie ou fausse. On se pose alors la question : est-ce le rôle d’un juge ?
Dans l’article du Figaro, le professeur de communication Arnaud Benedetti explique que « dans une démocratie libérale, la vérité est d’abord l’affaire de l’espace public où se nouent argumentation et contre-argumentation et où les médias, parmi et avec d’autres, débattent de cette dernière dans un cadre nécessairement pluraliste. »
Enfin, la revue de critique des médias ACRIMED souligne la nécessité de s’interroger sur la légitimité du garant de l’information proclamée « officielle ». Ses auteurs rappellent également que la vérification de l’information est dans l’ADN du métier de journaliste, c’est SA mission. De facto, Ce sont donc les journalistes qui doivent être les responsables et garants de la véracité de l’information, dans la droite ligne de leur déontologie professionnelle.
Reste à savoir si le respect des missions et de l’indépendance des médias suffira-t-il à transformer la défiance que les citoyens ont accumulée à leur égard…
Pour aller plus loin :
Edwy Plenel, La sauvegarde du peuple. Presse, liberté et démocratie., Edition La découverte,2020. Enquête sur une phrase perdue, pourtant emblème de la liberté de presse en 1789, ” « La publicité est la sauvegarde du peuple », “Autrement dit, tout ce qui est d’intérêt public doit être rendu public : tout ce qui concerne le sort du peuple, tout ce qui est fait en son nom, tout ce qui relève de sa souveraineté.” Elle est oublié de l’histoire française, pourtant elle est aujourd’hui plus que jamais actuelle.
Sophie Eustache, Bâtonner, Comment l’argent détruit le journalisme, Édition Amsterdam, 2020. L’auteur met en lumière les problèmes qui entour le métier depuis une dizaine d’année, notamment le fait de bâtonner, c’est à dire « réécrire de manière intensive les dépêches produites par les agences de presse », la production de contenu à la chaîne détrônant les enquêtes de long cours. Elle prône une réappropriation démocratique des médias contre la mainmise de l’argent sur le journalisme.
Laurent Mauduit, Main basse sur l’information, Edition Paris : Don Quichotte, 2016. Ce livre a pour propos « l’état de servitude dans lequel sont placés la presse et tous les grands médias d’information, radios et télévisions » dû à l’appartenance de la quasi totalité des grands médias nationaux par des milliardaires dont le métier n’est pas l’information.
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